Magellan

7 minutes de lecture

Le 12 août 2020

 Mon rythme de lecture ralentit en ce mois d’août. La période de canicule que nous subissons actuellement est peu propice à l’effort de concentration nécessaire à une lecture active d’autant plus s’il s’agit d’ouvrages exigeant un effort intellectuel. C’est la raison pour laquelle mon choix s’est porté sur un récit de voyage, celui de Magellan (1480-1521) raconté par Stefan Zweig (1881-1942). Les tempêtes essuyées par les cinq caraques (1) qui composaient la flotte confiée par Charles 1er d’Espagne (le futur Charles Quint) au célèbre explorateur maritime et le climat hivernal des contours de l’Amérique du Sud sont parvenus à me faire oublier la touffeur de l’été. Je recommande à tous cette lecture rafraîchissante, pleine d'embruns et de vents froids, qui relate l’une des aventures les plus fantastiques de l’histoire. Une telle expédition était beaucoup plus risquée qu’un voyage vers la Lune aujourd’hui, car les explorateurs ignoraient tout des distances à parcourir, des contrées qu’ils allaient visiter et des mœurs des peuples qu’ils seraient amenés à rencontrer. Ils ne savaient pas non plus pour combien de temps ils partaient. Ce qu’ils savaient en revanche c’est que leur embarcation au confort spartiate était particulièrement difficile à manœuvrer et qu’ils n’avaient aucun moyen précis de connaître leur position. À l’époque, on ne savait calculer que la latitude à l’aide de l’astrolabe. Les étoiles étaient les meilleures alliées des navigateurs. La caraque n’avançait qu’au portant (vent venant de l’arrière) et son maniement était très délicat, les capitaines prenaient une direction puis ils zigzaguaient. La cale du navire contenait quelques victuailles qui se gâtaient très rapidement, l’eau croupissait, la viande faisandait, et après quelques mois de navigation le scorbut faisait ses premières victimes. Les bâtiments se transformaient en navire-hôpital puis en bateau fantôme.

 Magellan s’était donné pour tâche de découvrir le passage menant de l’océan atlantique à l’océan pacifique et par là le chemin permettant de faire le tour du monde et de trouver une nouvelle route menant aux îles des épices. Ce jeune homme sans fortune, doté de quelques connaissances en astronomie, n’ayant pour tout bagage qu’une vague appartenance au quatrième rang de la noblesse portugaise, décide à 24 ans de s’engager comme simple soldat dans la flotte de Almeida (2) en partance pour les indes. Il apprendra ainsi la navigation et se distinguera par son courage et son sang froid. Par miracle il fera partie de la poignée de marins qui en reviendront sains et saufs. À son retour, il met sur pied le projet le plus fou jamais imaginé par un navigateur, mais il lui faut trouver quelqu'un pour le financer.

 Comment cet homme dont les mérites n’ont jamais été reconnus par le roi Manuel 1er du Portugal a-t-il pu convaincre le roi d’Espagne de lui confier une expédition hasardeuse qui aura coûté une fortune au trésor royal ? Comment était-il le seul à connaître ce passage au sud de l’Amérique permettant de retrouver la route des épices sans passer par le cap de bonne espérance ? De qui tenait-il ces informations ? Comment a-t-il déjoué toutes les manœuvres de ses ennemis, dompté plusieurs mutineries, traversé plusieurs tempêtes tout en gardant le cap et une foi inébranlable en son projet ? Plusieurs fois son équipage et ses officiers, tenaillés par la faim et le froid le conjure d’abandonner et de faire demi-tour. Comment a-t-il pu conduire 237 hommes (3) vers le bout du monde à une époque où les marins avaient peur d’être précipités dans le néant en atteignant le rebord de la Terre tant ils étaient persuadés qu’elle était un disque plat ? Comment a-t-il pu naviguer sans accident et trouver le bon chemin dans ce labyrinthe que constitue le détroit de Magellan en cumulant tous les handicaps imaginables : des rivages inhospitaliers parsemés de récifs, des navires lourds à manœuvrer, un équipage épuisé et affamé, une saison défavorable ?


« Déjà la traversée de l’Atlantique par Christophe Colomb avait été considérée en son temps comme un exploit d’un courage incroyable et cependant elle ne peut être en rien comparée à la victoire que Magellan arracha aux éléments, au prix de privations sans noms. » (page 213).


 L’épopée de Magellan tient du miracle.


« Ce que les savants supposaient depuis des milliers d’années est devenu, grâce au courage d’un individu, une certitude : la terre et ronde… » (page 224).

  Comment a-t-on pu conserver le détail presque jour par jour de cette extraordinaire aventure qui aura durée trois années, du 20 septembre 1519 au 6 septembre 1522 ? Seulement 18 parmi les 237 hommes du départ reviendront indemnes de ce périple, que sont devenus les autres ? Quel a été le sort de Magellan ?

 C’est à toutes ces questions, et à bien d’autres, que le livre de Stefan Zweig apporte une réponse.

 Magellan était un homme hors du commun, âpre et désagréable avec les membres de son équipage, mais intègre, honnête et beaucoup plus humain que les conquistadors tels que Hernán Cortés (1485-1547) ou Francisco Pizarro (1478-1541). Il était aussi animé d’une conviction inébranlable qui lui permettait d’affirmer seul contre tous qu’un tour du monde était possible par la voie maritime. Cependant, malgré toutes ces qualités et peut-être même à cause d’elle son odyssée se transformera en tragédie. D’autres que Magellan vont tirer la gloire et le profit de ses exploits et en particulier — sommet de l’injustice — ceux qui n’ont pas cru à son intuition et qui ont tout fait pour saborder son entreprise.

 Stefan Zweig dont le talent de romancier est peut-être surpassé par son génie en tant que biographe nous livre dans ce texte l’une des plus passionnantes aventures de l’humanité. L'auteur n’explique pas la manière dont certains hommes s’affranchissent des limites que la nature impose à la résistance physique et à la volonté, mais il constate que « chaque fois qu’un homme ou un peuple s’impose une mission qui dépasse sa mesure, ses forces se hausse à un niveau insoupçonné ». Un message optimiste et réconfortant pour notre pauvre humanité confrontée encore aujourd’hui à tant d’adversité.


 Stefan Zweig imagine le moment où Magellan, après plus d’un an de navigation, découvre le passage qui conduit de l’océan atlantique à l’océan pacifique :

« Ce dut être un spectacle étrange que celui qui s’offrit à la vue des marins lorsque les quatre bâtiments s’engagèrent doucement et sans bruit dans cette baie noire et tragique où jamais encore aucun homme n’avait pénétré. Autour d’eux un silence de mort et des falaises abruptes qui semblent les fixer d’un regard métallique. Sombre est le ciel, sombre la surface de l’eau. Telle la barque de Charon sur les eaux du Styx, ombres parmi des ombres, les navires s’avancent sans hâte dans ce monde des enfers. Au loin brillent des montagnes aux sommets couverts de neige, d’où arrive la nuit un vent glacial. Nulle part un être vivant et cependant des hommes doivent habiter ces parages, car le soir des feux brillent dans l’obscurité, ce pour quoi ils appellent ce pays la Terre de Feu. » (page 199).


 Ce récit n’est pas seulement divertissant et instructif, il offre aussi un point de départ à une réflexion plus générale sur ce qui est à l’origine des grandes découvertes : la curiosité, l’intuition, le courage et la constance. Il est rédigé par un grand écrivain, parfaitement documenté et passionné par son sujet, cette biographie de Magellan est un petit bijou.

 Mon conseil de lecture : munissez-vous d’une mappemonde ou d’une carte du monde détaillée pour profiter pleinement du voyage ! Dépaysement garanti et vous réviserez sans peine vos connaissances en géographie.

(1) La caraque ou nef est un grand navire, de la fin du Moyen Âge, caractérisé par sa coque arrondie et ses deux hauts châteaux avant et arrière. Elle fut l'un des premiers types de navires européens à pouvoir s'aventurer en haute mer. Des cinq navires de la flotte de Magellan seule « La victoria » revint en Espagne. Une reconstitution lui donne les caractéristiques suivantes : longueur 28 m, largeur 7,5m, équipage 42 hommes.

(2) Francisco De Almeida (1450-1510), militaire et explorateur portugais, était le vice-roi des Indes portugaises chargé de l'expansion du commerce dans l'océan Indien.

(3) Zweig cite le chiffre de 265 hommes, mais des décomptes plus récents conduisent au chiffre de 237.

Lien pour visualiser une carte montrant le trajet du tour du monde réalisé par Magellan :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/Magellan_Elcano_Circumnavigation-fr.svg


Bibliographie :


— « Magellan », Stefan Zweig, Grasset (2012), 285 pages.

— « Le Voyage de Magellan (1519-1522) La relation d'Antonio Pigafetta et autres témoignages » de Antonio Pigafetta et Xavier de Castro, Editeur : Chandeigne (2007) , Collection : Magellane, (1090 pages).

Magellan inspirera à Jules Verne son célèbre roman « Le Tour du monde en quatre-vingts jours ». Il consacrera même un chapitre de sa vaste « Histoire des grands Voyages et des grands Voyageurs » au navigateur. Ce chapitre à fait l'objet d'une réédition récente :

— « Magellan », Jules Verne, éditeur : MAGELLAN & CIE (2005) Collection : Les explorateurs (64 pages).

Antonio Pigafetta, est l'un des 18 survivants de cette expédition. Sous les ordres de Magellan puis de Juan Sebastián Elcano, il a chroniqué jour après jour les péripéties de ce premier voyage des Européens autour du monde. Il est l'un des rares membres de l'équipage à être resté fidèle à Magellan. C'est sur son témoignage (dont une partie seulement à été retrouvée) que se basent tous les travaux relatifs à ce voyage.

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