Grégoire et le vieux libraire
Le 7 septembre 2020
Ce titre, et la page de couverture mettant en scène un chat assis sur une étagère de bibliothèque, est conçu pour attirer le regard et l’intérêt de tous les passionnés de livres et de lecture. Un petit coup d’œil à la quatrième de couverture suffit pour confirmer ma première impression :
« Marc Roger, l’auteur de ce livre, est un amoureux des mots, un lecteur public qui va de librairie en bibliothèque. »
Je ne doute pas que cet écrivain a beaucoup de choses à nous raconter sur les livres au travers de ses personnages et je décide de lire ce roman. Le premier chapitre est excellent, l’auteur nous présente Grégoire, un jeune homme qui vient de sortir du système scolaire sans bagage et sans destination et monsieur Picquier, le vieux libraire, cultivé, plein de malices, qui a déroulé un long chemin de vie et est prêt à déposer ses bagages au terme d’un dernier voyage sans retour. Il s’agit bien d’un hymne à la lecture et à l’amitié. La citation en exergue est faite pour aiguiser l’appétit du lecteur :
« L’on ne fait des livres que pour rester lié aux hommes par delà la mort et pour nous défendre ainsi contre l’ennemi le plus implacable de toute vie, le temps qui passe et l’oubli » « Le Bouquiniste Mendel », Stefan Zweig.
Grégoire est un élève désorienté qui cherche sa voie, il se retrouve ainsi projeté dans la vie active, plein de doute et d’angoisse sur son avenir, ne sachant pas vraiment quoi faire. C’est alors qu’il est embauché par la maison de retraite « les bleuets » en tant qu’agent de service, « factotum » comme on dit. Il va y faire une rencontre exceptionnelle qui va changer sa vie. L’un des résidents, monsieur Picquier est un ancien libraire atteint de la maladie de Parkinson. Pour éviter que les autres ne lui renvoient sa propre image, il vit en reclus dans sa petite chambre au milieu des livres.
« Quand on déchoit comme je déchois, dit-il à Grégoire, qu’on est lucide comme je le suis, on souffre moins lorsqu’on est seul. Le spectacle des autres te renvoie inévitablement à ta propre déchéance. » (page 18).
C’est à cause de sa maladie, diagnostiquée huit ans plus tôt, qu’il a vendu sa librairie pour rentrer dans cet EHPAD. Il n’a conservé de sa bibliothèque que 3 000 livres, soit le dixième de ce qu’il possédait. Il ne reste plus de place pour la télévision qu’il a sacrifiée afin de pouvoir mettre cinquante livres de plus.
Cet érudit, féru de littérature, arrive au terme d’une longue vie. Il forme un contraste étonnant avec Grégoire, un jeune un peu paumé qui n’éprouve aucune attirance pour les livres. Au contraire, il ne lui reste, du peu qu’il a lu, que les souvenirs douloureux d’une scolarité ratée.
L’ancien libraire, n’est pas seulement vieux et usé il est aussi malade et atteint d’un glaucome. Suprême outrage du temps : il ne peut plus lire. Il vient à Grégoire l’idée de faire la lecture au vieil homme, une heure par jour. Son intention n’est pas désintéressée, ainsi pense-t-il échapper aux corvées de cuisine et surtout au travail à la buanderie qui est sous le contrôle d’un odieux personnage « Dany l’ordure ». Sa requête, qui remplit de joie monsieur Picquier, est acceptée par la directrice de l’établissement, on devine dès lors qu’entre le retraité et le jeune homme va se nouer une relation de maître à disciple, ainsi commence un parcours initiatique un peu à la manière des compagnons du tour de France, et qui fera découvrir à Grégoire de nouveaux horizons.
À travers cette fiction, l’auteur nous fait part de son expérience de lecteur et d’amoureux de la littérature en consacrant presque chaque chapitre à une œuvre qu’il met en scène dans le quotidien de l’EHPAD. La description des différents résidents, les difficultés qu’ils doivent surmonter mais aussi les petites joies qui agrémentent leurs journées sont bien rendues. L’auteur connaît parfaitement ce milieu pour y être intervenu en tant que lecteur public pendant une trentaine d’années. Les conseils de lecture qu’il donne par la voix de monsieur Picquier sentent le vécu :
« L’art de lire en public consiste à faire entendre le texte comme au premier surgir. Bien sûr qu’il est là sous tes yeux puisque le livre est dans tes mains, mais cherche-le, comme l’écrivain l’a fait quand sa page était vierge. Comme si c’était la première fois. » (page 50)
Grégoire est un bon élève, peu à peu il prend goût aux livres. Il devient un excellent lecteur et se fait apprécier des autres résidents qui souhaitent aussi participer à ces séances de lecture. Grégoire découvre ainsi la littérature, mais aussi l’amour avec Dialika l’infirmière.
Ce voyage au pays des livres n’est pas un parcours abstrait, intellectualisé, il nous confronte aussi aux dures réalités de l’univers des personnes âgées dont l’état de santé les oblige à finir leur vie en maison de retraite, dans l’isolement, loin de leur milieu familial. L’auteur ne manque pas aussi de nous dessiner, avec humour, toutes les facettes de cet univers dont on ne soupçonne pas toujours tout ce qu’il renferme, blagues de potache et relations coquines (un peu crûment décrites) côtoient parfois le tragique.
J’ai bien aimé les différentes références littéraires qui jalonnent ce livre ainsi que la demande que monsieur Picquier fait à Grégoire de se rendre à pied à l’abbaye de Fontevraud (plusieurs jours de marche) pour faire la lecture au gisant d’Éléonore d’Aquitaine. Celle-ci tient un livre dans ses mains : mais « L’angle de ses pupilles ne tombe pas sur le papier… Ses yeux ne regardent pas le livre de pierre. Ils regardent au-dessus. Ils réfléchissent… Car c’est sur sa commande expresse que le statuaire les a figés ainsi pour signifier aux temps futurs combien elle a chéri les lettres, non par caprice de tête couronnée qui s’entiche du premier troubadour qui passe, mais par amour de la joliesse et de la grâce d’esprit s’échappant de la bouche de celui ou de celle qui se pique d’écrire. Cette femme est la première à s’attribuer le livre comme le symbole de son pouvoir intellectuel qu’elle juge supérieur au sceptre que son guignol d’époux arbore comme tous les mecs qui on fait roi cette époque. » (page 176).
Je ne dévoilerais pas la fin qui ne manque pas de saveur pour vous réserver le plaisir de la goûter vous-même.
Bibliographie :
— « Grégoire et le vieux libraire », Marc Roger, Albin Michel (2019), 233 pages.
Du même auteur, livres de voyages :
- Sur les chemins d’Oxor (Actes Sud, 2005)
- À pied et à voix haute (HB éditions, 2000)
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