Mistress Branican
Le 4 juin 2022
Il y a deux semaines, dans un vide-grenier de la Sarthe, au moment où je m’apprêtais à revenir presque bredouille je repère dans une caisse en carton ce que j’identifie immédiatement comme étant des Jules Verne dans une édition reproduisant la fameuse collection Hetzel du XIXe siècle. Dans ce carton une vingtaine de titres parmi lesquels « Mistress Branican » que je souhaitais vivement acquérir. Il ne me faut pas beaucoup de temps pour trouver dix autres titres qui manquaient à ma collection. C’est le genre de découverte que l’on rêve de faire sans y croire vraiment, surtout quand le prix est à défier toute concurrence, j’ai pu emporter le tout pour une vingtaine d’euros, sachant que la plupart étaient encore dans sous film et donc neuf. Il s’agit de la collection Hetzel des œuvres de Jules Verne, l’une des plus complètes (plus de 70 titres), publiée par la société RBA et que l’on peut se procurer chez les marchands de journaux ou par abonnement. La reliure est en carton épais façon toile les plats sont décorés à la manière très reconnaissable des éditions Hetzel. Chaque ouvrage est illustré (pour Miss Branican on dénombre 83 dessins de Léon Benett en noir et blanc), la typographie est soignée et le papier crème offre un excellent confort de lecture.
Je viens de terminer ce livre commencé il y a 3 jours. Mistress Branican est un roman très peu connu de Jules Verne et l’un des rares où le héros est une héroïne ! L’histoire est en deux parties d’égale importance, chacune divisée en 17 chapitres relativement courts. Cette division en petits chapitres permet au lecteur d’installer des pauses dans sa lecture.
L’histoire débute par un drame, Mrs Dolly Branican se rend au port de San Diego (aux États-Unis) prendre, auprès d’un navigateur, des nouvelles de son mari le capitaine John Branican récemment embarqué sur le Franklin pour un voyage de 6 mois. Pour se rendre à bord d’un navire, elle emprunte une chaloupe, celle-ci chavire, Mrs Branican tombe à l’eau avec son bébé Wat âgé de 9 mois, elle est sauvée in extremis par un courageux marin, mais le bébé disparaît sous l’eau. Son malheur ne s'arrête pas là. On apprend quelque temps plus tard que le Franklin aurait fait naufrage, Dolly Branican sombre dans la folie. Pour corser le tout Len Burker l’époux de Jane (cousine de Dolly) est intéressé par l’héritage que celle-ci devrait recueillir de son oncle Edward Starter. Len Burker est un sinistre personnage prêt à tout pour réaliser ses ambitions. Dolly reste plusieurs mois sans recouvrer la raison. Sa situation semble désespérée, mais elle va pouvoir compter sur l’amitié de William Andrew le patron de son mari et sur l’affection de Jane sa cousine, l’épouse du sinistre Len Burker. La situation se retourne quand Mrs Branican retrouvre la raison et hérite d’une fortune, elle décide de mener une expédition pour retrouver son mari qu’elle croit vivant.
Le dénouement de cette histoire, qui ne concerne pas uniquement la disparition de son mari, est extraordinaire et intervient après 15 années de recherche qui vont nous faire traverser plusieurs fois l’océan pacifique jusqu’à Singapour puis l’Australie. Au cours de ce trajet, nous pouvons compter sur Jules Verne pour nous décrire les manœuvres nécessaires pour diriger un clipper (voile) puis un steamer (vapeur) à travers des mers déchaînées. On apprend aussi la géographie des îles et des mers de l’océan pacifique jusqu’en Inde et rien de ce qui concerne le peuple, les tribus, le relief, les fleuves, la végétation, la faune et les déserts d’Australie n’est occulté. Suivre sur une carte les trajets des expéditions sur terre et sur mer des protagonistes est un excellent moyen de réviser sa géographie avec Jules Verne. On apprend aussi le vocabulaire de la marine « Le “Franklin”, arrivant d’un quart sur bâbord, prit l’allure du largue, de manière à sortir sans changer ses armures ». Mais ceci n’est qu’un aspect de l’œuvre, l’histoire est parfaitement structurée et rien n’est laissé dans l’ombre, tous les mystères sont élucidés en temps voulu, les rebondissements multiples et les personnages sont originaux et forts à l’image de Mrs Branican qui posséde « une âme haute, une volonté forte ». Jules Verne décrit avec enthousiasme la force morale, l’indomptable énergie de l’héroïne et son intraitable résolution d’atteindre le but, au prix de n’importe quels sacrifices. L’auteur qui pensait ne pas être doué pour décrire des personnages féminins dans ses romans y parvient très bien avec « Mistress Branican ». Un très bon roman, un excellent Jules Verne, une belle histoire qui m’a procuré un grand plaisir de lecture au même niveau que d’autres œuvres plus connues comme « Voyage au centre de la Terre » ou « Vingt mille lieues sous les mers.
— “Mistress Branican”, Jules Verne, Collection RBA (2019), Illustrations Léon Benett, 416 pages.
Annotations
Versions