Après avoir rangé le hangar, Steve et moi nous baladons.

- Sympa, ce nouveau style. Je pourrai m’y faire.

- Dans tes rêves ! C’est ma mère qui a insisté.

Il m’attrape la main.

- Faudra pourtant t’y habituer pour les concerts.

Je hoche la tête.

- En parlant de ça, le festival de Noël se déroule dans deux jours. Il va falloir réfléchir à nos looks.

- Ok. On se mettra d’accord avec les autres demain. On se retrouve à dix heures au hangar, ajoute-je.

On entre dans un café et Steve m’achète un milk-shake. Sous ses allures de bad boy, il est vraiment gentil, en fait.

Il revient avec la boisson à la vanille.

- Un milk-shake it off, plaisante-t’il. En souvenir de la première fois où tu m’as parlé.

Je me revois il y a environ quatre semaines, chantant Shake it Off devant un Steve au regard noir. Dire que maintenant, il est amoureux de moi et on est en couple. Je me sens heureuse. Ça ne durera pas longtemps. Steve est un coureur de jupons. Je me mets à trembler. Ça fait longtemps que «Jade» ne m’avait pas parlé.

Le festival de Noël arrive vite. Au lycée, c’est l’effervescence. Des banderoles lumineuses sont accrochées partout, un sapin a été dressé dans le hall, les hauts-parleurs diffusent des musiques et une foule se presse de tous les côtés. La scène où l’on va jouer se trouve dans la salle du buffet, en gros là où les parents et les professeurs peuvent discuter et manger. Le placard des auxiliaires de ménages a été transformés en loges, avec quelques chaises, des tables et des vieux déguisements de Noël. Dans la cour, il y a plusieurs activités pour les enfants, comme la pêche aux canards ou encore le lancer de gâteau sur la tête des gens (je ne connais pas le vrai nom).

Steve, Holly, Jason, Simon, Clara et moi sommes dans les loges. On s’est mis d’accord sur un style : bas noir et haut de couleur uni (soit rouge, soit vert, soit bleu). Pour ma part, je suis tout en noir. En tant que chanteuse, je dois me démarquer, apparemment. On est assis sur des chaises, réparties un peu partout dans le local de ménage.

Steve révise ses parties avec sa guitare, Holly écoute l’enregistrement de nos musiques, Jason tapote sur ses cuisses (sa batterie est déjà sur scène), Simon accorde sa basse et Clara refait son maquillage. Équipée de différents fards à paupières, mascara, gloss, fonds de teint, eye-liner et blushs que je lui ai prêté, face à un miroir de poche, elle se fait un petit maquillage de Noël.

Elle a choisi un blush rose pour le côté mignon, un mascara noir tout simple, un gloss rouge cerise, et un ensemble de fards à paupières rouge et vert qu’elle a fait remonter jusqu’à ses sourcils.

Elle clape son miroir et le glisse dans son sac. Puis, elle rassemble la totalité de mon maquillage et le met dans mon sac à moi.

- Ok, on est tous prêts, dit Jason.

- Oui, confirme Holly en retirant ses écouteurs.

- Génial. Après le discours du principal sur je-ne-sais-pas-quoi, c’est à nous, déclare Simon.

C’est quand même stressant. On joue ensemble depuis seulement un mois, et on va se produire devant les élèves du lycée et quelques parents. Ainsi que les professeurs.

- Bonjour, merci à vous tous d’être venus pour le festival de Noël du lycée de Glasgow ! annonce le principal. Depuis quelques années, on organise ce festival, où règne la joie, la bonne humeur. Vous avez à votre disposition de la nourriture, ainsi que des activités pour les jeunes enfants dehors. Et pour animer, différents groupes de notre lycée vont venir vous jouer quelques morceaux. Maintenant, je laisse la place à un groupe de seconde formé cette année. Quand ils auront fini, je reviendrai pour présenter les autres groupes. Bonne écoute, et bonne journée !

Le principal quitte la scène en direction des loges et nous fait signe de monter sur la scène improvisée. On monte tous les six en silence, sûrement gênés ou stressés. Personne ne fait vraiment attention à nous, à part quelques lycéens plus âgés que nous qui semblent se moquer. Holly me donne un coup de coude en disant qu’en tant que chanteuse, je devais présenter le groupe.

Je rejoins le micro en piétinant. À l’instant, j’ai juste envie de mourir. Ce n’est vraiment pas le moment pour que le passé ressurgisse.

- Euh… bonjour… Je… enfin… nous sommes les Modern Black… et heu… Steve et Clara sont guitaristes… Jason est le batteur… Euh… Simon est le bassiste… Holly est notre pianiste et… heu… moi je suis la chanteuse… heu… voilà…

Je tourne la tête vers Simon qui semble exaspéré de mon cruel manque de confiance en moi.

- On va commencer par une chanson écrite par Brooklyn Bright, notre chanteuse et parolière. Elle s’appelle Trop importante, annonce Jason.

Je déglutis. Mes chansons me semblent soudain ridicules, nulles. Sauf que je ne peux plus reculer, là. L’intro au piano de Holly retentit et les autres instruments se rajoutent. Je compte jusqu’à trois, prends une grande inspiration et commence à chanter, en essayant d’oublier la masse de personnes qui nous jugent.

À la fin, seulement quelques applaudissements se font entendre. Clara enchaîne :

- On va continuer avec Laisse-moi tomber.

C’est reparti. J’ai envie de vomir, de m’enfuir. J’ai une énorme boule au ventre. Mais je ne peux pas les laisser tomber, alors je me remets à chanter. Il y a plus de personnes qui applaudissent, mais pas toute l’assemblée. Au fond, ça me semble logique. On est qu’une bande d’ados de seize ans, après tout.

- Maintenant, on enchaîne avec Noyée, affirme Holly.

Les autres se mettent à jouer, alors j’entame le chant. J’entends le solo de piano d’Holly, puis les rythmes de Jason qui se joignent, et enfin la basse et les guitares. Et je commence à chanter le troisième couplet.

À la fin, on obtient un tonnerre d’applaudissements. Je vois mes parents en larmes au premier rang. Je leur souris et ils me le rendent. Je retiens mes larmes, moi. Pas question de me mettre à pleurer au dernier moment.

- Et enfin, on va finir par Miracle, annonce-je sans bafouiller, beaucoup plus sûre de moi.

En même temps, après avoir chanter des paroles personnels, dire cette phrase me semble aussi simple que respirer.

Quand on finit, nouveau tonnerre d’applaudissements. On quitte la scène, heureux et grisés.

On écoute les autres groupes passer : un groupe de classiques, un de rap, un de pop… Enfin, une fille monte sur scène. Ses cheveux sont bruns, coupés au bol. Son visage est tacheté de boutons d’acné. Elle a un regard triste. Habillée d’un collant noir, d’une jupe mi-longue à imprimé léopard avec un sweat orange fluo et des bottines zébrées, la plupart des gens rient d’elle. Je leur jette des regards noirs.

Elle s’avance vers le micro et annonce d’une voix chevrotante :

- Bonjour… Je… Je m’appelle Alana Vibes. Je viens d’emménager dans un village près de Glasgow et après les vacances, je vais venir dans ce lycée. Le principal m’a demandé de me présenter et si possible, de chanter un truc. Je ne suis pas très à l’aise en public…

- Il y a de quoi ! hurle un garçon du nom de Clark dans le public.

La fille semble sur le point de pleurer.

- Mais je vais quand même chanter pour ma mère.

Elle entonne un petit chant de Noël. Puis elle redescend de scène.

- Bizarre, cette Alana, déclare Jason.

- Elle manque juste de confiance en elle, dit Holly.

Je hoche la tête. Je sais ce que ça fait, de manquer de confiance en soi. Je m’approche des loges pour aller parler à Alana, mais je la trouve en pleurs. Et je sais que quand on pleure, on aime être tranquille. Alors je recule et je retourne avec les autres.

- Hé, Taylor Swift, ce serait dans tes cordes d’écrire une chanson pour la fête du lycée ? C’est le 24 juin, un truc comme ça. T’as environ six mois, ça devrait le faire.

- Oui ! m’exclame-je.

- En tout cas, ta chanson Noyée a fait un tabac, renchérit Clara.