Une fabuleuse collection
Siméon avait un passe-temps. Un passe-temps qui lui prenait tout son temps. C'était un collectionneur. Certains collectionnent les timbres, d'autres les chaussures, Siméon lui, il collectionnait les sous. Il en avait de toutes sortes : des gros, des petits, des jolis, des laids, des brillants, des crottés, même des cassés ! L'important était que ce soit une pièce de monnaie.
Il parcourait la route, les sentiers fermiers et le village tout le jour. Courbé en deux, les mains dans le dos, l’œil à l’affût, rien ne pouvait lui échapper. Soudain, vif comme l'éclair, il plongeait sa main dans la poussière et en tirait un trésor ! Raté, ça n'était qu' un bouton... Siméon le laissait retomber sur la route. À la nuit tombée, il rapportait ses nouvelles trouvailles dans sa maison. Il possédait une pièce immense, remplie de meubles à tiroirs, et chaque monnaie avait sa place. Quand le temps était mauvais, ou qu'il faisait trop froid, Siméon restait chez lui. Il sortait son chiffon, s'asseyait sur son haut tabouret et astiquait ses sous.
Mais pourquoi collectionner les sous ? Eh bien, Siémon les trouvait fascinants. Il y en avait tellement. Chacun racontait une histoire : abandonné à la fin du marché, perdu à cause d'une poche trouée ou par inattention. Ils n'attendaient qu'une chose ces petits sous, être retrouvés par Siméon. Le collectionneur leur offrait une pension tout confort, avec écrin moelleux, bain chaud et histoire du soir. Car ce qu'il préférait chez ses petits protégés, c'était de découvrir tout ce qu'il y avait à savoir à leur sujet. Il possédait une grande bibliothèque, garnie d'ouvrages consacrés aux pièces de monnaie. Chaque soir, il tirait un sou de son tiroir, le lavait précautionneusement dans de l'eau chaude et du savon, puis le regardait sous sa grande loupe.
— Alors, qui es-tu ? demandait-il au sou.
Il tournait les pages de ses catalogues et cherchait le dessin qui correspondait à l'inconnu du soir. Il lisait ensuite à voix haute, pour tous les autres sous, ce qu'il y avait à savoir sur leur petit camarade. Après cela, il se saisissait de son crayon et recopiait méticuleusement dans son cahier toutes les informations importantes. Car pour bien s'occuper d'un sou, il faut tout savoir de lui : sa matière, sa taille, son poids, son lieu de fabrication et son degré de rareté.
Les rares étaient ses préférés. Il savait que ce n'était pas bien d'avoir des chouchous, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il tirait souvent leur tiroir pour les admirer. Ceux là se trouvaient dans un présentoir en verre incassable et il en portait la clé autour du cou. C'est que ses sous attiraient les convoitises. Siméon se réveillait parfois en sueur, la peur au ventre, car il faisait encore et toujours le même cauchemar. Un malotru s'introduisait dans sa maison et volait tous les sous ! Tous mélangés dans un grand sac, les précieux et les ordinaires, les biens portants et les fragiles ! Quelle tragédie ! Alors il se levait, allait vérifier que la porte d'entrée était bien fermée, que les volets étaient clos et qu'aucun voleur ne se trouvait dans la pièce du trésor. Une fois rassuré, il ôtait ses pantoufles et se remettait au lit. Ce n'était pas de tout repos de posséder pareille collection. Et il n'allait pas tarder à le découvrir.
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