Pourparlers
Siméon trotta tout le long du chemin. Pour la première fois depuis longtemps, il était le nez au vent et le dos droit. Il ne ralentit pas l'allure pour admirer le paysage. Les fermiers le virent passer, le souffle court. Ils soupirèrent et levèrent les yeux au ciel. Ce gars là n'était décidément pas commun.
Il chercha fébrilement sa clé de maison dans sa besace et ouvrit la porte d'une main tremblante. Il s'enferma à double tour et se dirigea vers sa pièce fétiche.
Il lava le sou, bien que celui-ci n'en eut pas besoin tant il brillait, et l'installa ensuite sur sa table d'observation.
Un moment plus tard, le sol fut jonché de livres ouverts. Siméon se trouvait à genoux devant sa bibliothèque, feuilletant un énième ouvrage avant de le laisser tomber par terre avec les autres. Il s'assit en tailleur et observa le meuble vide. Il n'avait trouvé aucune information sur son précieux sou dans aucun de ses livres. Qu'est-ce que cela signifiait ? Le sou était-il un faux ? Cette pensée lui provoqua un pincement au cœur, il ne pouvait le croire. Au contraire, ce devait être un objet unique non répertorié !
Il réfléchit jusque tard dans la nuit avant de boucler le sou dans le présentoir des pièces rares et d'aller se coucher.
Siméon ne trouvait pas le sommeil. Les heures défilaient, et lui, pensait à son sou.
Il se leva dans la nuit pour vérifier que tout respirait le calme dans la maison. Un hibou hulula au dehors et cela lui sembla être un mauvais présage. N'y tenant plus, il finit par aller chercher la précieuse pièce et la mit sous son oreiller. Alors enfin, il trouva le sommeil.
Le lendemain, il souleva le coussin de plumes, inquiet. Le sou brilla sur le drap, toujours à sa place. Il décida de rester chez lui et de chercher de nouveau dans ses livres un détail qui lui aurait échappé. Il s'assit devant la porte d'entrée, sur une chaise en osier , avec une pile de livres, qu'il entama. Siméon sortait régulièrement la pièce de sa poche pour la comparer avec les illustrations de ses catalogues.
C'est dans l'un de ces moments que parut une vieille femme étrange. Elle l'observa d'un regard reptilien qui lui donna envie de prendre ses jambes à son cou.
— C'est un beau sou que tu as là, coassa la vieille dame.
— Oui, en effet, madame, répondit poliment Siméon.
Il rangea la pièce et fit mine de se replonger dans sa lecture. La vieille femme ne bougea pas, restant là, à le fixer de ses yeux jaunes.
— Je peux vous aider ? finit-il par lui demander, mal à l'aise.
— C'est moi qui peut t'aider, rit-elle avec un œil malicieux. Tu ne trouveras rien sur cet objet dans un livre ordinaire. Ça...
Elle montra la poche de Siméon.
— C'est un sou de sorcière.
— Un sou de sorcière ? répéta Siméon, abasourdi.
— C'est exact, confirma l'étrangère en hochant la tête. Si une sorcière place le sou dans sa poche, elle pourra voler sur l'objet de son choix.
Le collectionneur écarquilla les yeux.
— Comment est-ce possible ?
— Le sou est enchanté pardi ! Le sort a été lancé à la lune croissante, avec la complicité d'un chat.
— Mais comment savez-vous cela ? questionna Siméon en appréhendant la réponse.
— Parce que c'est mon sou ! glapit la sorcière.
Les cheveux de l'homme se dressèrent sur sa tête.
— Ce sou je l'ai trouvé dans un étang, en pleine forêt, se justifia Siméon. Etes-vous sûre que c'est le vôtre ? demanda-t-il en claquant des dents.
— Tu ne connais vraiment rien aux sorcières n'est-ce pas ? ricana-t-elle. La mare aux grenouilles est le meilleur endroit pour récolter les têtards dont j'ai besoin pour mes poisons.
En vérité, la sorcière laissait les pauvres têtards tranquilles. Elle faisait, en revanche, une délicieuse soupe avec les lentilles d'eau de l'étang. Occupée avec son épuisette et sa serpette, elle avait dû laissé tomber le sou de sa poche par inadvertance.
Elle regarda, amusée, l'homme qui tremblotait sur sa chaise en osier. Elle espérait l'avoir suffisamment effrayé pour récupérer son bien.
— Voyez-vous, reprit Siméon en tentant de retrouver son calme. Je suis un grand collectionneur de pièces. J'en ai beaucoup, mais un sou de sorcière, je n'en ai pas. Consentiriez-vous à enchanter un autre sou, et me laisser celui-ci ?
— Je crains que non. Je ne peux pas confier un objet aussi précieux à un collectionneur de babioles.
Siméon se sentit vexé mais ne le montra pas. Tout ce qu'il voulait, c'était pouvoir garder le sou.
— C'est que, je me suis donné bien du mal pour le trouver, plaida-t-il. Les temps sont durs, les gens ne laissent plus tomber de pièces par terre, ils les comptent avec attention, les rangent soigneusement.
— J'en suis bien désolée pour toi, compatit la sorcière.
— Alors ce sou, c'est un vrai trésor en cette période. J'en prendrai grand soin. Je vous le jure !
Il leva la main droite en signe d'honnêteté.
— Je t'ai déjà dit non, je récupère mon sou, un point c'est tout !
Elle s'avança d'un pas vers lui.
— Mais peut-être pourriez-vous me l'échanger ? insista-t-il encore en reculant sa chaise. Contre un autre sou ? Les sorcières ont-elles plusieurs sortes de monnaies ?
La sorcière en avait plus qu'assez, elle se sentait lasse de parlementer. Elle comprenait bien que le collectionneur ne lâcherait pas aussi facilement une telle rareté.
— Très bien, j'ai un marché à te proposer... lui dit-elle avec un œil rusé.
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