Suppositions
Louis s'éveillait. Quelques minutes lui étaient nécessaires pour prendre conscience d'exister en ce lieu. Chaque matin, il avait la sensation de se réveiller dans son appartement. Il percevait l'ambiance tamisée de sa chambre, ses objets familiers, le corps de Pierre l'effleurer.
La seconde d'après, l'indicible prenait pied dans la réalité : il allait mourir et Pierre n'était pas là.
Un regard furtif sur son téléphone confirma une fois de plus son intuition. Sa gorge se serra. Aucun appel manqué, aucun SMS. L'absence ajoutait chaque jour une souffrance supplémentaire à sa déception. Comment accepter cette double peine ? À quoi bon lutter ?
Pierre ne lui avait donné aucun signe de vie depuis trois semaines. À leur dernière conversation, il avait paru distant et désintéressé de l'évolution de son état de santé.
Louis imaginait son compagnon dans les actes anodins du quotidien, ceux qu'ils avaient appris ensemble à déranger pour que la vie soit toujours surprenante. Aujourd'hui, il donnerait tout pour vivre un simple moment de routine, être attentif à ce qui lui avait échappé mais il était hors champ, et peut-être même hors film.
Chaque souvenir réconfortant de leur vie de couple s'opposait immédiatement à une supposition pessimiste. Pierre était-il incapable de le regarder dans les yeux sans voir son corps affaibli ? Avait-il peur d'affronter la mort ? Ou était-il amoureux d'un autre au point de faire table rase du passé ?
Pierre et Louis n'avaient jamais évoqué la séparation, la mort, ni même parlé de la définition du mot amour. Leurs ébats, leur regard insouciant sur la vie avaient conduit leur avenir dans une effervescence sans cesse renouvelée, un avenir brillant aux yeux de leurs proches.
Louis ne trouvait aucune pensée positive à laquelle se raccrocher. La vision d'Emma se dessinant sur le pas de la porte, dérida un peu son visage taciturne. Il avait apprécié l'intérêt qu'elle lui avait manifesté, son audace aussi. Elle sera là un peu plus tard, pensa-t-il.
Plusieurs heures s'écoulèrent. Combien au juste ? Les repères temporels à l'hôpital sont mouvants ; le temps s'enfonçait dans les sables menaçants. Alors que la vie devant lui se rétrécissait, l'attente rendait l'instant parfois interminable. Aucun grincement dans le couloir. Louis attend, à l'affût de chaque son. Celui qu'il cherche à reconnaître au loin reste muet. Il n'entend plus que les battements accélérés de son cœur taper sourdement contre sa cage thoracique. Emma brillait aussi par son absence. Avait-elle changé d'avis ? Avait-elle été déçue de leur entrevue ? Qu'aurait-elle bien pu lui apporter de toute façon ? Pourquoi se sentait-il si attristé par l'absence de cette inconnue ?
Un flux de questionnements le submergeait. Impossible d'arrêter son déferlement destructeur.
Pourtant, tous deux hier, avaient fait reculer l'ombre mortifère qui planait dans cette chambre.
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