Évidence

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Emma allait retrouver Louis, son Programme Personnalisé de Voyage en poche, bien plus excitant que le Programme Personnalisé de Soins qui n'avait guère tenu ses promesses. Libérée de ses perfusions, elle pouvait maintenant déambuler librement. Elle prit pourtant le parti d'embarquer sa potence à roulettes, un moyen d'avertir son ami de son arrivée.

Emma avait accéléré le pas. Les cris du bébé goéland redoublaient d'intensité évoquant le désarroi caractéristique d'un enfant affamé. La distorsion d'un son inhabituel interpella plusieurs promeneurs las d'arpenter ce lieu imposé pour leur balade. Avec grâce, elle exécuta devant eux plusieurs mouvements circulaires autour du pied à perfusion puis improvisa un abrazo fermé, une figure de tango argentin qu'elle aimait interpréter. Partenaire talentueux, l'objet se prêtait à ses moindres volontés. Elle menait la danse qui se termina par une révérence enjouée pour son public. Emma savait manier la dérision depuis toujours. D'un naturel sérieux, elle aimait autant surprendre son entourage que des inconnus dans la rue, une manière pour elle de dédramatiser les pires situations.

« Eh bien Mme Sansoussi, votre joie est communicative. Je suppose que je ne vais pas vous trouver dans votre chambre à mon passage. Souhaitez-vous que je vous donne votre traitement pour l'après-midi ? »

- Aucun besoin de comprimés de morphine supplémentaire pour cet après-midi !

Lorsque Emma pénétra dans la chambre 480, ses yeux fixèrent un lit inoccupé. Louis, le visage souriant, attendait son amie, installé dans le fauteuil. Il avait troqué sa chemise d'hôpital pour une chemisette colorée d'une célèbre boutique de Saint-Tropez, assortie à un pantalon de coton bleu électrique.

- Hello ! Quel plaisir de te voir hors de ce lit. Quelle classe ! Tu es rayonnant, Louis !

- N'exagérons rien. Tu ne m'as pas connu avant.

- Avant, nos regards ne se seraient jamais croisés, mon cher. Tu n'aurais eu aucune chance de me rencontrer dans un palace ! Je sévissais dans les bas-fonds citadins à la recherche des vestiges de l'âme humaine.

- Au cas où ton projet miracle voie le jour, je voulais vérifier combien de temps je peux rester assis sans que la douleur me dévore.

- Et quel est le verdict ?

- Je suis assis depuis deux heures et je peux encore tenir sans appuyer sur le bouton bolus de la pompe. J'ai fait quelques exercices pour assouplir mes articulations.

- Hé bien, je suis fière de toi et heureuse que tu prennes mon projet au sérieux. J'ai bien avancé. Je vais te montrer tous les atouts de cette destination.

- Véritablement cette potence te va à ravir, Emma.

- J'ai peur qu'elle se venge si je l'abandonne. Les objets ont une âme, tu sais. Il ne faut pas les blesser. Non je rigole ! Une simple envie de me faire remarquer dans le couloir, d'illuminer au passage quelques regards assombris. Cinq sourires à ajouter à ma collection.

- Tu collectionnes les sourires ?

- Je suis née dans un mauvais conte. Dessiner des sourires sur les visages est une manière de rompre le maléfice. Depuis plus de quarante ans, cela fait au minimum 43 800 sourires à mon actif...

- 43 801...

Emma cueillit ce nouveau sourire et s'assit auprès de son ami. Affable, elle lui fit découvrir les meilleures vues de Lourdes et des environs.

- Décor grandiose, répétait Louis à chaque nouvelle vue que lui présentait son amie.

Décor ou des corps ? pensa Emma.

Les promesses de l'un viendraient-elles au secours de la vulnérabilité de l'autre ? Les deux amis pourraient-ils repousser leurs limites, imposer à leur corps de les amener à accomplir cette part d'imaginaire ?

Pour la première fois, Emma et Louis se trouvaient côte à côte. L'un comme l'autre appréciait cette proximité rassurante du corps, sa chaleur, ses vibrations. Leurs yeux s'interrogeaient, leurs lèvres ébauchaient des sourires complices, leur visage lisait au-delà de leurs traits, leurs silences étaient créatifs. Simplicité, évidence, un sentiment nouveau pour Emma, une ancre jetée dans une mer démontée.

Un charme opérait, pas celui qui envoie les amoureux sur un délicieux nuage, un charme plus puissant, capable de repousser la rivière de larmes qui obstruait leur regard.

Ils en étaient convaincus, ils feraient ce voyage ensemble !

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