Chapitre 1
Depuis quelques jours déjà l'orage menace. Il a jusqu'alors épargné la ville mais la chaleur torride de ce mois de juillet devient de plus en plus étouffante. Les badauds déambulent lentement, le visage rouge et couvert de sueur, la peau moite sous leurs étoffes légères. Certains, probablement mieux armés contre la canicule que la plupart de leurs congénères, marchent à grands pas. L'atmosphère est lourde et oppressante, l'air quasi irrespirable.
Dès le lever du jour on savait que l'orage allait s'abattre sur la ville avant la fin de la journée.
Quand Marielle, en ce début d'après-midi, gare sa voiture au centre de la cité, de gros nuages noirs obscurcissent le ciel et les grondements du tonnerre résonnent dans le lointain. Elle a peur de l'orage, aussi se hâte-t-elle de parcourir les quelques dizaines de mètres qui la séparent du lieu de son rendez-vous.
Psychomotricienne dans un institut pour enfants handicapés, Marielle a vingt huit ans. De petite taille, avenante et gracieuse, elle est dotée d'un charme ambigu fait de séduction et de mise à distance. Discrète, parfois effacée, elle devient capable devant l'adversité de défendre ses idées avec véhémence, de convaincre un auditoire avec forces argumentations imparables. D'une volonté farouche en dépit de la faiblesse de sa corpulence, elle hait par dessus tout les rapports de force et de domination. Éprise de liberté elle n'accepte guère de concessions sur ce point et ne souffre pas qu'on la manipule. Selon l'attitude et les propos de son interlocuteur, un regard de ses grands yeux verts peut ouvrir la voie vers d'infinies douceurs, ou à l'opposé, une saillie de son langage naturellement châtié peut sonner le glas des espérances et annuler tout dialogue par la même occasion. En elle, cohabitent fragilité et force de caractère. Volontiers tolérante envers ceux qui se montrent humbles et tendres, elle transperce de ses traits dévastateurs ceux qui se croient sortis tout droit de la cuisse de Jupiter. D'aucuns pensent que son mari et ses trois enfants ont bien de la chance, d'autres qu'ils sont fort à plaindre. Et si elle ne le montre pas, compliments et critiques l'atteignent au plus profond d'elle-même.
Pour l'instant, elle se rend à la quatrième d'une série de dix séances de kinésithérapie ordonnées par son médecin traitant. Un torticolis particulièrement tenace et douloureux est à l'origine de la prescription. Mais le kiné qu'on lui a recommandé officie surtout en tant qu'ostéopathe. C'est ainsi qu'elle se retrouve utilisatrice d'une médecine douce dont elle ne possédait jusque là que quelques vagues notions. L'aventure, somme toute, ne lui déplaît pas ; d'abord parce que les douleurs ont rapidement disparu, ensuite parce que le praticien est plutôt séduisant, enfin parce qu'elle le soupçonne d'être sensible à ses charmes, même si les premières séances se sont déroulées dans la plus parfaite rigueur professionnelle.
La salle d'attente est vide. Marielle s'y installe au moment où les premières déflagrations du tonnerre font trembler le quartier. Elle tente de poursuivre la lecture du livre de poésies qu'elle a apporté. Dans cette pièce d'immeuble ancien, alors que la pendule affiche quatorze heures, l'obscurité devient telle qu'on se croirait à la tombée de la nuit. De la petite fenêtre on peut apercevoir un coin de ciel noir. Le Créateur est en train de faire sauter la voûte céleste à la dynamite. Et comme s'il avait demandé à des photographes d'immortaliser son œuvre, des flashes gigantesques scintillent dans le décor.
Les coups de tonnerre augmentent en intensité, en violence et en nombre. À chaque fois la jeune femme sursaute, frissonne, sent la sueur couler en abondance sous ses aisselles et aux plis de l'aine. Elle éprouve une désagréable sensation, mêlée de chaleur diffuse et de froid glacial, qui lui donne la chair de poule. Le vide mental s'empare d'elle, renforçant son trouble, car elle aime bien d'ordinaire contrôler avec son esprit l'intensité de ses émois physiques et affectifs. Toutefois, ce qu'elle ressent au niveau corporel comble en partie son vide, si bien qu'elle ne peut pas choisir entre ce qui la pousse à lutter contre l'envahissement sensoriel de son être, et ce qui l'incite à s'y abandonner.
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