Chapitre 5 (terminé)
Quant au partenaire en question, il sait que le client suivant a annulé son rendez-vous. Il a donc tout son temps. Tranquillement, en apparence du moins, il continue ses subtiles manipulations. Avec des gestes d'une infinie douceur il saisit les épaules de la jeune femme et l'aide à s'étendre sur le dos.
- « Vous aimez cela, n'est-ce pas ? »
- « Oui... »
- « Vous acceptez toujours aussi facilement les sollicitations de votre corps ? »
- « Oh non ! »
- « On continue ? »
- « Oh oui ! »
Elle s'en veut une fois de plus de manquer d'esprit d'à-propos, mais l'état dans lequel elle se trouve, la violence de son désir étalé là, sans pudeur, une certaine gêne face à cet homme qui, lui, ne se dévoile pas, un sentiment contradictoire, à la fois agréable et déplaisant, d'être à la merci d'autrui, ne lui donnent guère les moyens d'enrichir le dialogue.
Il lui place les bras en couronne autour de la tête, caresse ses cheveux, le front, le nez, les joues, les lobes des oreilles, effleure ses lèvres, infiltre un doigt dans sa bouche, qu'elle lèche et suce avec avidité, lui palpe longuement les seins en pinçant les pointes pour que plaisir et douleur se confondent. Elle ferme les yeux alors qu'une main s'appuie fermement sur son ventre, tandis que l'autre, après avoir frôlé l'intérieur de ses cuisses, vient brusquement se plaquer sur son entrejambes, sur le slip. Ce qui a un effet saisissant. Elle émet un cri rauque, écarte largement les cuisses, ses muscles sont tétanisés, elle se cambre afin de presser avec force son sexe contre la main qui l'enflamme.
Marielle se sent défaillir, se passe la langue sur la lèvre supérieure pour avaler quelques gouttes de sueur. Sa gorge est totalement desséchée, elle cherche de l'air dans l'ambiance lourde, moite, chaude et pesante de la salle. Elle est parcourue d'un violent frisson qui lui donne la chair de poule. Le processus qui va la conduire à l'extase est bel et bien amorcé.
Le massage se poursuit un long moment. Les mains s'activent. Celle sur le ventre, tantôt s'enfonce dans les parties molles, tantôt effectue un léger toucher circulaire autour du nombril. Celle dans l'entrejambe palpe les chairs sensibles du pubis à l'anus, en d'interminables allers et retours, s'humectant à chaque passage aux sécrétions dans lesquelles baigne l'étoffe noire de l'ultime rempart vestimentaire. Les plaintes, suffocations, râles, les halètements et sifflements respiratoires, les gémissements, exhortations, encouragements, les cris aigus, stridents ou graves, étouffés, rauques ou abyssinaux, emplissent tout le registre sonore de la pièce. Ce qui ne trouble ni l'un ni l'autre des deux protagonistes, mais intensifie au contraire leurs dévotions au culte de l'Amour.
L'homme tient une extrémité de la lanière du slip, l'étire, la décolle de plus en plus de la peau, mais le nœud résiste, les boucles ne bougent pas d'un pouce. Peut-être s'agit-il d'un leurre, d'un attribut factice cousu dans un but décoratif. Mais non, une fois le seuil d'élasticité atteint, le fil rendu résistant par l'humidité coulisse lentement au centre du nœud, se bloque une fraction de seconde en fin de course, et se libère tout à fait en une légère saccade. Après avoir appliqué la même procédure du côté opposé, le slip est lentement dégagé de la raie des fesses, en provoquant de délicieux chatouillis, puis retiré du théâtre des opérations.
Deux doigts ébouriffent la toison de fines boucles dorées, perlées de sudation, avant de pénétrer à l'intérieur de l'antre des jouissances. Ils n'ont aucune difficulté à s'ouvrir la voie tant celle-ci s'est préparée à leur introduction. Ils évoluent dans un milieu chaud, trempé, et souple à souhait. Ils avancent, reculent, s'écartent ou se rejoignent, se courbent, se plient, se raidissent, se retournent sur eux-mêmes, explorent chaque paroi, chaque repli, s'enhardissent dans leur évolution, fouillent, triturent, liment, pourfendent, laminent cette intimité qui se laisse conduire au plaisir. Le bouton clitoridien bénéficie d'une palpation tout aussi pointue, soit circulaire, soit linéaire, qui le maintient pressé contre le pubis, au point que son érection atteint assez rapidement le seuil critique.
Le soleil brille à nouveau et infiltre quelques uns de ses rayons dans la salle d'ostéopathie, illuminant le corps de la cliente allongée sur la table de manipulation. Comme s'il avait l'intention de reproduire sur elle un arc-en-ciel semblable à celui qui embellit l'horizon, ou de la marquer aux couleurs du plus pur diamant. La pluie tombe toujours, le diable marie ses filles.
Quel spectacle rare que celui d'une femme succombant à l'orgasme ! Et Marielle, en ce domaine, se considère privilégiée. Lorsqu'elle sent qu'elle va jouir, elle se crispe en poussant un long cri venu d'outre-gorge, se cambre à en faire craquer les articulations, serre les cuisses si brutalement que, transformées en mâchoires d'étau, elle broient les doigts introduits dans son sexe. Elle se place alors progressivement en chien de fusil, développe de nouvelles secousses, de nouveaux spasmes au fur et à mesure que les orgasmes s'enchaînent, puis sombre dans l'inconscience. Durant de longues secondes, elle est comme pétrifiée, sans voix, souffle suspendu, ce qui contraste d'autant plus avec ses réactions précédentes. Pas un signe de vie ne semble l'habiter, elle est à la merci de la petite mort, celle des auteurs libertins, sans autre préjudice que de soulager ses tensions sexuelles.
Au cours de sa carrière, le spécialiste es manipulations corporelles, en a vu d'autres. Ce n'est pas la première fois qu'il voit jouir une femme, mais celle-ci, indiscutablement sait se vouer aux plaisirs de la chair avec un art consommé.
Marielle reprend sa respiration en une longue et profonde expiration. Elle est pénétrée d'ultimes tressaillements post orgasmiques, se détend, planant dans un confort ouaté, un bien être sensoriel. L'ostéopathe relâche ses attouchements aux endroits les plus sensibles, puis frictionne méticuleusement toute la surface de la peau, comme pour lui restituer sa sensibilité initiale, supprimer toute imprégnation érotique, l'amener à l'état de neutralité originel.
- « Vous pouvez dire, mademoiselle... »
- « vous pouvez dire, madame... »
- « Que vous m'avez fait vivre un moment que je ne suis pas prêt d'oublier. »
- « J'en suis flattée » répond-elle en insistant sur la tonalité, avec un sourire espiègle en rapport au choix du mot qu'elle vient d'employer.
- « Oh ! Vous savez... je n'ai été que le troisième acteur de la scène, après l'orage et vous. »
Leur dialogue est interrompu à ce stade par la sonnerie de la porte d'entrée. Elle se rhabille encore un peu chavirée et ne saura jamais exactement ce que lui-même a sexuellement éprouvé.
Lorsque Marielle quitte l'immeuble, les jambes en coton, l'âme alanguie, le ciel a retrouvé le bleu azur immaculé, le soleil darde à nouveau ses rayons sur la ville. Seules quelques flaques d'eau éparses et quelques ravines boueuses, démontrent qu'il y a peu, un orage est passé par là.
Annotations
Versions