9. Analphabétisme
Le couvent s’éloignait des voyageurs et des mémoires, tandis que le Père et l’enfant se rapprochaient. Désormais, Lilith était sereine, se sentant en sécurité et ayant trouvé ses habitudes. C’est pourquoi sa curiosité enfantine commençait timidement à refaire surface. Ils avaient repris leur route. Le Père à l’avant, pour guider les chevaux et Lilith dans la calèche avec Messi, au milieu des affaires. L’un des sacs du convoi la narguait depuis plusieurs jours déjà, mais elle n’avait jamais osé poser de questions à son sujet. Pourquoi ce sac plus qu’un autre ? Les enfants sont, le plus souvent, de fins observateurs et Lilith n’était pas en reste. Il ne lui avait pas échappé que de tous les sacs de leur voyage, celui-ci était le seul à ne jamais descendre de la calèche. Les autres contenaient divers objets indispensables du quotidien : couvertures, nourriture, médicaments. Le médecin prenait toujours soin de garder ces derniers près de lui afin de les avoir à l’œil. Ces produits miracles faisaient toujours un beau butin pour les malhonnêtes de passage. Mais ce sac-là, pourquoi restait-il dans la calèche ? Aujourd’hui il était perché au sommet, au-dessus de la pile de bagages, dans un équilibre précaire. Lilith le scrutait espérant sans doute y déchiffrer les formes que lui donnait son mystérieux contenu. Elle s’en rapprocha, sans même sans rendre compte, quand soudain l’une des roues de la calèche roula sur un nid de poule, rompant l’équilibre du convoi et de ses occupants. Le sac se renversa sur Lilith dont le cri alerta le Père qui lâcha ses rênes et se précipita vers elle.
- Lilith, tu n’as rien ?
Elle secoua la tête un peu sonnée. Elle était au beau milieu d’une marée de livres. Elle se saisit d’un, à l’envers, avec une main, puis d’un deuxième de l’autre main.
- C’était ça qu’il y avait dans ce sac ?! La réplique de l’enfant amusa le religieux.
Il l’aida à se déterrer des livres et elle se releva, puis, ils rangèrent les volumes. Lilith regardait consciencieusement ceux qu’elle prenait avant de les remettre dans le sac. Le Père Gabriel, observant son manège, lui demanda :
- Tu veux en garder un avec toi, pour t’occuper pendant le voyage ? Je n’ai pas de livre pour enfant ici, mais la Bible pourrait t’intéresser. Les récits y sont beaux. Il lui tendit le volume, soutenant son regard.
Lilith se montra hésitante, gênée. Presque réticente. Le religieux s’en voulut, il avait agi sans réfléchir en lui tendant la Bible d’un geste un peu autoritaire. Leur premier vrai échange daté de la veille et il craignait d’avoir fait le faux pas. Celui qui la fasse se renfermer de nouveau, avec un risque de non-retour.
- Mais si tu n’en as pas envie tu as le droit de refuser, s’empressa-t-il d’ajouter, c’était juste une proposition.
Elle baissa la tête, penaude.
- Je ne sais pas lire.
La peine se lisait sur ses traits. L’homme fut étonné de cette annonce. La question ne lui avait jamais effleuré l’esprit, pour lui, c’était une évidence, les enfants élevés par des religieux bénéficiaient toujours d’un enseignement complet.
- Les sœurs ne t’ont jamais appris ?
Lilith secoua la tête, l’air encore plus abattu devant la surprise du Père. Il s’en aperçut et tenta de se recomposer un visage avenant et rassurant.
- Je peux t’apprendre si tu en as envie.
L’enfant releva la tête, les yeux brillants, son visage passant de la tristesse à l’étonnement avant de s’illuminer d’un sourire reconnaissant. Sans le vouloir, cet homme lui avait fait le plus beau des cadeaux.
Dès lors, les cours commencèrent de façon quotidienne, les aidant à apprendre l'un de l'autre.
Ils se rapprochaient de leur but également, toujours plus au nord ; l’air ambiant se rafraîchissait avec la vigueur d’un cheval au galop.
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