Lilith sentait le regard du Père Gabriel vrillé sur elle. Quand elle lui adressa un signe de la main depuis sa cachette, pour ne pas être repérée par Messi, un sourire mélancolique, mais sincère se dessina sur son visage. Elle savait qu’il était préoccupé depuis plusieurs semaines déjà, mais n’avait aucune idée de la raison de son amertume. Il était plus qu’une évidence pour elle qu’il ne s’agissait absolument pas d’un patient comme il l’avait prétendu. Elle mettait un point d’honneur à suivre l’état de chacun des patients et savait pertinemment qu’aucun d’entre eux ne présentait un état à la mesure des préoccupations du Père, bien qu’il ait toujours fait grand cas de chacun de ses malades.

Elle soupçonnait de près ou de loin le paquet reçu. Mais sans certitude. La tension de son bienfaiteur était montée graduellement peu après. De plus, n’ayant connaissance ni du contenu, ni de la provenance du dit paquet, elle ne pouvait faire aucune conjecture sur le sujet. Elle avait vu le mystérieux colis dans le bureau du Père et bien que l’idée de venir vérifier ses hypothèses à la source supposée ait fait une brève apparition dans son esprit, jamais elle n’eut la moindre intention de la mettre à exécution. Jamais elle ne trahirait la confiance qu’il lui portait.

- Trouvée, la fit sursauter la voix du commandant Matty tout sourire tandis que Messi lui sauta dans les bras laissant là ses divagations.

- C’est de la triche ! Asséna Lilith avec un large sourire. Vous êtes deux contre un. Et Messi a du flair.

- Je te l’accorde, mais pour ce qui est de l’accusation de tricherie je rejette toute responsabilité, dit-il, faussement outragé. On n’a jamais établi de règles du jeu, donc pas de règles, pas de triche !

Il vint s’assoir près de Lilith, en ébouriffant la tête de Messi.

- À quoi pensais-tu ? Tu avais l’air très absorbée. Tu ne nous as même pas vu approcher, se moqua-t-il.

- Au Père Gabriel, dit-elle simplement comme si cela aurait dû être évident. Je trouve qu’il a un comportement étrange en ce moment. Il semble soucieux.

Ne s’étant pas attendu à obtenir une réponse, il fut pris de cours et opta pour une réponse rassurante.

- Il a beaucoup de responsabilités ici, tu sais. Être médecin ce n’est pas de tout repos, surtout chez les militaires. Comme elle ne semblait pas convaincue il ajouta, ne t’en fait pas pour lui, il sait prendre soin de lui.

- Il passe la moitié de son temps auprès des malades et l’autre moitié à s’occuper de moi, comment pourrait-il prendre soin de lui ?

- C’est sa façon de vivre, il a besoin de s’occuper d’autrui pour donner un sens à sa vie. Son côté religieux, je suppose.

- Je ferai comme lui plus tard.

- Religieuse ?! S’étonna le commandant. Tout le camp connaissait désormais l’histoire de Lilith, il l’avait appris durant les mois passés tous ensemble entre entraînements, repas et infirmerie.

- Non, sûrement pas sursauta-t-elle mi-effrayée, mi-amusée par l’idée. Je soignerai les malades et m’occuperai de lui comme il le fait pour moi.

- Tu veux devenir infirmière, Lilith ? Interrogea Matty le regard compréhensif.

- Non, je veux devenir médecin.

- Mais il n’y a pas de femme médecin ! Répondit-il à son insu. Il ne doutait ni de la volonté, ni de la compétence dont elle faisait déjà preuve à l’infirmerie. Mais il soupçonnait la difficulté que ce serait de devenir médecin pour une femme dans un milieu dominé par les hommes. Les railleries, les difficultés la guetter si elle voulait suivre cette voie et elle avait déjà tant connu la solitude auparavant qu’il avait peur du mal que l’on pourrait de nouveau lui infliger.

- Il n’y a pas non plus d’enfant à l’armée, répondit-elle en souriant malicieuse, pourtant je suis là.

- Commandant Matty ? Le général vous attend, vous et tous les gradés, les interrompit une voix.