Betrayed

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Lovée dans une fourrure, elle dort profondément. À défaut de la voir, j’entends son souffle régulier. Son corps se soulève en ondulations ordonnées, rien ne perturbe son sommeil. Le mien aussi a été profond, plus que d’habitude. Certains fantômes ne sont pas venus m’emmerder, peut-être que les échanges d’hier soir les ont chassés. Volatilisés à l’aube d’un nouveau jour, d’une nouvelle confiance… d’un amour plus fort que leurs spectres.
Je voulais y croire, j’y crois.
Je sais pourtant qu’il en reste un, mais je l’ai mis à jour. Son voile s’estompera en lèvres tremblantes, en accolades, en mots que l’on ne pense jamais à dire, en larmes aussi.
J’y crois, j’y croirai jusqu’au bout.

Je regarde l’heure : 4.47. La nuit va bientôt perdre son combat, j’ai envie d’assister à ce dernier round. Doucement, je monte jusqu’à la chambre de Roberto, passe la tête par la porte. Billy, Gardien immuable des nuits de mon bonhomme, lève son museau puis le repose entre ses pattes en signe que tout va bien. Cette bête n’accorde sa fidélité que difficilement, elle est à toute épreuve une fois donnée. Je m’approche, prend le petit dans mes bras et l’emmitoufle dans mon blouson.
Dehors, le ciel s’irise d’un trait blanc par-delà les collines. Je presse le pas en direction du lac. Une quinzaine de minutes me sont nécessaire pour enfin arriver au bord de la verticalité d’un pan rocheux. Roberto se réveille alors que je m’assieds.
– On est où papa ?
– Au bord du lac pour un spectacle que tu n’oublieras pas.
– Blue n’est pas là ? Ni Billy ?
– Non, ils dorment. Nous ne sommes que tous les deux. Regarde, mon fils…

Je le cale sur mes genoux, ensemble nous attendons le « ding » final.
Il se produit dans une cacophonie de couleurs, dans le silence invisible, dans des étoiles plein les yeux. Le noir s’électrocute sous les coups de butoirs, se fragmente, se dissout. Pourtant, il résiste, distribue d’ultimes zébrures sombres, s’accroche en marbrures, mais, au bout de son inéluctable perte, il agonise son combat et disparaît dans la blancheur du jour naissant.
Roberto serre mes doigts. Nous ne parlons pas, muselés par l’éclat, aphasique devant la naissance.
Nous restons à attendre je ne sais quoi, lorsque…
Une détonation au loin déchire l’aube… une autre.
Ensemble nous tournons la tête en direction du ranch plus haut. Les bruits venaient de là-bas. J’aperçois de la lumière, deux rayures furtives qui s’évanouissent sur l’instant. Elles me font penser à un halo de phares de bagnole.
Que se passe-t-il ?

Je me lève d’un bond, Roberto s’accroche à mon cou et passe dans mon dos. J’entame la remontée au pas de course, sans m’arrêter pour souffler. Des branches giflent mes flancs, déchirent mon jean, ma chemise. Une déstabilise Roberto, il serre plus fort, me dit que ça va. Le sentier s’efface sous mes pas, plus que quelques mètres et j’arrive en bas du chemin de la maison. La voiture d’Émilie stationne à proximité du portail, la portière conducteur est ouverte. Je continue ma course, passe à côté du Mitshu. Deux pneus sont crevés… les deux coups de feu. Roberto descend de sur mon dos, je lui ordonne de rester caché sous l’escalier de l’entrée.
La porte est ouverte, j’avance lentement à l’affût du moindre bruit. Tout est à sa place à part une chaise renversée du salon. J’inspecte la cuisine… rien. Un hurlement en provenance du sous-sol. C’est Billy. Je me précipite, ouvre la porte de la remise des fourrures. Le coyote me saute dessus, me lèche le visage, je le repousse.
Comment Billy s’est retrouvé enfermé ?
La pièce est dévastée, il s'en est donné à cœur joie.
Avec le chien sauvage dans mon sillage, je file à l’étage. Lui aussi est vide, comme la maison. Les Yeux Bleus a disparu… avec sa sœur.

Un bruit de voiture à l’extérieur, une portière qui claque… J’avale l’escalier, sors et me retrouve nez à nez avec le propriétaire.
– What the fuck is this? Interroge-t-il. I heard gunshots !
– What ! Are you sure ?
Ma réponse le déstabilise un peu. J’en rajoute en disant que je n’ai rien entendu, que peut-être ces bruits venaient d’ailleurs. Perplexe, il se décale et jette un regard à la maison. Rien ne semble retenir son attention. Il s’excuse en me tendant la main. J’en profite pour lui demander s’il a vu la personne qui conduisait la voiture d’Émilie. Il me répond que non, mais qu’il a croisé deux hommes à bord d’un Suburban avec l’avant défoncé, un gros et un maigre.
Une grimace déforme mes mâchoires. Je serre les poings alors que Roberto vient se coller à moi. En le voyant, le propriétaire lui passe la main dans les cheveux et s’en va.
Merde, Marco et Fat Pool… Comment ces enfoirés ont-ils fait pour nous retrouver si vite ?
La question reste en suspens, mais je ne peux m’empêcher de penser à Les Yeux Bleus.

Elle s’est faite enlevée. C’est elle qui s’est battue. Seule contre ces… Non, elles étaient deux avec Émilie.
Mais, que faisait-elle ici ?
Je ne savais pas qu’elle devait venir aujourd’hui, surtout de si bonne heure.
Qu’a-t-elle à voir avec les deux porte-flingues de Tony ?
Tout s’embrouille, je n’arrive pas à réfléchir et me force à tout remettre dans l’ordre. Je remplis les cases les unes après les autres.
L’assassinat de Carla, Roberto, la protection durant quatre mois, ces deux abrutis de Marco et Fat Pool qui ne savent pas que Les Yeux Bleus est la fille d’un gars descendu par Tony, notre cavale, Émilie et son regard qui ne ment pas. Je sais qu’elle vit depuis peu en Californie, mais n’y est pas heureuse. Puis, les deux jumelles qui se rabibochent en un clin d’œil après tant d’années. Enfin, cette disparition.
Qu’est-ce qui ne va pas dans tous ces évènements ?
Et les Blues Brothers, que venaient-ils faire ici ?
Je parierai que c’était pour récupérer Roberto, mais il n’était pas là. Je comprends aussi pourquoi Billy s’est laissé enfermé dans la pièce du bas, il est habitué à leur présence. Ils n’ont dû avoir aucun mal à l’y traîner.
Et comment ont-ils réagi en voyant les jumelles, deux filles de la même famille ?
Famille… Ça ne fait qu’un tour dans ma tête. Merde… Ceux qui veulent la place de Tony les bras longs, ceux qui veulent tuer toute sa famille, ne sont autres que ceux qui partagent le même sang que Les Yeux Bleus.

Émilie n’est pas en Amérique par hasard, non, au contraire. Je me suis fait berner et sa sœur aussi. L’évidence me frappe. Cette fille, sous ses fausses apparences, n’est autre que celle qui supervise les actions commando contre les tripots de Tony.

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