Passe en avant

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De Saint-Sernin, je ne garde en mémoire que les ruelles étroites qui me servaient d’échappatoire. Aucune n’avait de secret que je ne connaissais, j’y vivais et magouillais en terrain conquis.

Combien de fois m’ont-elles servi à passer au travers des mailles du filet qui se resserrait sur moi ?

Je n’en sais rien.

Je m’y perds aujourd’hui et allonge volontairement le trajet qui me conduit chez mes parents. Je tourne, vire, file rue de l’Esquille, m’éclipse dans Montoyol. Les façades décrépies succèdent aux briques rouges, les grilles de protection dilapident leur rouille en suintements. Rien n’a changé. Pas même le portail de l’institut de coiffure devant lequel je frayais. Marsh la belle gueule, le bad boy, un aimant à fille… tu parles. Plus loin, deux ou trois gosses du quartier poussent devant eux un ballon fatigué et jouent avec l’étroitesse des murs pour éliminer un adversaire invisible. J’ai l’impression d’avoir encore leur âge et de m’épuiser en courses folles. La balle m’arrive dans les pieds, je la renvoie. Un « merci m’sieur » résonne contre les murs, puis le jeu reprend. Les rebonds, claquent en coup de feu et me propulsent à l’enfance que j’ai esquivée. Je ne sais pas si je me sens bien, si ce retour à la source apaisera les remords de mon passé. Je ne sais qu’une chose, c’est qu’il est nécessaire, indispensable.

D’un côté, le place du Capitole affiche sa bourgeoisie, je la laisse à ceux qui la méritent et part à l’opposé. Un ultime détour, encore un passage… non. Une petite main blottie dans la mienne s’impatiente.

– Papa, on est bientôt arrivé ? me demande Roberto.

Je m’arrête et m’accroupis. Les Yeux Bleus m’adresse un regard qui me fait comprendre qu’elle aussi en a marre de tourner en rond en tenant Billy en laisse. Je tends le bras.

– Tu vois les volets marron au premier étage après la voiture blanche ? C’est là.

Il hoche et reprend :

– Tu as peur ?

– Oui, mon fils. Si vous n’étiez pas là…

La porte s’ouvre sur un visage connu. La douceur de ses traits ne s’est pas estompée, elle est belle, plus que dans mes souvenirs. Je crois que je n’ai jamais vu de sourire aussi radieux. À lui seul, il allume les étoiles. Son regard me fouille puis il suit Les Yeux Bleus et descend sur Roberto. Elle porte les mains à sa bouche, étouffe un cri. Je le sais de bonheur. Sa main se pose doucement sur ma poitrine, comme pour vérifier que je suis là. Peut-être croit-elle que nous sommes des fantômes. Je lui prouve le contraire en l’attirant contre moi.

Derrière moi la porte se ferme, elle ne claque pas.

Je crois qu’elle m’attendait… non, j’en suis sûr.

Vingt minutes plus tard, je ressors et déboule les escaliers. Je rejoins la voiture en courant et file vers le stade des Minimes.

– Ton père est là-bas, il entraîne son équipe de rugby, m’a-t-elle dit. Va le rejoindre et ne rentrez pas avant demain matin. Avec Patricia et Roberto nous avons tant à nous raconter.

La pelouse, d’un vert éclatant, voit s’ébattre une mêlée ordonnée sous les directives d’un homme en survêtement. À son commandement, l’ovale de cuir s’expulse en ogive tourbillonnante et finie entre les mains d’un trois-quart. Le gars s’élance, évite un plaquage puis passe le ballon à un équipier avant de se retrouver enseveli par une horde d’adversaires. Un coup de sifflet retentit, mettant fin à l’action.

– En avant, ta passe est en avant ! gueule l’entraîneur en mimant le geste.

Je m’accoude à la balustrade entourant le terrain et le regarde courir de droite à gauche. Lui non plus n’a pas changé. L’investissement qu’il déploie n’a pas faibli. Sa passion l’a même emporté sur le gendarme qu’il était. Ma mère m’a dit qu’après ma libération, il avait quitté le service pour se focaliser sur le métier de coach et que cela lui avait réussi. À le voir, elle ne se trompe pas.

Je passe sous la rambarde, foule le gazon. Il se retourne lorsque je ne suis plus qu’à quelques mètres de lui. Il me reconnaît, marmonne des mots que je n’entends pas, puis lâche le ballon qu’il tient.

Ce sont d’abord des pas hésitants qui nous rapprochent. Petit à petit ils s’accélèrent… On s’accroche l’un à l’autre. Unis en ultime lien, indéfectible, plus fort que tout.

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