Chapitre I - Emotions Marines

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C’est ce que je préfère, généralement. Ne pas trop faire de vagues. En parlant d'océan, ça me donne des idées. Enfin, je sais que j'ai été prise pour une imbécile, essayer de lutter n'y changera rien. Cette seule pensée me met hors de moi et, malgré mon comportement habituellement affable, je claque violemment la porte de l'agence en sortant.

Je croyais que cette petite mort venait de la routine, de mon quotidien devenu fade. Mais en réalité, c’était l’affaire de mon couple.

Charlène & Matthieu, tu parles.

Nous avions mis six mois à préparer ce déménagement, mais avec tout ça, aujourd’hui me semble le bon moment pour partir. Même seule.

Car je ne veux plus les voir, ni revoir chaque jour cet environnement figé qui m’étouffe jour après jour. Je veux partir loin. Très loin.

En parlant de vagues, disais-je… Est-ce qu’à tout hasard je pourrais filer jusqu’à la côte atlantique, moi qui suis déjà au volant de cette Mini Austin ? Pas si sûr. Mais je m’en fiche royalement : l’important n’est pas là. Il faut que je me sauve.

Ayant enfin retrouvé les clés de voiture, enfouies au fond de mon sac à main, je m’arme de courage, m’empare de la bouteille d’eau restée au frais dans le coffre et m’installe confortablement avant d’ajuster le GPS.

Le choix de la destination n’a jamais été aussi bête : je ferme les yeux et désigne un endroit au hasard sur la carte routière. Je tombe pile sur la région Charente-Maritime. En traçant un trait horizontal jusqu’à la mer, cela m’amène à Châtelaillon-Plage, entre La Rochelle et l’île d’Oléron.

Soulagée, je réalise que je n’ai jamais entendu parler de cet endroit. Tant mieux. Je préfère éviter le tourisme de masse.

Heureusement, la météo s’annonce clémente sur toute la France aujourd’hui. De toute façon, je ne me serais pas arrêtée à ça — je me connais trop bien. Grâce à toutes ces aventures un peu dingues qu’on a tentées, lui et moi…

La colère a laissé place à l’acédie. Pour ainsi dire, je dois l’oublier coûte que coûte. Lui qui, autrefois, se faisait passer pour l’ultime rempart contre ma solitude. Quelle trahison. Il fricote avec ses salariées ? En plus, une stagiaire… Un sanglot s’échappe malgré moi.

Je me lâche au volant, chantant en même temps la litanie de notre amour désuet. Ni une ni deux, je balance par la fenêtre cette maudite cassette où traînasse cette foutue mélodie.

Faisant l’impasse sur la musique, je décide alors de m’offrir une cigarette que je n’ai pas fumée depuis deux ans. Allez, je bifurque sur la prochaine aire d’autoroute où ils en vendent.

Un quart d’heure plus tard, la fumée blanchâtre envahit l’habitacle et la nicotine m’apaise instantanément.

Je dois l’avouer : ce voyage m’est très utile. Il me va si bien… Contrairement à mon mascara, qui, lui, a coulé. Bref.

Après m’être soigneusement démaquillée, j’aperçois un chauffard qui me fait de l’œil. Ils pensent peut-être que je vais me jeter dans leurs bras ? Sauf qu’avec des muscles pareils, dans l’absolu, je ne dirais pas non…

Non mais sans blague. Je divague. Ce doit être les vapeurs de la veille. Reprenons nos esprits.

On en était où ? Ah, oui. Encore une bonne vingtaine de kilomètres et me voilà arrivée.

Je n’y crois pas : ce sable fin, cette eau cristalline… Ce pur moment de bonheur durant lequel la plage me bouscule, pensive. J’y suis enfin.

Les reflets irisés du rivage se mêlent au bruit des vagues. Le vent souffle sans cesse, accompagnant le va-et-vient des mouettes, ici et là.

Après avoir longé le sentier entre les feuillages, je découvre la mer, stilettos à la main. J’observe le paysage, éblouie par tant de beauté, les pieds dans le sable chaud.

Je baisse la tête pour éviter les coquillages que je ramasse au gré de mes envies. Je capitule. Je baisse la garde. Je cesse de vouloir me battre. Je ne pense à rien, oublie tout. Et lâche prise. Personne à l’horizon.

Je relève le menton et aperçois une maisonnette perchée au sommet de la dune d'en face. Mais je préfère faire demi-tour afin de profiter des derniers rayons du soleil qui réchauffent mon visage hâve.

Bien que je sois un peu perdue, je réalise combien je ne m’étais jamais sentie aussi bien. Cela ne m’était pas arrivée depuis longtemps.

Mes pieds caressent maintenant le souffle de l’eau, cette eau qui s’avance et recule à mesure que j’y pense — une présence…

Je me retourne et ne vois rien.

À en croire les couleurs du ciel, un beau coucher de soleil s’annonce avant demain. Je songe à repartir, même si quelque chose attise ma curiosité. Cette petite maison, là-haut, est-elle habitée ? Si j’allais voir ?

De la musique ancienne s’échappe de l’intérieur, comme un vieux vinyle.

Je regarde une dernière fois la mer, comme pour lui dire adieu — et décide de ramener du sable dans ma bouteille d’eau, désormais vide.

Tête baissée, je me retrouve soudain terrassée par… surprise ! Une énorme boule de poils !

Que croire ?

Un superbe berger allemand m’invite à jouer avec lui. Je ramasse le bâton sur lequel j’ai failli trébucher et le lui lance avant de quitter la plage.

Tandis que je lui tends le bâton une seconde fois, je remarque enfin le collier qui entoure son cou. Un petit médaillon y est suspendu, abîmé par l’eau salée. Curieuse, je m’agenouille et le saisis délicatement.

Un petit morceau de papier, plastifié et roulé à l’intérieur, y est dissimulé. Je le déplie avec précaution.

« Si tu lis ceci, c’est que tu es prête. »

Mon cœur fait un bond, dans un mélange de surprise, d’émotion et d’incompréhension.

Je reste figée. Qui a écrit ça ?
Le chien m’observe, la tête penchée, comme s’il attendait une réponse.

Je ris doucement, un peu déboussolée, presque émue.
C’est peut-être un hasard. Ou peut-être pas.

Décidément, il me reste encore beaucoup de choses à apprendre.

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