I.
La jeune fille était assise sur le parquet froid de sa chambre, appuyée nonchalamment contre le cadre de la lourde porte de sa chambre. Une longue mèche de ses cheveux dorés entre ses doigts, elle arborait cet air absent de ceux dont l'esprit est en proie à la mélancolie. Trois coups secs résonnèrent derrière elle, lui arrachant un soupir.
Se relevant sans précipitation, la jeune fille y répondit d'une voix terne :
« Entrez, mère.
La porte s'ouvrit, dévoilant une figure mince et hâve, au visage émacié encadré de cheveux blonds striés de blanc. La marquise était de ces femmes dont on n'aurait su leur donner un âge : le front haut, les pommettes saillantes et la bouche bien dessinée, aux lèvres peut-être un peu fines, révélaient une ancienne beauté, désormais ternie par une vie de retenue et de colère enfouie.
« Séléné, dit-elle en posant sur elle un regard dénué d'une quelconque empathie.
L'intéressée, le menton levé dans une attitude de défiance, plongea ses yeux avec colère dans ceux de sa génitrice.
Celle-ci soupira et s'avança vers la coiffeuse d'ébène dans un coin de la pièce puis tendis la main vers sa fille :
« Approchez, vous êtes décoiffée.
En effet, le chignon compliqué que les servantes avaient passés des heures à confectionner avec soin partait en lambeaux.
Séléné approcha sans mot dire et s'assit sur le tabouret de satin rouge. Elle observa un moment le contraste saisissant du tissu de ce dernier avec le bleu pâle de sa robe de réception.
La marquise saisit une brosse et entreprit de démêler son épaisse chevelure bouclée avec soin. Elle avait toujours été avare de contact humain, répugnant les caresses et les câlins qu'un enfant partageait habituellement avec sa mère, et ce rare moment d'intimité avait été dans l'enfance de Séléné une source de réconfort et d'apaisement. Aujourd’hui pourtant, il ne fit qu'agrandir la boule qui avait pris forme dans son ventre des heures auparavant.
« Je n'irai pas à cette réception.
Cette phrase, elle l'avait répétée à ses parents de nombreuses fois déjà. Elle avait un goût amer dans sa bouche.
La brosse à cheveux produisit un bruit sourd lorsque sa mère la déposa sur la coiffeuse. Un peu violemment peut-être.
« Nous en avons déjà parlé. Cette cérémonie n'est qu'une étape à passer. Vous avez déjà vingt-et-un an, nous n'avons que bien trop retardé ce moment déjà, dit-elle avec froideur. Nous n'avons plus le droit à l'erreur.
Séléné siffla entre ses dents avec colère :
« Vous pouvez parler ! Nous savons toutes deux que la seule raison qui vous a empêché de me marier auparavant est que la famille est si endettée que vous n'êtes pas capables de me prodiguer une dot convenable et que le seul homme ayant finalement accepté de prendre ma main le fait pour hériter de vos titres de noblesse !
La jeune fille se leva, furieuse et s'avança vers sa mère, élevant la voix :
« De Morency est un porc immonde mais ça ne vous pose aucun problème car il est riche et qu'il a des amis haut placés à la cour. Le fait qu'il ait plus de trente ans de plus que moi ne vous gêne pas le moins du monde, pas plus que le fait que sa dernière épouse ait succombé dans des circonstances douteuses !
Plus bas et avec une amertume et une méchanceté voulue elle lui lança perfidement :
« Je ne tiens pas à finir comme vous, à m'enfermer dans ma chambre chaque soir pour pleurer ma jeunesse perdue et les infidélités de mon mari. »
La claque partit toute seule. Le bruit résonna dans la pièce comme celui d'un verre brisé.
Séléné ne bougea pas, les larmes qui embrumaient ses yeux glissèrent le long de ses joues blanches, l'une désormais marquée de rouge.
Pendant un instant, sa mère, les lèvres pincées de colère et le front barré par une ride qui n'y trouvais normalement pas sa place sembla sur le point de dire quelque chose.
Puis elle se détourna en soupirant et repris un visage impassible.
« Ce mariage aura lieu que vous le vouliez ou non. Je ne vous laisserai pas tout gâcher à nouveau.
Tendant une main un peu tremblante, elle écarta une mèche du visage de la jeune fille.
« Laissez vos cheveux détachés, ils sont très beaux, profitez-en en. Rendez-vous dans le grand salon dans une demi-heure, et ne soyez pas en retard je vous prie.
Puis elle tourna les talons sans attendre de réponse.
Séléné la regarda s'en aller, la joue brulante et le souffle court. Lorsqu'elle eut quitté la pièce, elle attrapa un vase posé sur sa commode et le jeta avec un cri de frustration contre la porte.
L'objet se brisa en mille morceaux et répandit son contenu au sol pitoyablement. Des pivoines, ses préférées.
Ses jambes cédèrent et elle s'écroula au sol sans résistance. Les larmes qu'elle avait retenue depuis des mois, par fierté, s'écoulaient de ses yeux en un flot ininterrompu. Elle resta là un instant, le visage caché dans ses genoux, tachant de se calmer un peu.
Un scintillement attira soudain son regard sur la coiffeuse. Une paire de ciseaux dorés qu'une des servantes utilisait pour la couture et qui avaient été oubliées là.
Sans lâcher l'objet des yeux elle se leva et se planta devant la glace. Alors, elle s'en saisit, attrapa une de ses longues mèches dorées et coupa. Court. Puis elle fit de même avec une autre, puis une autre encore. Les mèches tombèrent, une par une, semblables aux pétales d'une rose fanée.
Finalement, elle fixa son reflet. À travers ses yeux brouillés de larmes, elle observa son travail. Les mèches étaient courtes et désordonnées, certaines ne dépassaient même pas sa nuque.
Alors, enfin, elle sourit, fière. Ses parents allaient la tuer.
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