IV.

7 minutes de lecture

Cette nuit fut sans doute l'une des pires de la vie de Séléné. Ses parents la châtièrent durement, au point où elle en garda un bleu sur la joue pendant plus d'une semaine et où sa lèvre inférieure fut fendue.

Il n’avait pas suffi que leur progéniture indigne les humilie, il fallait également qu’elle se défigure en coupant ses cheveux !

(Mal)heureusement, comme la jeune fille l’avait supposé, De Morency s’était laissé convaincre et le mariage aurait bel et bien lieu. Pire encore, il se déroulerait dans moins de deux mois… Il lui fallait reconnaître que ses parents avaient un fin talent de négociateurs (mais n’était-ce pas là après tout le propre des nobles désargentés ?)

Sa mère, lui réservait depuis un traitement mêlé de silence et de mépris, ce qui, pour être honnête, ne changeais pas grand-chose à d’habitude et sous certains aspects était même reposant.

Ses cheveux avaient été coupés de façon plus uniforme et Séléné se rendit assez vite compte que ce changement lui plaisait bien, ne serait-ce que pour l’aspect pratique de la chose. Pour le mariage, il fut cependant convenu qu’une de ces coûteuses perruques parisiennes serait achetée.

Cela faisait quelques semaines maintenant que Séléné n’avait pu se rendre dans la forêt. Elle était désormais surveillée de toutes part et s’esquiver était simplement devenu impossible.

Quant à ce Léandre Erebus…

La jeune fille avait mené des recherches : posé des questions aux domestiques, à son père et à sa mère, sans succès. La véritable identité de l’homme restait désespérément inconnue et Séléné ne parvint qu’à s’attirer des ennuis en posant des questions à propos d’un individu masculin.

Seule une vieille servante fut plus ou moins capable d’apporter une bribe de piste : un marquis (ou était-ce un comte ?) avec un nom à peu près semblable à celui-ci aurait vécu dans les environs quelques siècles auparavant et la lignée se serait éteinte sans qu’on ne sache véritablement comment.

L’indice était mince et hautement improbable si la famille avait bel et bien disparue mais c’était toujours cela de pris.

En attendant, Séléné prenait son mal en patience, soignait ses bleus et attendait avec impatience le moment où la garde de la maisonnée se relâcherait et où elle pourrait à nouveau respirer l’air de la forêt. Ici, elle étouffait sous le taffetas et les broderies, la simple vision des éventails poudrés et des perruques parfumées que portaient les invitées de sa mère lui soulevaient le cœur.

Alors, elle passait sa journée dans la grande bibliothèque à dévorer les romans d’aventure qu’elle avait déjà lu cent fois mais qui restaient plus surprenants que sa vie monotone.

Ce jour-là, assise dans un vieux fauteuil de satin rouge, Séléné tournait ainsi distraitement les pages de son livre tout en jetant des coups d’œil envieux au palefrenier en train d’étrier le chevaux de la calèche dans la cour. On ne la laissait plus approcher de l'écurie en ce moment.

La porte s’ouvrit soudain à la volée, laissant entrer une tornade de boucles blonde qui lui sauta dans les bras, manquant de la faire tomber à la renverse.

« Séléné ! » s’écria joyeusement la petite fille. « Je t’ai cherchée partout, tu veux jouer aux dames avec moi ?

« Ariane, tu m’as fait peur enfin ! la sermonna gentiment Séléné.

Les grands yeux bruns suppliants de la petite lui arrachèrent un petit rire amusé. Elle savait toujours comment la prendre par les sentiments.

Etouffant un bâillement, la jeune fille se leva et rangea son livre dans la bibliothèque.

« C’est d’accord, mais ramène le jeu ici. Mère a des invités et elle ne tient pas à ce que ces derniers puissent avoir un aperçu de mes talents de coiffeuse », dit-elle dans un sourire.

Ariane gloussa et passa la porte en courant, ses longs cheveux blonds flottants derrière elle.

A part pour la couleur des yeux, que Séléné avait gris orage, les deux sœurs se ressemblaient énormément et du haut de ses sept ans la petite savait déjà user de ses charmes. Elle était de plus bien plus docile et sociable que son ainée, ce qui ravissait ses parents.

Ces derniers l’avaient toujours surprotégé et pour cause : il s’agissait de la dernière-née de la famille des Roserot, mais surtout, sa mère avait perdu avant elle trois nourrissons, deux en couche et le dernier d’une pneumonie, quelques mois après sa naissance.

Séléné elle-même l’aimait par-dessus-tout et elle était l’une des raisons qui la poussait à ne pas quitter la maison sur le champ pour tenter de mener sa vie ailleurs.

Ariane revint bien vite avec le plateau et les pions et la partie commença. Deux heures passèrent ainsi, et bien vite le soleil se coucha. Finalement, la fillette se leva et alla embrasser la joue de sa sœur.

« Tu sais, je te trouve jolie comme ça moi », lui glissa t’elle doucement. « Me promets tu de venir me voir quand tu seras mariée ?

Le cœur de Séléné se serrât de chagrin et elle prit l’enfant dans ses bras.

« Je te le promets.

Heureuse, Ariane quitta la pièce avec le même entrain dont elle faisait toujours preuve et se dirigea vers la salle à manger.

Séléné mangea quant à elle seule dans sa chambre, comme l’avait exigé ses parents. S’il lui pesait terriblement d’être traitée comme une petite fille désobéissante à presque vingt-deux ans, il lui fallait pourtant s’y résoudre. Une femme noble non mariée restait un enfant à vie… Au moins de ce côté les roturiers avaient de la chance : les femmes de leur milieu disposaient d’un peu plus de liberté et obtenaient un peu plus de considération qu’un vulgaire meuble de salon.

Ce fut ce soir même, un peu après minuit, que Séléné eut enfin l’occasion de retrouver l’air frais.

Le pauvre serviteur qui s’était vu attribuer sa garde n’était pas à son poste, pour une raison ou pour une autre. Sa fenêtre était cette fois-ci laissée sans surveillance.

Etouffant à peine un cri de jubilation quand elle s’en aperçût, la jeune fille alla vite chercher les habits masculins qu’elle cachait sous son lit et les revêtit avec délectation. L’air étant encore frais en cette fin de mois de février, elle pris également soin de s’enrouler dans une épaisse cape doublée de fourrure, trop grande pour elle mais qui avait l’avantage d’être chaude et de recouvrir son visage lorsqu’elle en rabattait le capuchon.

Après avoir ouvert la fenêtre avec milles précautions et scrutés les alentours de longues minutes, elle enjamba le rebord et après s’y être suspendue, se laissa tomber dans l’herbe avec souplesse. La fenêtre n’était qu’au premier étage et son agilité lui permettait d’y remonter sans problème en s’aidant des structures de la façade de la belle demeure. Elle avait élaboré ce stratagème depuis ses quatorze ans et le répétait d’ordinaire plusieurs fois par semaine, quand ses parents s’absentaient, affairés à la cour ou chez des amis. Elle s’était bien fait prendre trois ou quatre fois, mais généralement elle pouvait s’esquiver sans problème.

Elle se rendait ainsi parfois au village le plus proche et flânait dans les rues, dissimulant son apparence sous une cape ou allait faire un tour dans la forêt à cheval. Bien sûr, le plus souvent elle se rendait simplement à la clairière et y passait quelques heures avant de rentrer chez elle, apaisée.

Elle sortait parfois la nuit, parce qu’elle appréciait particulièrement le calme et la sérénité de cette dernière, mais elle restait alors toujours sur les terres de sa famille. Cette fois-ci en revanche, elle avait d’autres projets.

Elle s’approcha silencieusement de l’écurie et entra dans le box de sa jument noire qui vint la sentir en quête d’une friandise.

L’animal, un frison de pure race, était une des seules possessions véritablement coûteuses qu’elle n’ait jamais eues, cadeau d’anniversaire pour ses vingt ans de la part de ses parents.

Il faut dire que ces derniers avaient tendance, comme beaucoup de nobles qui côtoyaient la cour, à s’endetter pour rivaliser avec leurs congénères et à se couvrir par la même occasion de dettes. Ils avaient, à cause d’elles, déjà revendu une partie de leur domaine et c’est pour cela que le mariage de Séléné se devait d’être avec un homme fortuné. D’une façon ou d’une autre, il fallait bien que quelqu’un paye pour les erreurs de cette famille.

« Bonsoir Nyx, dit-elle en caressant du bout des doigts la robe soyeuse de l’animal.

La jument lui adressa un coup de museau affectueux et Séléné laissa échapper un petit rire. Elle avait l’impression que cela faisait des mois qu’elle n’avait pas monté. La dernière fois, elle était partie sans savoir où elle se rendait, se contentant de courir tant que ses jambes la portait, et elle n’avait pas emmené sa monture.

Après avoir sellé Nyx, elle la prit par la bride et attendit de s’être assez éloignée de la maison pour qu’on ne puisse pas entendre le bruit de son départ pour s'arrêter. Fort heureusement, la jument resta tranquille et n’eut pas la mauvaise idée de se mettre à hennir.

Alors, Séléné pris place en selle et lança son cheval dans un petit trot qui se changea vite en un galop allongé.

C’était devenu une obsession. Sans qu’elle en prenne conscience au départ, cette rencontre, ce fameux soir l’avait profondément perturbée. Depuis des semaines, ses pensées ne cessait de dériver vers la clairière et vers ce curieux personnage.

Ce Léandre Erebus… Elle voulait le revoir à tout prix.

Il le fallait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Lioucan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0