VI.

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Séléné se réveilla brusquement, le souffle court. Complètement désorientée, elle balaya rapidement la clairière du regard, avant de prendre conscience qu'elle était couverte de fourmis. Avec un petit cri de surprise elle se leva d'un bond et secoua ses vêtements et la cape, dont elle s’était inconsciemment recouverte dans son sommeil, pour se débarrasser des insectes.

Elle se stoppa net en apercevant un cerf, occupé à étancher sa soif au bord du lac, à quelques mètres d'elle.

L'animal, s'il l'avait probablement remarquée, n'en montra aucun signe.

Immobile, Séléné observa silencieusement le majestueux cervidé relever la tête, l'observer quelques instants puis repartir vers la forêt avec grâce.

Le sourire aux lèvres, elle se dirigea à son tour vers le lac et y trempa ses mains avant de les porter à son visage.

Le soleil n'était pas encore levé mais il ne saurait tarder : elle était restée sur place bien trop longtemps et il allait falloir faire vite si elle souhaitait arriver chez elle avant le réveil des domestiques. Déjà le ciel commençait à prendre une teinte rosée...

Séléné siffla Nyx, qui ne s'était pas trop éloignée et arriva au petit trot. Après avoir flatté l'encolure de la jument elle l'entraîna dans l'étroit passage puis monta sur son dos.

Elle lança alors sa monture au grand galop et les longues foulées de l'animal avalèrent les kilomètres. Malgré tout, le soleil fit vite son apparition dans le ciel et inonda la forêt d'une lumière orangée. Séléné ne put retenir un juron et pressa les flancs de la jument qui accéléra encore.

Enfin, Séléné atteint les terres de sa famille et oubliant toute prudence, elle freina brusquement sa jument qui dérapa dans la poussière avec un hennissement de mécontentement, puis l'engagea vers l'arrière du bâtiment où se trouvait l'écurie.

La pauvre bête était en nage et Séléné la dessella avec précipitation, se promettant de venir la panser plus tard. Elle tourna les talons avec amertume, et se stoppa net.

Jean, le palefrenier, la regardait avec un seau à la main, figé sur place.

Il la dévisagea, ses cheveux courts et emmêlés, les tâches d'herbe grasse sur son pantalon d'homme, et les cernes sous ses yeux, puis, lui adressa un regard de connivence avant de lui adresser un petit hochement de tête. Il ne dirait rien.

Séléné, soulagée, lui adressa un de ses rares sourires sincères et, avec empressement, escalada la façade et se hissa dans sa chambre.

Trop excitée pour se rendormir, elle se débarrassa néanmoins de ses vêtements, qu'elle irait laver plus tard en secret, et elle se rinça le visage avec la bassine d'eau glacée, oubliée là par les domestiques qui ne viendraient que bien plus tard lui apporter de l'eau chaude et l'aider à s'habiller.

Elle se laissa tomber lourdement et poussa un soupir de soulagement.

Sa nuit avait été courte et peu reposante, mais elle lui avait permis de souffler et l'odeur de sève et de fleurs sauvage emplissait encore ses poumons.

Cependant l'absence de l'intrigant jeune homme la contrariait encore.

Excédée de sa propre obnubilation pour une personne qu'elle avait rencontrée en tout et pour tout une fois et avec laquelle elle avait n'avait échangé rien de plus que quelques mots, elle grimaça en se couvrant les yeux d'une main.

Plutôt que de passer sa chemise de nuit et prétendre être assoupie en attendant les servantes, elle se leva et se dirigea vers l'imposante armoire avant d'en sortir une robe bleue.

Elle enfila les multiples couches de vêtements tant bien que mal et, dans l'impossibilité de terminer seule, se résolue à attendre patiemment les domestiques. Son livre l'attendait sur la table de chevet et il l'a tint occupée jusqu'à ce que, deux heures plus tard, les servantes ne pénètrent enfin dans sa chambre armées d'une bassine d'eau fumante.

Surprise de la trouver déjà à moitié habillée, la gouvernante s'excusa à mainte reprise tout en la reprenant sur son attitude : une demoiselle, à l'évidence, ne devait se vêtir seule.

Et comme à son habitude Séléné feignit d'écouter ses conseils et se plaignit lorsque les servantes tirèrent sur les ficelles de son stupide corset avec acharnement. Ce qu’elle haïssait la mode féminine de son temps... Les robes étaient certes belles, mais encombrantes et inconfortables au possible.

Malgré tout, elle était de bien meilleure humeur depuis son escapade et si l'inconnu occupait toujours ses pensées, il avait au moins le mérite de la distraire de la perspective de son mariage.

La journée aurait ainsi pu se dérouler sans encombres si un évènement imprévu, au cours de cet après-midi-là, ne vint contrecarrer ses plans de tranquille solitude.

Aux alentours de seize heures, c'est à sa place habituelle, la tête appuyée contre le montant de la fenêtre, son livre sagement posé sur les genoux que la gouvernante découvrit la jeune fille plongée dans ses pensées.

Elle avait toujours été du genre rêveuse, semblant constamment ailleurs, l'esprit perdu au loin. Toute jeune déjà, alors que ses précepteurs la décrivait comme une jeune élève fort intelligente mais distraite, les adultes considérait sa mine d'enfant, presque toujours perdue dans des réflexions qui semblaient bien trop profondes pour son âge, avec une tendresse mêlée d'inquiétude. Et cette habitude, loin de la quitter, avait persisté avec l'âge. Quand Séléné n'était pas en vadrouille ou en train de lire, elle rêvait.

La femme frappa contre la porte entrouverte et annonça :

« Mademoiselle Séléné, la vicomtesse De Vancy est venue vous rendre visite. Elle vous attend dans le petit salon.

Séléné étouffa un bâillement puis s'étira avant de répondre :

« Très bien, faites-lui savoir que je l'y rejoindrai très bientôt.

Faignant d'ignorer son impolitesse, la gouvernante acquiesça puis se retira sans un mot.

Après avoir brièvement observé son reflet dans le miroir et fait la moue, Séléné soupira en lissant sa robe.

Il n'y avait rien à faire pour ses cheveux. Même égalisée, la coupe restait ébouriffée, mais la perruquière n'avait pas encore livré son ouvrage. Sa mère allait être mécontente, mais tant pis. Sans un regard de plus vers la glace, elle quitta la pièce et traversa le pavillon pour rejoindre le petit salon, situé dans l'aile opposée.

Dès son arrivée dans la pièce, Isabeau se leva avec excitation et vint l'embrasser avec émotion, les yeux brillants. Ses longs cheveux bruns sentaient la poudre de riz et son parfum de rose embaumait déjà la pièce. Interloquée, la jeune femme recula ensuite et observa sa compagne pendant quelques instants.

« Mademoiselle Roserot... Mais... Vos cheveux ? Que vous est-il arrivé ?

Séléné contourna la table et s'installa dans un des fauteuils, que lui présenta une domestique avant de se retirer avec les autres. Du thé fumait déjà dans les tasses de porcelaine fine et des gâteaux, sans doute ramenés par son invitée, étaient joliment disposés sur la table.

Elle poussa un soupir de lassitude et invita d'un geste sa convive à prendre place en face d'elle.

« Premièrement, très chère, nous avions convenu de nous appeler par nos prénoms, dit-elle dans un sourire. Depuis le temps que nous nous fréquentons, vous savez bien quelles sont mes opinions sur l'étiquette qui nous est imposée.

Isabeau lâcha un petit rire puis acquiesça en lui faisant signe de poursuivre.

« Pour ce qui est de ce... changement capillaire », repris Séléné avec un air mutin, « j'ai simplement décidé qu'il était temps de passer à autre chose. »

Isabeau lui décocha un regard curieux mais ne posa pas plus de questions. Elle connaissait la jeune femme depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'elle n'en révélerait pas plus.

« Quoi qu'il en soit, je suis venue pour vous présenter mes félicitations : j'ai appris la nouvelle de vos noces prochaines. Vous devez être au comble du bonheur !

Aussitôt, le visage de Séléné se ferma. Sur un ton neutre elle lui répondit :

« Bien entendu. Le baron De Morency sera un époux parfait et je suis ravie que nos familles respectives se retrouvent alliées.

Isabeau, percevant sa crispation, tendit la main à travers la table et vint la poser sur celle de sa camarade, la regardant avec compassion.

« Je suis sincèrement désolée Séléné. Je sais combien cela doit-être compliqué pour vous, murmura-t ‘elle.

Séléné répondit en serrant doucement les doigts gantée de la jeune femme. Elle savait bien, elle aussi, combien le mariage pouvait être éprouvant. Elle même avait épousée un vicomte à ses quinze ans.

Toujours à voix basse Séléné lui confia :

« Je suis terrifiée. La situation est bien pire que lors de mes précédentes fiançailles et je ne peux plus y échapper. J'en viens à regretter d'avoir été si rebelle...

Isabeau lui sourit faiblement.

« Vous ne pouviez pas savoir... Allez, rassurez-vous désormais. Vous êtes forte, vous surmonterez cela, j'en suis certaine. Et peut-être, au moins, cette union vous parviendra t’elle a gagner un semblant de liberté loin de vos parents…

Séléné fixa un instant les beaux yeux bruns expressifs de son interlocutrice. Sa peau pâle, ses anglaises et sa robe à la dernière mode faisaient d'elle une parfaite femme de la cour, consciente de ses devoirs, une épouse sage et dévouée.

Il n'y aurait pu y avoir plus de différences entre elles, avec ses cheveux hirsutes et sa robe toute simple. La visualisation du tableau qu'elles devaient offrir lui arracha un sourire et elle se redressa avant de prendre une gorgée de thé.

Isabeau l'imita et la discussion repris. Isabeau l'informa des dernières nouvelles de la cour, lui parla de la capitale, des fêtes, des nobles et de leurs affaires en tout genre.

Elle savait que ce genre de sujets lui étaient égal mais peu lui importait. Outre sa compassion, son enthousiasme était sans doute sa plus grande qualité.

Alors Séléné l'écouta à moitié, un peu perdue dans ses pensées, mais reconnaissante de la distraction que lui offrait son amie.

Elles se connaissaient toute deux depuis l'enfance et en dehors d'Ariane, Isabeau était certainement la personne la plus proche d'elle. Elle pouvait être exaspérante, mais elle était aussi ce qui se rapprochait le plus d'une amie dans sa vie. Même si elle était loin de tout lui dire, elle était la seule en dehors de sa famille à être consciente de la nature indocile de la jeune fille et à connaître tous les problèmes de son passé.

Soudainement, profitant d'un moment de répit, alors qu'Isabeau interrompait son monologue pour prendre une bouchée de beignet aux pommes, Séléné se lança :

« Dites-moi Isabeau, auriez-vous entendu parler quelque part d'un certain Léandre Erebus dans la région ? Il est certainement noble mais je ne connais pas son titre.

Piquée au vif, la demoiselle releva la tête de sa pâtisserie et lui demanda d'un air espiègle :

« Est-il vraiment possible que l'illustre Seléné Roserot me demande des informations sur un membre de la société aristocratique !? Le jour où vous avez finalement décidé de vous mêler des affaires de la cour serait-il enfin arrivé très chère ?

Devant le regard pétillant de sa compagne d'enfance Séléné ne put retenir un petit rire et lui répondit en secouant la tête :

« Hélas ! Les commérages de la cour me terrifient bien que tous les brigands du royaume. Il s'agit simplement d'un homme dont j'ai entendu parler récemment.

Absolument pas dupe de l'odieux mensonge proféré par sa camarade, Isabeau ne releva cependant pas et se contenta de lui répondre :

« Ce nom m'est malheureusement inconnu mais je tâcherai de me renseigner pour vous auprès de mes connaissances.

Séléné la remercia sobrement, et bientôt il fut temps pour son invité de prendre congé.

Si elles se voyaient assez peu et que leurs différences pouvaient parfois être exaspérantes pour Séléné, elle appréciait véritable Isabeau et sa visite lui avait remonté le moral.

La fin de la journée fut morne, mais excepté le vague reproche de sa mère qui avait appris que Séléné avait osé se montrer sous ce jour peu glorieux à une invitée (fort heureusement de confiance), il n'y eu aucun incident. Jusque tard, la jeune femme demeura dans la bibliothèque, tentant de s'immerger en vain dans la lecture, sans cesse distraite par des pensées extérieures. Lasse finalement, elle s'avoua vaincue et retourna vers ses appartements. La demeure était plongée dans le noir et seuls parvenaient de minces éclats de voix de l'aile réservée aux quelques servantes qui se préparaient à aller dormir elles aussi.

Séléné étouffa un bâillement en poussant la porte de sa chambre. Elle n'y fit pourtant que quelques pas avant de s'arrêter brusquement, prise d'un étrange pressentiment.

La pièce était plongée dans l'obscurité, faiblement éclairée par la lune.

« Quelque chose ne va pas », songea-t'elle immédiatement.

Une voix résonna soudain, brisant le silence et lui glaçant le sang.

« Bonsoir Mademoiselle. Je suis ravi de vous revoir.

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