Olivia
Quand je me réveille, il est là tout autour de moi, ses mains, sa sueur… puis la voix d’Edmond me rassure. Et la caresse de Léonore sur mon visage.
— Ça va ?
Mieux maintenant, mais il faudra rentrer un jour.
— Il t’a blessé plus que d’habitude, n’est-ce pas ?
Tes mots sont si justes et si lointains à la fois.
— Un pas après l’autre, petit chat. Ici tu es avec nous et en sécurité. Tu n’as qu’à me raconter quand ce sera le moment.
Je te l’ai promis. Mais pas encore.
Aujourd’hui je décide de m’amuser. Je suis comme eux, insouciante et sans passé. Il faut oublier ce qu’il m’a fait.
La verdure, les arbres, l’épuisement musculaire et leur bonne humeur me portent. Je passe une des meilleures journées de ma vie. J’espère pouvoir refaire de l’accrobranche dans la semaine. Les courses sont aussi un folklore à elle toutes seules. Je me prends au jeu et tous les trois pédalons comme des forcenés, arrivant au supermarché éreintés. Edmond nous propose quelques idées de repas et nous décidons carbonara. Il nous missionne donc avec une liste précise et j’avoue m’étonner de sa débrouillardise.
— Alors, imōto-chan, petite sœur, comment tu vas ?
Hiroko attrape un paquet de spaghettis de la marque soulignée par Edmond et se tourne vers moi.
— Je passe de bonnes vacances, et toi ?
— J’avais peur d’être la cinquième roue du carrosse, mais ça va. Léonore ne te maltraite pas trop ?
— Pas du tout, pourquoi ?
— Je sais pas, je m’inquiète que tu n’aies pas ton mot à dire. Elle t’impose une bande de copains un peu fêlés quand même.
Je ris et attrape une boite de six œufs.
— C’est vrai, mais c’est mieux que rien.
— Ma pauvre…
— Non au contraire. J’étais gênée au début que vous m’acceptiez sans rien dire.
Hiroko passe un bras autour de mes épaules et me serre gentiment.
— Moi je ne me suis même pas posé la question, imōto-chan. Les amis de mes amis sont mes amis.
— Merci Onee-san.
Je vois que l’effort de japonais dans ma réponse lui fait plaisir et nous continuons les courses aux couleurs de sa culture. Je l’écoute avec grand plaisir et me promets de trouver des livres sur le japon. J’ai d’ailleurs d’autant plus hâte de commencer Izunas.
Je comprends le véritable intérêt d’un film. Il n’est pas dans les images qui défilent à l’écran, mais dans le choix des positions de chacun sur le canapé. Jeux de regards, de gestuelle, les choses ne sont jamais vraiment dites ou quémandées et là en est tout l’intérêt. Hiroko tapote la place à côté d’elle à mon intention et je remarque le petit regard plissé que lui lance Léonore qui appelle un sourire réponse un peu moqueur de la part d’onee-san. C’est assez plaisant d’être l’objet d’une bataille. Je m’assois donc en plein milieu du canapé non sans afficher un air de défi. Léonore s’empresse de s’assoir à côté de moi et c’est Edmond qui vole la place d’Hiroko.
— Trop lente !
Il garde néanmoins un peu de distance et croise les bras sur sa poitrine. Ce qui m’étonne un peu.
— Je t’ai vexé ?
Il me regarde un peu étonné.
— Du tout. Je pensais juste que tu n’aimais pas trop que je te touche.
Je ne sais pas vraiment quoi répondre. Je ne pensais pas avoir montré ma réticence.
— Désolée…
— Hors de question que tu t’excuses pour ça, Liv !
Ce n’est pas toi, Edmond, ai-je envie de répondre, mais comment ?
Alors que nous montons à la cambre, Léonore s’éclipse et j’en profite pour commencer la BD. Elle revient peu de temps après bayant aux corneilles et je la regarde enfiler un pyjama en traitant des pieds. Son bas de pantalons clame « Happy Owl-idays » et son haut affiche trois hiboux enfantins collés les uns aux autres sur une branche minuscule. On pourrait oublier qu’elle a deux ans de plus que moi.
Léonore éteint et je fais de même. Passe mon bras autour de sa taille. Pourrais-je dormir à nouveau sans te sentir contre moi ? Tu me fais oublier les problèmes. Et s’ils n’existent plus, tu n’as pas besoin de les porter avec moi.
— Olivia ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Quel timing. Me rappeler la promesse que je t’ai faite.
— Tu as dit que tu étais fatiguée.
— Si tu ne me le dis pas ce soir, je sais que tu ne me le diras pas avant des mois. Et… il ne faut pas porter ça seule si longtemps.
Je garde le silence un long moment. Ce n’est pas les mots qui sont durs à prononcer. C’est le regard que tu vas me porter.
J’inspire profondément.
Elle glisse ses doigts entre les miens.
— Il… m’a violée.
Ses doigts serrent un peu plus ma main. Quelques minutes passent puis elle finit par parler :
— Merci de me l’avoir dit.
Je ne m’attendais pas à ça. Son tempérament si impulsif, je l’aurais cru se redresser et rugir comme une tigresse, me dire que j’aurais du le dire plus tôt, qu’il faut faire quelque chose, que… En réalité, son calme me soulage. Elle se retourne et se serre contre moi, le visage enfoui dans mon cou.
— On va faire payer ce bâtard, je te le promets, mais avant ça on s’occupe de toi.
— J’ai honte… J’ai tellement honte Léonore…
— Je sais… Je sais mon petit chat, souffle-t-elle en me serrant un peu plus. C’est un sentiment normal, mais il ne faut pas. Ce n’est pas ta faute, tu m’entends ? Ce n’est pas de ta faute !
Je ne peux pas m’empêcher de me mettre à pleurer. Vraiment ? N’est-ce vraiment pas de ma faute ?
— Je n’ai rien pu dire à maman, j’avais trop honte. Je ne me suis même pas débattue, je n’ai même pas dit non…
Léonore relève la tête et pose un doigt sur mes lèvres.
— Ce n’était pas à toi de dire non, ce n’était pas à toi de te débattre, c’était à ce connard de ne même pas poser les yeux sur toi !
— J’ai honte de ne pas avoir eu la force de porter plainte.
— Chaque chose en son temps. Il n’est jamais trop tard, pour l’in…
— Mais on a plus de preuves !
— On peut prendre une photo de tes bleus.
J’étais prête à répliquer, me tais. Je n’y avais jamais pensé.
— Pour l’instant le plus important, c’est toi petit chat. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
La réponse est plus instinctive que je ne l’aurais imaginé :
— Prends-moi dans tes bras.
Je l’entends glousser doucement puisque nous sommes déjà blotties l’une contre l’autre, mais elle comprend ce que je veux dire. Elle remonte dans le lit, je glisse un peu vers le bas et elle me prend dans ses bras. À mon tour d’enfouir mon visage dans son cou. On reste un long moment comme ça et je pensais qu’elle s’était endormie quand je l’entends marmonner :
— Je te promets qu’on lui fera la peau à ce salopard !
— Il m’a volé ma première fois.
— Non. Il t’a agressé, il t’a violenté, il t’a abusé, il t’a fait un crime, mais ce n’était certainement pas une première fois. Ta première fois, ce sera ton choix, avec la personne que tu aimes et toute la douceur du monde. Elle sera à toi.
Son « non » si sec m’a d’abord heurté, mais je comprends son explication. Elle a raison. J’aime cette idée. Je ne suis pas salie.
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