Un monde meilleur

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L’an 2316.

Nous avons provoqué notre propre extinction. Nous nous sommes tués. Oh, nous le savions, c’était prévu, c’était écrit. La fin du monde. Nous l’avons mise en place, petit à petit, d’années en années, de siècles en siècles.  

Les habitations étaient obligatoirement équipées de panneaux et ballons d’eau  solaires, de récupérateurs d’eau de pluie avec système de filtration, et les éoliennes ont rapidement recouvert notre paysage. Les petits propriétaires tels que moi s’endettèrent en  faisant appel aux banques pour financer les travaux de mise aux normes. Les emballages étaient tous recyclés, le carburant composé des déchets végétaux tels que la betterave à sucre, la canne à sucre, le blé, le maïs,  les arbres. On fabriquait du biocarburant sur tous les continents.

Seulement voilà, il fallait produire plus, toujours plus. La déforestation s’accentua dangereusement, les pâturages furent réquisitionnés en vue de cultures  pour la production de bioéthanol.

D’innombrables sociétés firent rapidement faillite, les agriculteurs ayant revendu leurs terres pour une bouchée de pain à ceux qui leur faisaient la promesse d’un avenir meilleur. Ceux-là même qui dirigeaient la planète, ceux-là même qui étaient à l'origine de notre perte, les chercheurs et leurs dirigeants, ainsi que nos gouvernements. Ils se croyaient à l'abri dans leurs forteresses entourées de jardins. L’argent et le pouvoir leur permettait de payer des ouvriers pour trimer sur leurs terres, alors que ces malheureux n'avaient pas de quoi garnir leurs propres tables. Ces maîtres du monde étaient persuadés du bien-fondé de leurs actions puisqu’ils s’enorgueillissaient d'offrir du travail à tous, dans les champs, les usines, les boutiques de vêtements en fibres naturelles, les magasins de décoration, chez les distributeurs d’eau, de carburant... Seul le secteur agroalimentaire souffrait cruellement de cette pénurie. Les gouverneurs calmaient la colère de leurs citoyens en affirmant que les cultures industrielles seraient bientôt remplacées par d'autres, destinées à nourrir le peuple. Ils nous promirent une amélioration pour le mois suivant. Puis ce fut repoussé au mois suivant. Les conditions climatiques n’arrangèrent pas la situation car le manque d’eau ralentit sévèrement la production de bioéthanol. On nous demanda de patienter encore. Et encore. Des émeutes éclataient un peu partout dans le monde. La population crevait de faim et n’acceptait plus les excuses médiatisées de tous ces politiciens rondouillards. L’armée intervint dès les premiers signes de révolte, meurtrissant encore les peuples à bout de forces.

Les chanceux qui possédaient un bout de terrain pouvaient encore produire des fruits, des légumes, élever des poules, des vaches, de quoi subvenir aux besoins de leur famille. Mais les défavorisés, ceux qui se retrouvaient cloîtrés dans un appartement, comment parvenaient-ils à se nourrir ?

Des hommes désespérés volaient les animaux et les cultures privées. Les victimes se défendaient comme elles le pouvaient, à coups de marteaux, de couteaux, ou de fusils.  Les autorités manquaient elles-aussi d'effectifs, car la plupart des forces de l'ordre répondait aux exigences des états qui voulaient qu'on protège d'abord les champs des pilleurs. C'est ainsi que les morts violentes s’ajoutèrent aux morts de faim. On ne comptait plus le nombre de disparus ; aux informations,  on nous lavait toujours le cerveau en nous assurant sauver la planète.

Un présentateur du journal télévisé, suicidaire sans nul doute, incita publiquement le peuple à la révolte, en diffusant l’enregistrement audio de l’interview d’un président. Les propos de ce dernier se révélèrent particulièrement explicites. Selon lui, il était inévitable de subir quelques dommages collatéraux pour parvenir à sauver la terre et continuer à y vivre. Il affirmait que le monde serait meilleur pour notre espèce et que seuls les plus forts, les plus instruits, sous-entendu les plus riches, y avaient gagné leur place. Personne n’entendit la suite. La transmission fut subitement coupée. Plus aucune chaîne de télévision ne fonctionnait et les quotidiens n’étaient plus distribués. J’appris quelques jours plus tard, le temps que le bouche à oreille parvienne jusqu’à moi, que les locaux de ce fameux journal télévisé avaient été complètement détruits lors d’une formidable explosion. Depuis ce jour, nous fûmes plongés dans l’ignorance totale, tous les réseaux d’information ayant été fermés ou démolis. La peur de représailles sanglantes anéantit toute envie de révolte.

Si certaines maladies comme l’asthme avaient complètement disparu, un vieux fléau reprenait toute son ampleur, la famine ! Je regardais, impuissant, les gens succomber à la malnutrition. La faim ralentissait nos performances professionnelles,  quand elle ne nous empêchait pas de travailler. Les hommes, épuisés, affamés et malades perdaient la vie dans les champs, et bientôt, les bras commencèrent à manquer, provoquant la chute des dernières multinationales de l’écologie.

Puis la sécheresse s'installa définitivement, réduisant nos efforts et nos chances de survie à néant. Le peu de légumes qui étaient parvenus à voir le jour se flétrirent avant d'arriver à maturité, et les animaux subirent le même sort que nous. L'absence de nourriture et d’eau les faisait fondre comme neige au soleil. Le nombre de décès s’accentua considérablement, jusqu’à éteindre la race humaine.

Je suis un rêveur, une de ces personnes qui garde constamment la tête dans les nuages. Si bien que j’ai tout de suite imaginé la fin inévitable de notre espèce. J’ai fait part de mes perspectives à mes voisins, dans tout le village. Ils ont préféré continuer à croire à  toute sorte de sornettes. Je les comprends, c’était tellement plus facile. Nos vies étaient déjà épuisantes, alors si on ne gardait pas une once d’espoir, autant crever tout de suite.

J’étais convaincu qu’il y en avait encore, de l’espoir, à condition de se battre, de se donner une chance. Nous n’existions plus pour nos gouvernements, nous n’avions donc rien à attendre de ce côté-là. Nous devions prévoir seuls notre avenir.

J’avais fait des réserves en conserves, en confitures, en eau.  Suffisamment pour que ma famille et moi puissions tenir  jusqu’aux prochaines récoltes. Ce serait long, très long, car je devais tout d’abord semer et attendre la pluie. Pas une goutte depuis des mois. Il se peut même qu’il n’y ait pas eu d’eau depuis plus d’une année, j’ai cessé de compter.

La mer n’était pas très loin, quinze minutes en voiture. Lors de ma première expédition, j’étais accompagné de ma femme et de mes enfants. Je croyais trouver un  festin. Mon fils et ma fille cherchaient des coquillages sur les rochers, pendant que nous, leurs parents, essayions d’attraper des poissons avec nos cannes. J’étais naïf. D’autres étaient déjà passés par là et avaient avalé notre repas, abandonnant les coquilles vides sur place. Nous mangeâmes tout de même à notre faim, ce soir-là.

Les jours suivants, je m’y rendais à pied, économisant le peu de carburant qui subsistait encore dans le réservoir de ma voiture, car les pompes n’étaient plus approvisionnées. J’avançais, un seau dans chaque main, cherchant n’importe quelle source, rivière, la rosée du matin. Rien. Je parvenais à attraper quelques poissons du haut d’un rocher. C’est sans doute ce qui nous a permis de survivre un peu plus longtemps, aux pêcheurs et nous.

Nos réserves pratiquement épuisées, nous fîmes un dernier voyage, serrant dans notre véhicule tout ce qui pourrait nous être utile sur la plage. Les matelas furent enroulés, les casseroles entassées et les dernières conserves cachées sous les sièges. Nous n’étions pas les seuls, mais chaque groupe restait isolé. Nous avions trop peur de devoir partager si nous nous unissions.

Je les ai tous vu mourir, un par un. Ceux qui restaient se soutenaient tout de même, dans la douleur, en préparant un semblant d’enterrement digne de ce nom.

Jusqu’au jour où nous nous retrouvâmes seuls, tous les quatre. Nous vivions un supplice fait de douleurs physiques et de tortures de l’esprit. Cela n’a pas duré un semaine. Ma femme est décédée la première, refusant de se nourrir et laissant ses maigres rations pour nos deux enfants. J’ai agis de même, mais ils étaient trop affaiblis pour continuer à résister et la mort de leur mère les anéantissait plus encore. Je les ai enterrés, tous les trois, dans un champ de betteraves, pied de nez à cette société qui nous a tous tués.

Aujourd’hui, je suis seul. Ma famille est morte, et je ne croise plus âme qui vive lors de mes errances. Je suis las de me battre, fatigué par mes souvenirs, Mon corps me fait mal et les insoutenables images qui défilent dans ma tête me rendent fou. En ce moment même, j’accomplis la dernière chose qu’il me reste à faire. J’attends de rejoindre mes morts, allongé près de leur dernière demeure, sous le soleil brûlant. 

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