Olemnia - Dans l'Impasse [1/3]
Quatrième jour du cinquième mois de l’An 1026 après la Purification ; Été de Sharm
« Olemnia est cette étendue indomptable que quiconque devrait craindre une fois plongé à l’intérieur. Nul ne peut nier l’aspect sauvage et médusant de cette immense forêt qui s’étale sur la moitié Nord d’Æsternia. Les Ethnés l’avaient bien compris et pourtant, même eux ont fini par périr en son sein. »
- Seigneur Grimalt de Caldemer, grand historien reconnu du Royaume d’Æsternia.
Le réveil fut l’un des plus agréables auquel Akhiba eut le droit depuis le début de ce long périple. En cette douce journée d’été, la température était pour une fois assez chaude à ses yeux pour qu’il n’ait pas à enfiler son manteau de laine teint en noire ainsi que sa lourde cape de la même couleur. Il s’était même permis d’ôter sa tunique en cuir renforcé.
A la longue, il s’était accommodé au Nord et à la forêt d’Olemnia, à ses feuilles qui tombaient les unes après les autres alors que l’été semblait être à son apogée ou encore à ces bruits d’animaux si mystérieux et si singuliers qui résonnaient à travers les bois et qui le poussaient à rester constamment sur ses gardes.
Il se tenait à présent debout, simplement vêtu de sa chemise, d’un pantalon resserré qui lui conférait une grande souplesse, tout comme ses bottes, salies par les péripéties qu’il avait endurées.
Akhiba se concentra tout en laissant les rayons du soleil lui masser le dos. Comme chaque matin avant qu’il ne reprenne la route, il s’adonnait à une séance d’étirements aussi académiques qu’instinctifs.
Aujourd’hui cependant, il prenait plaisir à les exécuter tant l’atmosphère qui régnait dans la petite clairière où il avait décidé de passer la nuit était relaxante. Il prit une longue inspiration qu’il relâcha lentement après cinq secondes. Dans un élan aussi rapide qu’un oiseau fondant sur sa proie, il commença à danser avec le vent. Ce ballet ne ressemblait en rien à ceux que l’on apprenait aux riches familles andariennes afin de répondre à un certain conformisme entretenu par des traditions assommantes. Non, il s’agissait là d’une performance de combat qu’Akhiba prenait soin d’accomplir afin d’améliorer son agilité et entretenir sa forme physique.
Il se trouvait alourdit, engourdit par les trois semaines éprouvantes de marche qu’il avait effectuées jusqu’ici. Il n’avait eu que très rarement l’occasion de s’entraîner au combat et il se sentait à présent rouillé comme un vétéran qui n’avait pas empoigné son arme poussiéreuse depuis une décennie. La traversée des gigantesques chaînes de montagnes enneigées du Trépas de Yorgil, où il avait crû mourir de froid à plusieurs reprises, l'avait empêché de s’adonner à ce genre d’exercices qui pouvaient s’avérer très harassants dans un climat froid et inhospitalier, à des milliers de pieds d’altitudes.
Cela faisait donc deux semaines qu’il n’avait pas pratiqué la danse du sable, une des nombreuses techniques qu’il avait apprises durant son adolescence au Fort de Nekhmes, là d’où il venait. Des traditions anciennes et oubliées qui, d’après-lui, devaient être réinstaurées afin de redonner de la valeur au blason familial.
Akhiba se sentit alors animé par une ardeur qu’il pensait disparue depuis quelques jours. Il donna le meilleur de lui-même, exécutant valses, roulades, bonds avec une certaine grâce retrouvée.
Au bout d’un moment, il leva sa main droite et se mit à mimer un combat contre un groupe de soldats du Royaume d’Æsternia. Après avoir lâché une longue inspiration, il chargea.
Tout en imaginant ces ennemis face à lui, Il esquiva aisément le coup d’estoc maladroit du premier homme à qui il vint en aide afin qu’il finisse sa course dans les buissons, lui tranchant sa nuque d’un mouvement aussi vif que fatal. Il accueillit le second d’une feinte parfaitement exécutée, venant pénétrer son cimeterre imaginaire sous la côte de maille du pauvre garçon qui ne put rien faire. Il dut ensuite affronter un arbalétrier qui le tenait en joue. Se figurant en danger, il lança son arme qui vint transpercer sa joue gauche. Surpris, celui qu’il représenta chauve et plutôt chétif s’effondra au même moment où Akhiba imagina le carreau planté dans un tronc qui se trouvait non loin de lui. Désarmé, ce dernier se tint à présent face à celui qui sembla être le plus tenace du groupe. L’homme, peint de façon plutôt massive, ricana tout en s’approchant lentement de sa proie.
Gardant ses mains le long de son corps, il n’eut pas de mal à esquiver les lents coups de massue qu’infligeait son adversaire. Il anticipait chacun d’eux, lisant parfaitement les mouvements répétitifs et désaccordés du guerrier. Il voulait le fatiguer, mais il faiblissait lui aussi. La trentaine et le manque d'entraînement se faisait définitivement ressentir, il avait perdu en endurance et cela l’irrita.
Il décida alors de réagir après que le lourdaud, qu'il conçu impatient, asséna un coup chargé d’une telle puissance qu’il manqua de s’envoler vers l’avant. À découvert, le soldat reçu un coup de pieds aussi précis que dévastateur dans sa cheville, ce qui le força à mettre genoux à terre. Akhiba en profita pour le contourner et venir arracher son cimeterre du visage béant de sa précédente victime. Il fit volte-face et pointa sa lame acérée et faussement ensanglantée au niveau de la nuque de son adversaire qui avait été trop lent pour se relever à temps.
Le décor et la scène qu’il avait mit en place s’envolèrent au vent, tout comme les feuilles qui tournoyaient à présent autour de lui tels des flocons de neiges. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il tomba nez à nez avec un gros écureuil qui l’observait, l’air intrigué. Ce dernier se tenait à la place exacte où Akhiba avait imaginé son ennemi étrillé.
Il maintint sa position de garde, comme s’il se méfiait de l’animal. Les deux êtres vivants restèrent ainsi pendant plusieurs secondes, jusqu’au moment où le rongeur décida de se diriger vers les affaires du guerrier, qu’il commença à fouiller.
- Hé ! Ne touche pas à ça, fouineur ! dit-il en se ruant sur son équipement afin de le protéger.
Tenace, l’écureuil mordit la main qu’Akhiba tendit vers lui afin de le faire fuir, après quoi il se mit à crier en direction de l’homme.
Surpris, il donna un coup de pied que l’animal esquiva sans problèmes en bondissant sur le côté. L’aventurier lâcha un léger sourire en coin, trouvant cette interaction aussi stupide qu’ironique.
Ce fut à ce moment-là qu’il décida de se remettre en route. Il rassembla ses affaires, rangea son briquet d’acier dans l’une des multiples poches de sa grosse ceinture avant de plier et d'enfouir ses couvertures dans son havresac. Pour finir, il enroula et attacha son fourreau autour de sa taille, positionnant la lame dans son dos, à l’horizontale. Avant de se lever, il contempla le pendentif que lui avait offert sa mère avant qu’elle ne trouve la mort, paralysée dans son lit. À travers ce bijou orné d’un scorpion sculpté en malachite, précieux héritage familial millénaire, il aperçut le visage affaiblit de celle qui comptait tant pour lui. Il portait ce cadeau sur lui en toute situation afin de lui rendre hommage et de s’assurer qu’elle puisse toujours veiller sur lui.
En se relevant, il vit que l’écureuil était toujours présent, planté face à lui. Ce ne fût qu’à ce moment-là qu’il fit attention à un détail qui lui avait échappé. Les petits yeux arrondis et globuleux de la bête reluisaient d’une couleur mauve qui ne paraissait absolument pas naturelle. Arquant un sourcil, il opta pour un raisonnement rationnel comme il le faisait en toute circonstance.
Ce n’est qu’une caractéristique spécifique de cette espèce que je n’ai jamais rencontrée auparavant, c’est tout, pensa-t-il tout en se mettant en route vers l’est.
Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et il vit que l’écureuil avait disparu, sans faire le moindre bruit.
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