Tenir jusqu'au bout (nouvelle)

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Depuis 10h ce matin, tu es sur ton ordinateur. Tu essaies de travailler, de réfléchir, d'analyser, de poser des mots sur Google Doc, mais tu n'y arrives pas. Tes yeux ne cessent de se poser sur ton téléphone, puis de se diriger vers la fenêtre, puis tu soupires en regardant l'heure.

Tu sais que tu devrais travailler, finir ce dossier, l'envoyer, pour être enfin tranquille. Pour avoir ensuite du temps libre. Pour pouvoir écrire, lire, ou regarder des vidéos. Mais tu sais que ta vie tourne autour de ton travail.

Quand tu es plongée dedans, tu oublies tout. Tu oublies ton anxiété, ta timidité maladive, ton sentiment de vide, ton affection pour les autres qui n'est plus là, ton envie de t'isoler, de hurler, de t'enfuir. Ces derniers jours étaient éprouvants, et tu sais que tu as besoin de repos. Seulement, tu ne sais pas lâcher prise. Et quand tu fais quelque chose, tu n'arrives pas à te motiver, tu repenses à tes problèmes, à tes amis, à ton avenir incertain, et...

Voilà que tu divagues encore. Tu reposes les yeux sur ton écran, relis les citations extraites des entretiens que toi et ton amie avez retranscrites et arrives à trouver une analyse qui te paraît correcte. Tu l'écris rapidement, met la phrase en gras, retournes sur l'autre Google doc, te démotives de nouveau. Il ne reste plus grand chose à faire, pourtant...

Cette semaine, tu as effectué ta première semaine de stage, qui s'est bien passée. Tu as pu explorer le monde de la bibliothèque, oublier tes problèmes, le temps de plusieurs jours où tu as découvert un univers qui t'intéressait. Tu t'étais vraiment sentie bien, presque à ta place. Les bibliothécaires sont vraiment sympas, et tu as même osé prendre des petites initiatives. Tu as même fait la lecture aux plus petits, qui t'ont écouté. De la légèreté... C'était merveilleux. Tu étais enfin utile... Et ces enfants étaient vraiment mignons.

Si seulement tout pouvait être aussi positif... Si seulement tu n'étais pas aussi pessimiste, faible... Tu détestes te sentir aussi mal, tu détestes te sentir obligée de dire ce que tu ressens pour aller mieux, car quand tu vois ces mots que tu as écrit, tu as l'impression d'être une ado en pleine crise. Tu hais cette partie de toi, qui est jalouse de tous, qui juge tout ce qui bouge, qui a envie de s'isoler définitivement.

Ton ordinateur s'est de nouveau mis en veille. Avec un soupir, tu décides de laisser tomber pour le moment. De toute façon, tu n'arrives jamais à te concentrer. Tu le poses à côté de toi, et ferme les yeux pour chasser ce vide, mais tu sais qu'il ne partira pas. Il sera toujours là, tant que tu n'auras pas le courage de voir une psy.

Le week-end d'avant, c'était encore pire. Il fallait dire que tout allait mal. En dehors de lui, tu as appris que ton chien ne survivrait pas l'année. Et le plus effrayant, c'est que tu n'as rien ressenti. C'est ce qu'est un monstre, non ? Quelqu'un qui ne ressent rien. Quelqu'un qui n'est pas humain. Quelqu'un qui n'arrive plus à ressentir de l'affection pour les autres, qui ne pense qu'à son futur indéterminé, qui a envie de rester seule.

Les seuls moments où tu arrives à ressentir quelque chose, c'est quand tu écoutes de la musique, ou que tu lis. Même l'écriture ne te fait plus envie. Tu restes devant ta page, et la motivation fait place au désespoir. Les mots ne te viennent plus, ou très peu. Tu vas mal.

Et que dire de Lenny ? Ce monstre qui t'a abandonné en terminale après avoir dit dans ton dos que tu le dégoûtais, que tu étais toujours dans l'abus ? Tu ne peux t'empêcher d'espionner son compte Facebook, et ce que tu vois te met mal. Il va bien, il est heureux. Pourquoi l'est-il, quand toi tu luttes tous les jours ?

Que dire du reste ? Les cours ne te passionnent pas, t'enfoncent davantage dans une tristesse sans fond, où ton corps est là, mais ton esprit est loin, dans tes doutes, tes incertitudes, tes peurs. La nuit, tu attends que le sommeil vienne, mais souvent il part au milieu de la nuit, et tu maudis le réveil où tu te rendors enfin.

Comment être positif, quand on voit le monde ? L'immobilier qui coûte si cher, les pays au bord d'une nouvelle guerre, les troubles mentaux qui se développent de plus en plus, mais personne ne fait rien. Personne.

Et toi, tu continues de marcher sur cette corde, à la limite de tomber, comme toujours.
Tu dois tenir. Tenir jusqu'au bout. Pourquoi ? Tu l'ignores, tu sais juste que tu dois continuer. Parce que le reste n'est pas envisageable. Même si le futur est loin, même si tu as mal, même si rien ne va... Tu espères que ça finira par s'arranger.

Tu dois tenir. Tenir jusqu'au bout.

Tu entends les pas de ta mère s'approcher. Tu rouvres l'écran de ton ordinateur, fais mine d'être concentrée, mais elle ne s'arrête pas à ta porte. Tu écoutes le ventilateur de ton ordinateur et fixes de nouveau la page du dossier. Tu piques de nouvelles réponses, contrôle C, contrôle V, hop, c'est sur l'autre doc. Tu arrives à analyser, et ton esprit part de nouveau.

Ton amie a passé une bonne semaine de stage, elle te l'a dit par message. Tu es rassurée, quand tu lui avais demandé, elle n'avait pas répondu. Elle est contente, elle a une bonne équipe, et le travail lui plaît. Au moins ça.

Ta meilleure amie semble aller bien également. Son copain et elle se voient beaucoup, et avec les cours, vous n'avez pas le temps de beaucoup parler. Et ça te fait tout de même mal. Parce qu'elle a aussi un autre meilleur ami, près de Paris, chez qui elle peut tout lui dire. Elle oublie de te dire des choses, et comment lui en vouloir ? Les cours sont durs, et elle est vraiment fatiguée... Surtout que tu as appris qu'elle souffre d'anorexie.

De nouveau, les pas de ta mère. Cette fois, elle s'arrête.

- Tu avances ?

- Ouais, un peu.

- ... Allez, courage.

Elle repart. Tu souffles, t'étires et décides de te concentrer définitivement sur ton travail, même si une dernière pensée te traverse l'esprit.

Les autres tiendront jusqu'au bout, alors toi aussi. Tu tiendras jusqu'au bout. Ce n'est pas comme si tu avais le choix...

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