Seule
Il y a des patientes qui marquent une vie. Celle-ci en fait partie. Hospitalisation. Infection. Et une nuit, complication. Face à la détresse d’une femme à la dignité hors normes, difficile de garder son sang-froid et pourtant, devant la puissance de son occlusion, son sang-froid, la sage-femme devait à tout prix le conserver.
— Je vais mourir, clame-t-elle entre deux hauts de cœur.
Cette phrase scandée dans une telle situation secoue les propres viscères de la professionnelle. Elles sont seules. Cette patiente vomissant l’intégralité du contenu de ses intestins n’a qu’elle. Elle, et sa conjointe pendue au téléphone en facetime, dont le calme impressionne. Pourquoi ne hurle-t-elle pas ? Pourquoi ne transpire-t-elle pas la peur devant l’impuissance de leur distance ?
— Je vous déteste !
— Avalez, avalez.
Tandis que la sonde progresse, la femme, toujours seule, impuissante, subit. Elle subit les affres des soins d’urgence, et elle subit, à nouveau, en silence et en secret, les affres d’un passé qu’elle s’était juré d’enterrer avec son bourreau.
Comment la sage-femme aurait-elle pu savoir qu’à quatre heures du matin, à travers cette sonde naso-gastrique et la toilette fraîche pourtant pleine de bienveillance qui suivit, cette femme s’enfonçait dans la solitude de son histoire ?
— Je vous déteste !
— Pardon, pour tout. Je n’avais pas le choix.
Vient ensuite la psychologue après cette tempête effrayante pour apaiser cette patiente, mutique, refusant catégoriquement tout contact avec le corps chirurgical.
— Plus personne ne m’imposera d’autres choses que ce que j’ai déjà subies.
C'est ainsi que cette femme, cette victime, entraîne l'équipe dans les méandres de sa vie.
— Quand la sage-femme m’a sondée. Je lui ai dit que je la détestais, mais c’est faux. Ce que je détestais, c’était de me retrouver à nouveau comme ça. Dans un lit, la nuit, torturée, agressée et incapable de bouger ou même de crier. Cette nuit-là, la sage-femme m’a ramenée près de mon beau-père et c’est ça que j’ai détesté.
Un prédateur. Une mère complice par son silence. Dix-sept ans de calvaire. Deux enfants. Une garde de l’un d’eux volée juste le temps à ce monstre de s’accorder un nouveau festin plus jeune... La sonde ? Les viols. L’eau fraîche ? La douche pour nettoyer les preuves. Cette nuit ? Un retour en enfer.
Voici donc pourquoi cette nuit-là, son téléphone pourtant toujours scotché à sa paume n’avait pas bougé de sa table de chevet, laissant sa compagne dans le flou d'une situation si terrifiante. Voici donc pourquoi à cet instant, dans cette chambre, cette femme redevenue ainsi victime silencieuse était à nouveau seule.
Est-ce pour préserver la sage-femme que cette dernière ne lui a jamais avoué directement la vérité lorsque, quelques jours plus tard, une fois la situation enfin rentrée dans l’ordre, la professionnelle retire avec plaisir les lames enfoncées dans son abdomen ? Est-ce pour cela ? Où est-ce juste parce qu’elle sait que son histoire l’isole davantage et change à jamais les échangent ?
Annotations
Versions