Mauvaise herbe

3 minutes de lecture

J’étais une mauvaise herbe, un chiendent fou, envahissante comme le mouron que tu te faisais. On m’aurait arrachée mais, d’une main verte et patiente, tu veillais, toi, sur mes racines. Peut-être, en cachette, t’arrachais-tu les cheveux - tu les avais d’ange, je me souviens, ils brillaient dans le ciel quand, ma main dans la tienne, je levais mes yeux vers toi. C’était comme des nuages s’accrochant au faîte d’une montagne et que le vent filait d’un peigne invisible.

Sur le chemin, trop vite, je perdis ta main. J’avais besoin de voler sans elle, de mes propres ailes, de mes propres rêves, voler du temps, voler des baisers, voler en éclats. Des éclats de voie, des éclats de moi. On ne m’y reprendrait plus, mais toi tu as repris ma main, m’as repris en main. J’ai hésité longtemps avant d’admettre que, sans ta main, je perdais pied. C’est en les traînant, pourtant, que je revins m’enfermer dans cette cage qui n’en avait jamais été une.

Nous avons eu des mots, des mots chagrins, des mordants, des moqueurs, des maux du cœur. Et l’on croit s’être tout dit, l’on s’éloigne, sans mot, sans signe de la main, sans lendemain. Il en restait, pourtant, des modestes, des mots d’estime, des mots d’amour, des mots débordant de lettres, couchés sur des pages d'hôpital, que l’on ne visite plus, que l’on abandonne dans le suaire de l’enveloppe. Voilà que les mots me manquent, que tes mots me manquent.

Les années ont filé, emportées comme des feuilles vierges, il restait tant de mots à écrire, mais c’est déjà l’automne. J’ai découvert que le temps ne se vole pas, il se partage. Et nous voilà. Sur ton front, les nuages ont blanchi, on les croirait de neige ou de soie, si fins. Je t’ai pris la main, timidement. Elle était froide et douce, ta peau aussi fragile que du parchemin. C’est ainsi que sont les mains, au bout du chemin.

J’ai cherché ton rire, je voulais l’entendre, une dernière fois. J’ai suivi chaque sillon comme celui d’un disque que je connaitrais par coeur. Pourtant, pourtant, je ne l’y ai pas trouvé, il s’était envolé, à rire d’aile, comme l’oie sauvage, ne laissant que l’empreinte de ses pattes à la palme de tes yeux.

J’ai cherché sur la berge de tes paupières l’outremer de tes yeux. Ils étaient si bleus. Ils inondent encore ma mémoire, chauds comme ces étés à la mer. Je revois les clins de ciel audacieux que tu déployais derrière la vitre de tes demi-lunes. Comme je t’ai envié ce pouvoir. Et de n’avoir pas froid aux yeux, jamais. Ce jour-là, les miens ont rendu les larmes. Et mes joues avaient ce goût de plage, lorsque la mer s’est retirée, que tout est sombre, que le ressac est loin. Ce goût de souvenir amer, oublié dans un sillage vague, ce parfum d’années mornes qui me fait renifler, juste un peu. Après t’avoir eu dans le nez tout ce temps, voilà que j’ai le rhume de toi.

J’ai cherché sur les mots de marbre un peu des tiens. Et, dans les couronnes de fleurs, la majesté des nuages qui t’auréolaient. En vain. Tu n’existais plus que dans ma mémoire trop lâche. Dans tes cartons, j’ai trouvé si peu, quelques mélodies rayées, des mots orphelins dans leur couverture usée, beaucoup de poussière. Je courais après mes souvenirs, après toi, mais tu étais trop loin. La paix ne se trouvait pas dans ces jours manqués, passés et regrettés. Finalement je la trouvai dans les jours à venir, les beaux jours, quand, sur le drap brun de la terre, je vis naître un lit de mauvaises herbes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Lucivar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0