Archive - Words on Signs
Hermann était malade. Malade de n'être nulle part à sa place. Peu importait le lieu, peu importait les gens, il se faisait l'effet d'un figurant. Mais cela n'était pas pour lui déplaire. Bien au contraire. Hermann aimait observer et contempler là où ses proches, ses ennemis ou encore de parfaits inconnus se retrouvaient engoncés dans un rôle qui ne leur allait pas.
Cela le rendait mélancolique, et il aimait ça. Enfin, la plupart du temps. Parfois, Hermann avait le sentiment de passer à côté de quelque chose. Alors il se laissait emporter par les foules, et se retrouvait rapidement malmené par le courant. Chaque fois qu'il s'abandonnait à la beauté de l'instant, chaque fois qu'il s'arrêtait de contempler pour se mettre à vivre, il le regrettait.
Les choses n'étaient jamais telles qu'il aurait voulu qu'elles soient. Lorsqu'il les observait, elles lui semblaient pleines et appétissantes. Mais une fois plongé dedans corps et âme, elles lui laissaient un goût d'inachevé. Elles devenaient autres que ce qu'il avait imaginé.
Dans ces moments là, il se sentait presque idiot. Idiot d'avoir voulu rentrer dans un rôle qui n'était pas le sien, simplement parce qu'il avait vu les autres le faire et que cela semblait leur convenir. Cela ne lui convenait pas. Hermann n'était pas les autres, et les autres n'étaient pas lui. En réalité, quelqu'un était-il comme les autres ? Il n'en savait rien. Tout ce qu'il savait, c'est que ce n'était pas son cas, et que rien n'y ferait.
Aussi prit-il une décision. Désormais, le monde se transformerait chaque fois qu'il se serait lassé de lui. Après tout, il lui suffisait de fermer les yeux pour remodeler les choses qui l'entouraient. Il lui suffisait de fermer les yeux pour devenir un pilier de marbre qui résisterait au torrent des foules. Mieux encore, il pouvait métamorphoser ce torrent de foules en nuée d'oiseaux. Lui aussi, pouvait devenir un oiseau. Ou même un arbre, un animal quel qu'il soit, ou quelque chose d'autre.
Il n'avait qu'à fermer les yeux, et par la seule force de son imagination, les tours de verre et d'acier devenaient des Arbres Mondes au tronc noueux. Leurs branches séculaires aux ramifications infinies ployaient sous le poids des feuilles, sans que jamais elles ne touchent le sol.
Le goudron et le bitume se transformaient en une étendue d'eau lisse, un miroir à perte de vue. La Sphère des Fixes, inaccessible, prenait alors vie sous ses pieds et les étoiles pulsaient au rythme de ses pas.
Le cosmos était à lui. Le vide, les gens, les choses, le néant, tout devenait matière à construire, détruire et reconstruire au gré de son imaginaire. Les conventions, la place de chacun, les normes, le temps. Ils n'étaient que de l'argile avec lequel il lui suffisait de bâtir un univers qui serait à même de l'englober.
Et les possibilités étaient infinies, et un nouveau monde s'offrait à lui.
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