Quatre chiffres, voilà ce qu'il faut que je retienne, quatre chiffres qui vont me mener jusqu'à toi.

Fébrile devant le digicode je tape le sésame suprême pour pouvoir pénétrer dans ce lieu de recueillement.

Le hasard a voulu que nous soyons seuls, personne dans la pièce, je m'avance doucement jusque devant ton corps.

Cela fait 10 ans que je ne t'avais pas revu, tu es toujours aussi beau, c'est le souvenir que je veux garder de toi, tu as l'air de dormir, reposant pour l'éternité.

Auprès de toi, un fauteuil voltaire m'incite à m'asseoir. Longtemps je suis restée là, à te regarder, à te dévisager.

Des mots, ou plutôt un flot de paroles, sort enfin de ma bouche, moi, d'ordinaire si réservée, si pudique, voilà que je me livre totalement et ouvertement à toi.

Daniel, pourquoi faut-il que nous soyons enfin réunis avec tant de retard ? Pourquoi n'as-tu jamais répondu à toutes mes sollicitations ? les as-tu entendues ? les as-tu comprises ? Tant de questions me taraudent, questions pour lesquelles je n'aurai jamais de réponse. Le silence est ma vie, le silence est ma prison.

Vois-tu, mon corps de femme a eu parfois le besoin d'assouvir certaines passions, des rencontres en ont découlé, mais à travers ces hommes que j'ai essayé d'aimer c'est toujours toi que j'ai cherché. Aucun n'a trouvé grâce à mes yeux, c'est toi que j'attendais.

Aujourd'hui je peux bien te l'avouer, au fond de moi en secret, n'aurais-je pas voulu que ta vie de couple soit un fiasco ! ainsi, tu me serais revenu et je t'aurais alors consolé et aimé librement.

Quelle vie aurions-nous eu ensemble ? Aurais-je pu te donner les enfants que tu n'as pas eu avec Laurence ? Serions-nous partis vivre en région parisienne ? Que d'interrogations se bousculent dans ma tête.

Alors que je pensais, par cette rencontre, pouvoir libérer mon esprit, trop de questions sans réponses envahissent mon âme.

Qu'il est loin le temps de l'insouciance, le temps de notre enfance, qu'ils sont loin ces moments de complicité enfantine où les tourments des grandes personnes n'étaient nullement notre quotidien, qu'ai je fait de ma vie, de ma vie sans toi...

Je t'entends me dire, tu as une belle situation, tu gagnes bien ta vie, tu es respectée. Que vaut cette considération et cette indépendance Daniel si ce n'est pour partager mes repas qu'avec moi-même, pour me retrouver face à moi-même, combien de fois, j'ai essayé de te parler, combien de fois je suis venue vers toi dans l'espoir que ces mots sortiraient de ma bouche, combien de fois j'ai cru en ma force, mais le silence s'est toujours imposé.

Souvent je me suis demandée "Pourquoi ?" Pourquoi, ce silence, de peur que tu me ris au nez ou tout simplement par lâcheté. Et je dois t'avouer que 17 ans plus tard, je n'ai toujours pas la réponse.