CHAPITRE 2 : LES ETOILES PERDUES
Tous les six assis autour de la table dans la cuisine de Gérard, leurs six étoiles posées devant eux, ils attendent silencieusement que Gérard et Marise viennent se joindre à eux. Enfermés dans le salon, ils débattent avec animosité mais trop bas pour que les six jeunes puissent comprendre ce qu’ils se disent.
Leur conciliabule est interrompu par un coup de sonnette suivi de trois coups frappés à la porte. Les visages de Gérard et Marise trahissent leur surprise quand la porte s’ouvre sur une magnifique femme de leur âge aux yeux bleus remplis de fatigue. Sans un mot elle entre, ferme la porte et enlace ses deux amis d’autrefois.
- Vous n’avez pas changé. Je suis contente de vous revoir.
- Francesca. Tu es toujours aussi belle, le temps ne t’affectera donc jamais ?
- Gérard, toujours aussi charmeur !
- Comment nous as-tu retrouvés ?
- A vrai dire ce n’est pas vous que j’ai retrouvés. C’est Sarah. Ça a été d’une facilité incroyable. D’ailleurs vous devriez peut-être faire attention : si j’ai pu la retrouver aussi aisément, je ne suis peut-être pas la seule. Des photos d’elle commencent à circuler dans les magazines et sur les réseaux sociaux. Où aviez-vous la tête en la laissant s’exposer ainsi ?
- Nous ignorions qu’elle faisait partie de ta famille. Elle a été adoptée alors qu’elle n’avait que trois mois. Nous avons bien entendu trouvé que ses yeux étaient étonnamment bleus pour un nourrisson mais comment aurais-je pu me douter qu’elle était ta petite-fille ?
- C’est vrai, excuse-moi Marise. Elle ressemble tellement à sa mère. Lorraine avait exactement le même visage à son âge. Mais ses yeux ressemblent à deux billes de chocolat et ses cheveux à un champ de blé en été. Désormais l’étoile bleue est retournée à sa propriétaire légitime et il est temps pour elle de connaître la vérité sur sa famille.
- Francesca, dans la cuisine dernière moi se trouvent six étoiles. Es-tu prête à leur raconter leur histoire avec nous ?
Elle acquiesce d’un hochement de tête et s’engage, d’un pas sûr, à la suite de Gérard, dans la cuisine. Après tant d’années elle découvre sa petite-fille, la serre dans ses bras et manque de laisser échapper une larme. Depuis le temps qu’elle attend de pouvoir enfin la serrer contre elle, l’embrasser sur le front et lui acheter des bonbons pour faire râler sa mère et créer une complicité entre elles. Ce rêve devient enfin réalité, à ceci près qu’embrasser Sarah sur le front risque d’être compliqué du fait de sa grande taille et que personne ne viendra râler pour un paquet de bonbons offert en douce à la jeune fille.
Rassemblés dans la cuisine, Gérard peut commencer son exposé.
- Jeunes gens, je sais que vous ne vous connaissez pas très bien et que vous devez vous poser quelques questions. Nous sommes ici aujourd’hui pour essayer d’y répondre. Nous sommes ici aujourd’hui parce qu’hier vous avez tous trouvé un petit paquet contenant une étoile similaire. Ces étoiles ont une histoire très ancienne alors installez-vous bien car je vais vous la raconter.
Tout a débuté avec la création de l’univers. Enfin pas celle de l’univers que vous connaissez, celle d’un autre univers. Tout n’était que vide. Des esprits apparaissaient aléatoirement et s’éteignaient l’instant suivant. Mais un jour deux esprits se touchèrent, fusionnèrent et leur durée de vie augmenta ainsi que leur taille. Un troisième esprit les toucha alors puis un quatrième et ainsi de suite. L’amas d’esprits grandit, grandit jusqu’à devenir immense. Un principe semblable à la gravité fit que tous les nouveaux esprits créés étaient attirés par cet amas et n’apparaissaient plus qu’autour de lui. Cela permit donc à deux autres esprits de se rencontrer. Ces deux amas absorbaient tous les nouveaux esprits et acquirent ainsi l’immortalité. Avec le temps une conscience naquit en eux, grandit et leur donna vie. Les deux premiers dieux étaient nés. Ericlène et Agdamé. Ensemble ils donnèrent la vie à quatre enfants, les Quatre Fondateurs : Estéla qui mit des étoiles dans le ciel, Oriémo qui façonna une planète aussi bleue que verte, Fanéma qui déposa proies et prédateurs sur le chef d’œuvre de son grand frère et Méanima qui le peupla à son tour de créatures dotés de la faculté de libre arbitre. Les espèces vivaient en harmonie, la planète d’Oriémo prospérait, tout était parfait. Les Quatre Fondateurs donnèrent vie à d’autres dieux. Certains se reproduisirent avec des Humains, des Elfes, des Nains, et même des animaux. Alors naquirent de nouvelles espèces. Des Fées, des Lutins, des Anges, des Animalinguas. Mais au fil de leurs descendances et d’hybridation apparurent d’autres races destructrices qui commencèrent à semer le chaos. Méanima, craignant de voir ses créations détruites à jamais, força les nouveaux venus à se terrer dans les sous-sols. Elle les rendit vulnérables au Soleil et la paix revint. À la suite de cet incident les Quatre Fondateurs interdirent aux autres dieux de se reproduire à nouveaux avec les espèces mortelles sous peine d’être banni.
Mais l’un des fils d’Estéla était tombé éperdument amoureux d’une Humaine nommée Mélinda. C’était une femme d’une grande beauté et d’une générosité sans égale. Les légendes racontent qu’elle aurait rendu jalouse Jéna, la déesse de la bonté. Edomon transgressa cette nouvelle loi et retrouva sa bien-aimée. Sa mère apprit la nouvelle et le bannit. Il perdit presque la totalité de ses pouvoirs et son amour pour sa belle ne pouvait l’empêcher de se sentir prisonnier dans cette nouvelle vie. Il priait tous les jours et toutes les nuits pour obtenir la grâce de sa mère mais seule sa sœur Limya vint à sa rencontre. Elle lui raconta qu’à Mundeis, le royaume où vivent les dieux, coulait une rivière. Il connaissait bien cette rivière, il avait pour habitude de s’y baigner auparavant. Mais ce qu’il ignorait c’est que l’eau de la rivière, prélevée à la source, donnait d’immenses pouvoirs. Il laissa donc Mélinda, seule et enceinte, pour partir à la recherche de ce pouvoir. Sa sœur l’aida à s’introduire dans Mundeis où il trouva aisément ladite source et emplit un verre du liquide magique. Il espérait qu’en donnant la boisson à Mélinda elle pourrait au moins obtenir l’immortalité. Il serait ainsi réhabilité en tant que dieu et pourrait vivre avec elle jusqu’à la fin des temps.
Quand il revint chez lui, Mélinda avait donné la vie à un magnifique enfant. Un garçon aux boucles blondes et aux joues roses. Elle prit une gorgée du verre et se sentit soudain très mal. Son visage devint livide, des nausées et des vertiges la saisirent, ses jambes ne la portaient plus. Elle vacilla, laissant échapper huit gouttelettes du verre. Sept tombèrent au sol et apparurent sept magnifiques pierres. Une émeraude, un saphir violet et un bleu clair, un rubis, une goutte d’ambre, un diamant noir et un blanc. La huitième goutte atterrit sur le bras nu du bébé mais rien ne se produisit.
Mélinda resta alitée les neuf mois qui suivirent. Neuf mois au bout desquels elle donna la vie à sept enfants et perdit la sienne. Fou de chagrin, Edomon se jeta dans le fleuve coulant à quelques kilomètres de la chaumière et laissa l’eau le conduire aux côtés de sa dulcinée. Jéna, se sentant responsable de la mort de son cousin, confia l’aîné des enfants au temple d’Estéla le plus proche et emmena les sept cadets à Mundeis où ils grandirent parmi leur famille. Ils possédaient chacun un de ces sept pouvoirs : le contrôle de l’eau, l’air, le feu ou la nature, le pouvoir de guérir, de se téléporter ou de créer des illusions.
A leur majorité ils reçurent chacun une pierre sertie dans une étoile d’or, les sept gouttes échappées du verre de leur défunte mère. Puis ils retournèrent vivre parmi les Mortels, construisirent des familles, disparurent aux yeux des dieux mais leurs étoiles traversèrent les générations pour arriver jusqu’à vous.
Vos ancêtres ignoraient jusqu’à l’existence de leur frère aîné et les légendes l’ont placé dans l’oubli. Mais les rumeurs disent qu’un jour, un de ses descendants entrera dans les légendes et rendra à Cérimon, l’aîné de la fratrie, son rang de Fils des dieux.
- Aujourd’hui beaucoup prétendent être son descendant, alors méfiez-vous de ceux qui racontent appartenir à votre famille. Vous ne pouvez faire confiance qu’à vous, vous sept.
- Vous n’êtes que six pour l’instant mais votre dernière partenaire ne devrait pas tarder à nous rejoindre. Contrairement à vous elle a grandi en Inckya. Nous savons seulement que c’est l’une des deux princesses Animalingua : Lucie ou Ambre. Ce sont des jumelles et les dernières nouvelles datent de bien trop longtemps pour que nous puissions savoir laquelle a hérité des dons de leur grand-mère. Et avant que vous ne posiez la question, les Animalinguas sont une espèce humanoïde ayant la capacité de se transformer en un animal qui leur a été attribué à la naissance. Ils sont extrêmement liés à leur animal : il définit leur caractère, leur personnalité. Toute leur vie est axée sur cet animal.
- Ok… Du coup je passe tout de suite à la deuxième question, qu’est-ce que l’Inckya ?
- C’est le nom d’un continent dans l’autre monde, dans le monde dont nous venons.
- C’est n’importe quoi, soupire Mathieu. Maintenant si vous voulez bien m’excuser, je n’ai pas tant de congés que ça, j’aimerais pourvoir en profiter.
- Restez assis jeune homme, lui ordonne sèchement Marise. Je n’aime déjà pas vous entendre dénigrer de la sorte le monde d’où vous venez mais j’aimerais bien voir la tête que ferait Léon s’il vous entendait.
- Vous connaissez mon grand-père ?
- Jeune homme, ce que vous avez entendu n’est qu’une partie de l’histoire. Je peux comprendre que tout cela vous paraisse complètement absurde et loufoque mais vous devez nous écouter jusqu’au bout. Nous savions en venant ici que vous auriez du mal à accepter cela mais c’est la vérité. Ce monde est tellement cartésien, il condamne tellement la magie qu’il vous est impossible d’accepter son existence. Mais vous allez devoir faire face à cette vérité et accepter qui vous êtes car vous n’aurez pas le choix. Votre nature finira par reprendre le dessus et si vous n’apprenez pas à utiliser correctement vos capacités, elles vous détruiront.
- Si vous êtes prêts nous allons désormais vous raconter une histoire plus récente, celle de vos grands-parents.
Dans ce monde parallèle, le continent Inckya est divisé en plusieurs Etats prospères et paisibles. Mais un jour, un groupe de paysans en eut assez de cette situation, de la royauté, de ses privilèges, et souhaita mettre sur pieds une révolution. Ils n’étaient pas bien dangereux mais faisaient beaucoup de bruit. Des mercenaires virent là l’occasion de gagner du pouvoir et de l’influence. Ils appuyèrent les révolutionnaires, leurs donnèrent des armes, des informations, des stratégies d’attaque. Ainsi les mercenaires devinrent les leaders de cette révolution. Ils se firent appeler les Mariquais. Ils gagnèrent en popularité et avec une armée à leur botte, ils déclenchèrent une guerre.
Au début nous étions persuadés que les Mariquais, seraient écrasés en seulement quelques semaines. Mais les combats durèrent plus de vingt ans. Et les Mariquais remportèrent la partie et le pouvoir sur le continent entier. Ils connaissaient le terrain bien mieux que nous, se fondaient dans la foule des civils, avaient des taupes dans toutes les classes sociales. Ce que nous avions pris pour un simple petit mouvement de mécontentement n’était autre qu’un ouragan de violence s’abattant sur notre monde.
Les chefs d’Etat se sont réunis, ont rassemblé leurs armées et ont fait appel à toutes les ressources disponibles. Sept personnes se sont démarquées parmi les rangs des magiciens. C’est comme ça que vos grands-parents se sont rencontrés. Les étoiles autour de leurs cous étaient la preuve qu’ils étaient les descendants d’Edomon. Les chefs d’Etat ont placé tous leurs espoirs en eux, ils leurs ont donné tout ce qu’ils avaient et vos grands-parents ont donné tout ce qu’ils pouvaient à ce monde. Ils se sont battus valeureusement aux côtés des soldats. Et un jour, ils sont tombés.
- Pour la plupart d’entre nous, nous nous sommes rencontrés durant la guerre.
- Cette histoire est totalement tirée par les cheveux, lance Laura. Nous sommes là, tous les six à écouter trois retraités nous raconter des histoires. Désolée, mais nous ne sommes plus des enfants à qui vous avez besoin de raconter des contes de fées pour nous endormir. Je ne crois pas à tout ça.
- Laura, je sais bien que ce n’est pas évident à accepter mais s’il te plait écoute-nous encore un peu.
- Essaye, rien que cinq minutes, d’admettre que nous vous racontons la vérité. Rien que cinq minutes d’accord ? Tu n’aurais pas envie d’en découvrir un peu plus ? Tu ne voudrais pas voir ce monde de tes propres yeux ? Tu ne souhaiterais pas découvrir tes capacités, découvrir tes origines, embrasser toutes ces nouvelles possibilités ?
- Admettons que ce que vous racontez est la vérité. Parlez-nous de ces sept héros de la guerre.
Sandro, Ethan, Lorine, Marco, Eliane, Maya et Jack. Les Sept. Ils s’étaient rencontrés sur le champ de bataille et s’étaient très vite liés d’amitié. Ensemble ils étaient surpuissants et rien ne leur résistait. Ensemble ils étaient entrés dans la légende. Le monde entier ne parlait plus que d’eux. Les Mariquais ont reculé. Puis ils ont repris le dessus. Vos grands-parents avaient des faiblesses et les Mariquais les ont trouvées. Ils les ont exploitées et ont détruit les Sept. Ils les ont piégés séparément et les ont abattus un à un. Bien sûr cela leur a causé beaucoup de pertes mais cela a aussi marqué la fin de la guerre, leur victoire.
La chute des Sept a ébranlé l’Inckya. Tout le monde s’est immédiatement mis à la recherche de leurs familles soit pour les détruire définitivement, soit pour les aider à se cacher. D’autres encore avaient pour unique ambition de mettre la main sur les étoiles magiques.
Ils n’ont jamais réussi, et tout le monde a commencé à croire qu’elles étaient perdues à jamais, ainsi que la descendance des Sept. Pourtant les Mariquais n’ont jamais mis un terme à leurs recherches. Et un jour ils ont trouvé Aurore et son père. Le lendemain il ne restait plus qu’Aurore et des cendres se dispersant dans le vent sous ses yeux impuissants. Alors Gérard avait pris sous sa tutelle l’orpheline et avait fait fermer les portails menant d’un monde à l’autre. Aucune nouvelle d’Inckya n’est arrivée depuis.
Plus jeunes, les Sept, Gérard et leurs partenaires étaient très proches. Quand ils avaient commencé à avoir des enfants, cinq familles étaient parties vivre en Europe afin de préserver les vies de ces petits, destinés à poursuivre la lignée d’Edomon. Ils ne leur avaient jamais avoué la vérité sur leurs origines, espérant que leur ignorance les sauverait en cas de rencontre avec les Mariquais. Aurore et ses parents les avaient rejoints après la mort de Lorine. Ils avaient bénéficié de l’aide de Marise et Gérard pour acheter une maison et la petite fille aux yeux verts et aux cheveux blonds était venue animer ce foyer. Cinq ans plus tard tout ce bonheur s’envolait en fumée. Mais Aurore était toujours en vie et avec elle l’espoir subsistait. Elle était la braise rougeoyante réchauffant le cœur des opprimés, prête à allumer un incendie dévastateur qui réduirait en cendres les Mariquais. La rumeur se répandait dans les campagnes. Ils n’avaient pas réussi à la tuer alors qu’elle n’avait que cinq ans, elle était toujours en vie, alors il était possible qu’un jour, les descendants des Sept reviennent et renversent l’oppression. Depuis seize ans, le peuple se prépare, attendant le retour des Sept, attendant l’heure de la révolte, espérant des jours meilleurs.
- Et donc admettons que ce que vous racontez est la vérité, l’heure de la révolte a sonné ?
- L’heure de la révolte a sonné.
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