CHAPITRE 6 : LA PRINCESSE DISPARUE

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CHAPITRE 6 : LA PRINCESSE DISPARUE

Dans l’obscurité Aurore joue avec l’anneau de sa mère. Alézia lui a dit que c’était l’alliance que lui avait offerte Ilinaël lors de leur union. Elle la fait tourner entre ses doigts sans parvenir à faire taire les questions dans sa tête.

Pourquoi ? Un an auparavant elle n’était qu’une fille comme une autre, qui fraudait le bus pour rentrer chez elle. Aujourd’hui elle est dans un autre monde, dotée de pouvoirs magiques et héritière d’un peuple dont elle ignore plus que tout. Fruit d’un adultère, elle ignore qui est son père, si elle le rencontrera un jour, s’il est encore en vie. Celui qui aurait dû être son père a tenté de la tuer à sa naissance et veut encore probablement sa mort. Comment sa vie a-t-elle pu changer à ce point ? Comment a-t-elle pu perdre le contrôle de son existence de la sorte ? Pourquoi a-t-elle été choisie par le destin pour sauver ce monde qu’elle ne connait pas ? Qu’a-t-elle de plus qu’un autre ? Elle n’a jamais voulu être différente. Tout ce qu’elle souhaitait c’était de trouver sa place et de mener sa vie tranquillement, sans prétention, d’être heureuse. Ce n’est pas du tout l’image qu’elle avait d’avoir une vie paisible et douce. Pourquoi elle ? Pourquoi Gérard ne lui a-t-il jamais rien dit de tout cela ? Pourquoi lui avoir caché que Lorine était sa mère et non sa grand-mère ? Pourquoi ne pas lui avoir révélé qu’elle est la future reine des Elfes ?

Les yeux rivés au plafond, elle observe les questions qui fusent dans sa tête sans qu’elle ne puisse les arrêter. Elle donnerait cher pour avoir une vidéo de méditation pour s’endormir et une tisane relaxante Mais son téléphone portable ne trouve pas de réseau dans cet autre monde, impossible de charger un quelconque contenu pour l’aider à s’apaiser. Elle illumine ses mains et quelques fleurs de camomille apparaissent au creux de ses paumes. Elle les pose sur son oreiller et ferme les yeux. Du fin fond de sa mémoire reviennent quelques notes d’une mélodie, d’une berceuse que lui chantait celle qu’elle croyait être sa mère quand elle la bordait.

« Ecoute les feuilles, écoute les feuilles qui frémissent dans l’air frais. Ecoute les feuilles qui fredonnent, qui profèrent les fables fatiguées. Ecoute les branches, écoute les branches qui s’entrechoquent dans les bourrasques. Ecoute les branches qui content, qui confessent les rencontres, les conquêtes désuètes. Ecoute les arbres, écoute les arbres qui gardent en mémoire, les esprits, les histoires. Ecoute les arbres qui éclairent ta route, qui murmurent le passé, le présent et le futur. Ecoute les arbres qui chantent ton chemin, qui augurent ton futur, qui éclairent ton cœur. »

Son esprit embaumé par le parfum des fleurs et la mélopée de son enfance, Aurore dérive dans les limbes, dans ses songes peuplés de créatures étranges, de forêts parfois meurtrières, parfois protectrices, de flames dévorant tout sur leur passage.

Mathieu la réveille quelques heures plus tard en lui secouant légèrement le coude.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? s’écrie-t-elle paniquée.

- Eh, tout va bien, calme-toi. Tu étais en train de faire un cauchemar. Il fait presque jour, on peut aller marcher si tu veux, ça te fera du bien. Ou tu peux te rendormir si tu préfères.

- Non, non, marcher c’est bien. Faisons ça, tu as raison, merci.

Ils s’emmitouflent dans des capes en fourrure que leur ont donné leurs hôtes et sortent dans l’air humide de la Forêt Enchantée qui n’a plus d’enchantée que le nom depuis que l’ancienne génération des Sept est décédée.

Les brindilles craquent sous leurs pas, brisant le silence oppressant des bois. Le jour est à peine levé, les oiseaux devraient pépier dans les rameaux mais aucun son ne se fait entendre, la sylve demeure prosaïque et morose.

Une fois éloignés du village, Aurore raconte à son compagnon le déroulement de la fin de sa soirée, ce qu’elle a appris et la nuit chaotique qu’elle a passé. Tout au long de son récit il la couve de son regard brun chaleureux. A la fin il passe une main dans ses cheveux roux en bataille, fronce ses sourcils et soupire. La situation est compliquée en effet. Il n’a aucune réponse à lui apporter concernant le comportement de Gérard toutefois, après réflexion, il fait part à son amie de son idée de se rendre sur le territoire des Elfes afin d’en apprendre davantage sur elle, sur sa mère, sur son peuple. De plus, ils ignorent pour l’instant comment ils peuvent agir concrètement pour sauver ce monde, peut-être cette escale dans leur voyage leur permettra-t-elle d’y voir plus clair et de découvrir quelques pistes vers lesquelles s’orienter pour débuter leur quête.

Une fois de retour au camp des Animalinguas, Mathieu s’occupe de réveiller leurs amis pendant qu’Aurore aide à la préparation du petit déjeuner. Au cours du repas, la jeune femme fait part à ses camarades de son souhait de se rendre chez les Elfes sans pour autant leur faire part des éléments dont elle a pris connaissance la veille. Elle préfère attendre leur départ pour partager avec eux cette révélation en toute discrétion. A l’exception de Lucie, tous approuvent cette décision.

- Ce type voulait te tuer alors que tu étais à peine née, il a tué ta mère, tout son peuple voudra me tuer dès que je mettrai un pied sur son territoire. Je ne pense pas que ce soit vraiment une bonne idée de nous diriger directement vers ce potentiel ennemi.

- Eh bien ma belle, je t’ai connu plus courageuse que ça, la taquine Ambre en s’asseyant à côté d’elle. Petite nous jouions à traverser la frontière sans nous faire attraper et aujourd’hui, alors que tu es épaulée par tes amis, tu refuses de te rendre en territoire ennemi ? Où est donc passée la farouche guerrière que je connaissais, celle qui se jouait du danger et répétait qu’elle serait l’héroïne la plus intrépide que ce monde ait porté ? De nous deux c’est toi qui as toujours rêvé faire partie des Sept, et ce rêve est devenu réalité. Alors fonce, pars à la conquête de ton rêve, répare l’Inckya, deviens une légende. Aujourd’hui tu es l’une des Sept, une étoile. Aujourd’hui tu les as eux pour te soutenir, te protéger, t’accompagner au-travers de l’adversité. Aujourd’hui tu as ça, fais-en bon usage. Je crois en toi ma sœur.

En disant ces paroles elle pose une main affectueuse sur le pendentif brillant au cou de Lucie. Les deux jumelles échangent un regard puis l’unique réfractaire se range à l’avis de ses partenaires.

Ils se mettent en route moins d’une heure après, laissant aux Animalinguas le soin de garder leurs vêtements de l’autre monde. Aurore en profite pour laisser à ses propriétaires la cape en fourrure et revêt celle que lui a léguée sa mère. Elle passe à son doigt l’alliance et range délicatement la lettre et le diadème dans sa besace puis rend la boîte vide à Alézia. Ils sont au commencement de leur voyage, ce n’est pas le moment de se charger inutilement.

Après avoir remercié une dernière fois les Animalinguas pour leur hospitalité et leur générosité, ils laissent derrière eux le village. Lucie refuse d’utiliser la téléportation pour les rapprocher de la capitale elfique : elle ne connait pas le lieu de leur destination, n’a personne à qui penser pour orienter ses pouvoirs et ne maîtrise pas encore suffisamment sa magie pour se permettre de tenter ce genre d’expériences. De plus elle préfère éviter l’incident diplomatique et passer par les frontières traditionnelles entre leurs deux contrées.

Après avoir marché près de trois heures, Lucie les arrête. Ils viennent d’arriver devant un pont qui enjambe une large rivière. Elle se retourne vers le bois une dernière fois, prend une grande inspiration et, la tête haute, pose un pied sur la passerelle.

Ils n’ont pas posé un pied sur l’autre rive que deux soldats sortent du couvert des arbres, arcs à la main. Parés de rutilantes armures en argent et de capes vertes, ils observent d’un mauvais œil l’arrivée des visiteurs.

A la vue d’Aurore ils semblent se détendre légèrement. Confus par l’attitude à adopter ils rangent leurs armes et s’approchent des voyageurs. Leurs visages s’illuminent à l’instant où ils perçoivent les médaillons des nouveaux venus. C’est alors que celui de gauche fronce les sourcils et pointe Aurore du doigt.

- Veuillez nous excuser, tout porte à croire que vous êtes les légendaires étoiles divines, pouvez-vous nous apporter des preuves à cela ?

Le petit groupe obtempère sans discuter, soucieux de ne pas froisser les deux soldats.

- C’est un immense honneur de vous savoir de retour, s’émerveille celui de droite en posant un genou au sol. Vous êtes les bienvenus en terre elfique.

- Mademoiselle, sans vouloir vous importuner, seriez-vous la fille disparue de Lorine ? s’enquiert le garde aux sourcils froncés.

Aurore confirme d’un hochement de tête gêné. Les deux hommes échangent des murmures dans une langue qu’elle ne comprend pas et, en multipliant les courbettes, les invitent à les suivre jusqu’à leur village.

Les sept porteurs des étoiles ne se font pas prier et emboitent le pas aux deux membres, très bavards, de l’armée elfique. En les écoutant Aurore apprend que la rumeur s’est répandue dans tout le continent que la princesse Elfe avait disparu, que nul ne l’avait jamais vu mais qu’elle serait encore en vie, quelque part, et qu’elle reviendrait un jour pour guider son peuple vers des jours plus lumineux. Le Roi sera sûrement enchanté de retrouver sa fille disparue depuis plus de vingt ans. Après le massacre qu’avaient osé commettre les Mariquais, il serait sans aucun doute soulagé de voir que sa progéniture était saine et sauve, que l’esprit de Lorine, sa femme bien-aimée, survivait grâce à leur enfant. Même s’il devra se séparer de la couronne, ce ne sera qu’un bien maigre sacrifice en échange de la bénédiction de retrouver la chair de sa chair, sa fille, la princesse disparue, la nouvelle reine légitime.

Malgré l’invalidité des espoirs des soldats, personne n’ose les contredire et briser la joie qu’ils se font de ramener leur princesse au Roi.

Le village des Elfes est constitué de cabanes perchées en hauteur, dans les arbres, reliées entre elles par des ponts suspendus au-dessus du vide. Lucie est prise de vertiges rien qu’à l’idée de devoir monter là-haut. Elle consent toutefois à suivre ses amis et à se rapprocher des faîtes des arbres, avec la promesse que Thomas la rattrapera si jamais elle chute.

Les gardes les font asseoir sur une esplanade en bois et vont tambouriner aux portes des cabanes pour en faire sortir les habitants. Rapidement la placette se remplie de monde venu saluer les descendants d’Edomon et plus particulièrement la princesse disparue.

L’effervescence s’apaise quand une vieille dame aux cheveux gris et au dos courbé sort d’une petite maison avoisinante. Avec une agilité étonnante compte tenu de sa vieillesse apparente elle rejoint l’assemblée. Après les avoir accueillis respectueusement, elle s’approche d’Aurore et soulève précautionneusement ses cheveux blonds.

Les oreilles arrondies de la jeune femme provoquent la surprise ainsi que la confusion dans la foule. Les Elfes ont les oreilles pointues, comment est-il possible qu’il n’en soit pas de même pour leur princesse ? La vieille femme lui prend tendrement les mains et lui sourit en lui demandant de leur raconter son histoire. Aurore s’exécute en omettant le fait qu’Ilinaël Ier n’est en réalité pas son père.

Quand elle a fini son récit, l’Elfe aux cheveux gris lui sourit et se tourne vers ses confrères.

- Mes amis, il est normal que ses oreilles ne soient point semblables aux nôtres : elle a vécu toute sa vie dans l’autre monde et n’est arrivée qu’hier. Or les oreilles elfiques, ainsi que toutes les caractéristiques non présentes dans l’autre monde, ne peuvent se développer qu’ici, il faut leur laisser un peu de temps. Toutefois ma chère, vous avez beau être la fille de Lorine, je ne vois pas dans vos yeux l’éclat de la forêt, vous n’êtes pas une Elfe.

- Comment cela ? balbutie Aurore, affolée à l’idée que son secret soit étalé au grand jour.

- Vous êtes une demie-Elfe très chère, vous n’êtes pas la fille de notre Roi.

Elle fait une pause, le temps que cette nouvelle, aussi puissante qu’une bombe, fasse son effet sur les personnes attroupées autour d’elles. Quand les bavardages cessent enfin, elle reprend gravement :

- Vous êtes certes notre souveraine incontestée mais Sa Majesté ne supportera pas la trahison de feu sa femme. Que vous soyez l’une des Sept ou non, Ilinaël Ier ordonnera votre mort s’il apprend votre retour parmi nous. Je sais de quoi je parle : j’ai été à son service durant de nombreuses années. C’est mon compagnon et moi-même qui vous avons emmenée loin de lui lors de votre naissance, qui vous avons accompagnée dans l’autre monde.

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