Je suis le juge et le bourreau! Vous mourrez quand je le déciderai!
Lorsque le général Otto Von Shrapnel avait ordonné la destruction de cette ville et l'extermination de sa population, il y avait de cela dix ans maintenant, il ne se doutait pas qu'il se retrouverait un jour acculé au point de devoir revenir s'y réfugier.
Les bottes des soldats crissaient doucement en écrasant sous elles les cendres de la cité. L'armée impériale avait déjà tout nettoyé au lance flamme. Ils avaient minutieusement purgé chaque maison de toute présence alien. C'était au début de l'invasion de la planète Orbyxa. L'armée du général Von Shrapnel avait fait une avancée fulgurante sur le territoire des Orbyxiens. Leurs armées avaient été pulvérisées. Les prisonniers déportés et exterminés en masse. Et enfin leur capitale planétaire, la cité de Koreth, avait été réduite en cendre avec sa population sur ordre du général Von Shrapnel.
Mais à présent, c'était dans les ruines de cette cité que l'armée impériale courait se réfugier. C'était la débandade. Les Orbyxiens avaient levé une nouvelle couvée de guerrier, et leur nombre avait été centuplé en une année. Leur contre offensive s'était faite avec la fureur de ceux qui défendent la survie de leur espèce.
Les généraux impériaux en présence auraient pu contrer ce regain de puissance, si le gouvernement impérial n'avait pas décidé d'abandonner la conquête de cette planète pour tourner ses ambitions ailleurs.
Depuis trois ans maintenant, les humains reculaient. Leurs armées, privées de ravitaillement, tombaient les unes après les autres. Von Shrapnel et ses troupes représentaient la dernière présence humaine sur Orbyxa désormais.
Ayant rassemblé ses hommes dans les restes du centre ville, le général monta sur l'ancien socle d'une statue qu'ils avaient abattue dix ans auparavant. Il balaya d'un regard sévère les troupes qu'il avait encore avec lui.
Vingt mille hommes au total. Moins de dix chars. Et une artillerie dérisoire, la plupart des pièces ayant été abandonnées au cours des dernières retraites successives. Ils avaient un certain nombre de mitrailleuses lourdes, mais c'était tout.
Jusque là, les humains avaient surtout été surpris par le brusque bond technologique fait par les Orbyxiens. Les aliens avaient subitement été capables de déployer des armes de destruction massives, faisant des ravages parmi les soldats non préparés. Avec leur artillerie de campagne, les Orbyxiens avaient remporté un certain nombre de bataille à la déloyale, façon bataille de Castillon. Mais maintenant c'était différent, ils étaient à Koreth, et les Orbyxiens n'oseraient pas canarder leur capitale. Otto Von Shrapnel les connaissait suffisamment après ces dix ans de guerre pour savoir que même en sachant la ville en ruine, les Orbyxiens n'auraient jamais le courage de bombarder ce lieu sacré. Ainsi, ils tenteraient de les assaillir avec leur infanterie. Les humains auraient au moins l'occasion de se battre, avant de succomber sous le nombre. Ils n'étaient que vingt mille, et l'armée qui s'approchait d'eux comptait plus d'un million de soldats. Sans compter que toute la race des Orbyxiens devait maintenant comprendre près d'un milliard d'individus. La situation était pour le moins critique pour les vaillants défenseurs des intérêts impériaux.
Le général Von Shrapnel scruta attentivement les visages de ses soldats. Ils étaient mous, déformés par une colère qui n'avait plus de cible. Ils étaient pâles, marchaient la tête baissée et la mine sombre. Leurs yeux étaient mi clos, et leur regard sondait les alentours avec une crainte paranoïaque. Certains claquaient des dents. D'autres frissonnaient sans raison apparente. C'était comme si, sans qu'ils en soient conscients, la certitude qu'ils allaient mourir s'était insinuée dans leurs corps et sabotait leurs muscles. Otto voyait tout cela. Et il s'en désolait. Il fit la moue derrière sa moustache. Il chercha du regard ceux en qui il avait le plus confiance: le porte étendard régimentaire Adolf Krieger, et les commissaires politiques de l'empire, chargés de surveiller le moral des hommes.
Le premier se tenait à sa droite. C'était un peu son fils spirituel. Toujours souriant même dans les pires situation, ce jeune homme fanatique le suivait partout comme son ombre.
Les commissaires quand à eux, étaient dispersés parmi les soldats, uniquement reconnaissables à leurs casquettes.
Otto ouvrit la bouche, mais alors un cri émergea de la foule. Un homme hurla vers le ciel avec un râle déchirant:
- "Les dieux nous ont abandonnés !"
Puis il saisit son pistolet et se tira dans la tête. Sa cervelle gicla en arrosant ses compagnons qui s'écartaient avec des cris effrayés. Cela provoqua un mouvement de panique parmi les hommes. Le général secoua la tête, dépité.
Puis, Von Shrapnel se ressaisit, serra les poings, bomba le torse, et fit d'une voix puissante portée par un ton grave:
- "Soldats! Ressaisissez vous!"
Les soldats furent surpris. Le général poursuivit.
- "Tas d'incapables! Je vous interdis de baisser les bras! Regardez vous! Amorphes et mollassons! Redressez vous bande de larves! Raidissez l'échine! Relevez la tête! Regardez moi! Regardez moi tous immédiatement! C'est un ordre!"
Timidement, les hommes commencèrent à se redresser. Ils levèrent le regard vers le général, mais beaucoup finirent par baisser les yeux. Mais Von Shrapnel ne laissa pas passer ça; toujours en hurlant, il dit:
- "Redressez moi ces visages! C'est un ordre! Je vous donne dix seconde pour lever les yeux vers moi! Et je vous préviens, le prochain que je vois baisser les yeux, je lui dévisse la tête, et je lui chie dans le cou!"
Les hommes se raidirent d'un coup et levèrent les yeux vers le général qui poursuivit son discours.
- "Nous avons tous fièrement combattu pour faire de cette caillasse informe qu'est Orbyxa, un nouveau havre entre les griffes de l'empire. Aujourd'hui vous ne vous battez pas pour une planète étrangère, mais pour une planète de l'empire! Et quiconque ose me contredire ferait mieux de se manifester dès maintenant et je me ferai un plaisir de lui péter les genoux! Personne? Bien!
Maintenant, regardez vous! Est-ce là ce que vous imaginez quand on parle de la splendeur impériale? Non! Vous n'êtes pas des soldats! Vous n'êtes que des larves! Et j'ai horreur des larves!
J'entends d'ici le bruissement de la vermine alien qui approche. Des insectes méprisables qu'un humain pourrait fouler du pied sans problème. Mais si vous persistez à n'être que des larves, alors vous ne valez pas mieux qu'eux!
Écoutez moi bien! Ici aura lieu votre dernier combat. Soit vous décrocherez la victoire comme de valeureux combattants de l'empire, soit vous crèverez tous comme d'insignes larves!"
Un homme sortit de la foule de soldats pour crier:
- "Mais, herr général! Cette planète est perdue. On ne pourra rien faire si on reste ici."
Le général Von Shrapnel darda son regard sur lui et s'écria:
- "Lâche! Commissaires! Faites votre devoir!
- Ainsi que le veut l'empereur!" Récita un commissaire en armant son pistolet.
Le coup de feu résonna dans toute la place, et les hommes furent aspergés par la cervelle du contestataire.
Le général reprit la parole sur un ton plus dur.
- "Tel est le sort que je réserve aux lâches, aux traîtres, et aux aliens. Je les met tous dans le même sac, moi. Je vais clarifier la situation pour être sûr que vous ayez bien compris. Vous allez gagner cette bataille! Je ne vous laisse aucun choix! Vous allez gagner parce que je vous l'ordonne! Et j'annonce que nous gagnerons cette bataille parce que j'ai décidé qu'il en serait ainsi! Si vous n'êtes pas d'accord, je vous tue! Je préfère tous vous tuer jusqu'au dernier de mes propres mains plutôt que d'être défait par ces insectes pathétiques!
Les ordres sont les suivants! Aucun signe de lâcheté ne sera toléré. Vous allez avancer vers l'ennemi! Je placerai des mitrailleuses derrière vous! Si jamais j'en vois un esquisser le moindre pas en arrière, je le découpe en tranche à la mitrailleuse!
Est ce que c'est bien clair!"
Les soldats, horrifiés, restèrent pétrifiés. Le général aboya:
- "Dites jawohl!
- Jawohl!" Firent timidement les soldats.
- "Plus fort!
- Jawohl!
- J'ai dis plus fort! Bande de larves!
- Jawohl herr général!" Scandèrent tous les soldats.
- "Répétez le!" Aboya derechef le général Otto Von Shrapnel.
- "Jawohl herr général!
- Alors maintenant en ligne! Et que ça saute! Et à la moindre bévue je vous arrache le visage à coup de cravache!
- Jawohl herr général!
- Et quand vous voyez l'ennemi, vous le chargez à la baïonnette! Sans vous retourner! Sinon c'est moi qui vous met en charpie!
- Jawohl herr général!
- Allez y maintenant! Gloire à l'empire! Gloire à l'empereur!"
Soudains pleins d'une énergie nouvelle, les soldats coururent se mettre en position. Cette énergie, c'était l'énergie de la peur qui faisait monter une froide adrénaline dans tout leur corps.
Pendant que les commissaires plaçaient les mitrailleuses en vue de leurs propre hommes, Otto Von Shrapnel commençait à apercevoir les silhouettes de leurs ennemis se dessiner dans la brume. Il sourit derrière sa moustache touffue.
Assurément cette bataille serait digne de lui.
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