11-12
Chapitre 11
Jusqu’à la fin de la journée, j’ai cherché un truc. Un sujet de conversation, une excuse pour parler avec Mathieu quand on serait sans les autres. Parce que les quelques kilomètres de bus jusque chez lui, ce n’était pas assez. Pour aborder les sujets sérieux, j’ai un préchauffage assez long, on dira. Mais quoi ?
Et là, l’idée de génie ! Enfin, pas trop, non. Juste une idée, genre nulle, mais je n’ai rien d’autre.
- Et toi, tu fais quelque chose, après ?
Le petit Mathieu … Rooh, je dois arrêter ça sinon c’est comme Faith, je le dirai un jour à haute voix, pas sûr qu’il apprécierait … Non, Mathieu tout court ! Sauf que ‘tout court’ c’est pas mieux … Donc, bon, Mathieu m’a regardé avec des grands yeux.
- Pas … vraiment, non.
- C’est juste … je me disais, tu vois, j’avais vu sur le Book of Faces … je ne voulais pas être curieux, tu sais … c’est juste que j’avais vu De Cape et De Crocs dans tes favoris, alors je me disais …
Rooh ! C’est compliqué, puis je dois avoir l’air trop bête à bafouiller comme ça, il pense quoi de moi ?
- Hmmm ?
- Juste … vous aimez la BD, monsieur Deutsch ?
- Oh oui ! Euh … j’ai répondu trop vite là , non ? Ça fait un peu no-life, hein ? Limite geek …
- Pas beaucoup plus que moi, tu vois.
- Hmmm
- Oui, bon, on va pas être désolés de ce qu’on est, il y a pire, je me dis.
- Pas faux.
- …
- Après, mon nom, ce n’est pas Deutsh, c’est Lallemand, mais bon, sur FB, je préfère qu’on ne me retrouve pas trop facilement.
Pourquoi je n’ai pas pensé à ça, moi ? Puis surtout pourquoi je ne l’ai pas fait ? Dans ma tête, je traduis mon nom dans quelques langues connues … et ça ne le fait pas trop. Mais bon, note to self : je dois creuser le truc, c’est trop rusé ! Mais aussi, un peu parano. Sauf si …
- Tu préfères pas ?
- Des gens d’avant, quoi.
Les briques du tétris se mettent en place … Comme il avait réagi quand Hadrien avait parlé de harcèlement, puis les trois anciennes écoles dans son petit CV sur FB … Bizarre qu’il les mentionne quand même, sauf s’il y a gardé quelques potes malgré tout, puis s’il filtre, évidemment … Finalement, il est pas mal compliqué, mais je peux le comprendre, un peu.
- Ah. Oui, bon, je vois, enfin je pense. Mais bon, je me demandais, tu échanges ? Après, c’est clair que certains n’aiment pas trop.
- Echanger des BD, tu veux dire ?
- Ben oui … Oh ! Oui, je parlais de BD … prêter, quoi.
- Si j’ai confiance, oui.
- Ah. Oui, logique.
- Mais toi, j’aurais confiance.
- Cool ! Donc, voilà … juste pour que je mérite, tu veux venir chez moi ? Tu vois s’il y a des trucs qui t’intéressent et puis bon.
- Je dois prévenir …
- Oui, mais moi aussi, mais sinon, tu manges à la maison, mon père te ramène après, tu vois ?
Mais il hésite. Bon, je me mets à sa place, je ferais la même chose. Après, il n’y a pas de piège, alors steuplé, petit Mathieu, dis oui, dis oui, dis oui …
Il s’est éloigné pour téléphoner. Ses parents, sûrement, il est gentil-poli, mais aussi, je ferais idem. Tiens oui, faudra que je le fasse quand il m’aura dit quoi.
- C’est bon pour moi, mais je ne dois pas manger chez toi non plus.
- Un peu, quand même … Enfin, c’est comme tu le sens mais bon, il y a mes BD puis celles de mon père, ça fait pas mal, tu verras.
Il veut bien venir ! Et je me sens bizarre, là. Genre heureux, sans vraiment savoir tout à fait pourquoi. Mais heureux, comme … je ne sais plus quand, mais ça parait des siècles. Et puis on pourra un peu parler, ce sera bien.
**********
Chapitre 12
Son abonnement de bus ne couvre pas la zone où j’habite, j’ai proposé de payer le supplément.
- Tu exagères, là. Tu m’invites, c’est déjà bon, tu sais.
- Oui, enfin, techniquement, c’est mes parents mais bon, désolé.
J’en fais trop. Mais comment on fait pour mettre à l’aise le garçon que … qu’on veut mettre à l’aise ? Et au lieu des solutions, il n’y a que des problèmes qui me pètent en tête ! Je fais quoi, là ? Je ramène un pote à la maison, et déjà ça, c’est pas trop habituel. Du tout, même. Maman est ok, papa aussi et il le reconduira mais bon … Puis mes sœurs ? Pourquoi j’ai des sœurs, aussi ? Après, j’ai expliqué, il est dans le groupe d’écriture, les BD, toussa … Mais bon, quoi.
- Tu sais, je voulais te dire … hmmm … je suis désolé, vraiment, j’ai été idiot, ça t’a blessé, j’ai vu …
- …
- Le mot que tu avais mis … C’était juste gentil.
- Oh, ça ! Non, j’aurais pas dû.
- Oui ! Vraiment. Je veux dire, je suis pas trop habitué donc j’avais pas compris. Enfin si, sauf que …
- Pas que c’était moi, parce que ...
- Je regrette, tu sais, j’ai été nul, là.
- Non, c’est logique aussi, on ne pense pas trop … tu vois, moi … faire ça.
- Mais c’était … juste bien … Oui, voilà, ce serait bien que … tu vois …contact, tout ça.
Non mais bon, quand est-ce qu’on pourra faire des phrases complètes, nous ? C’est pas demain. Alors pour la compréhension, c’est un peu dead. Sauf que j’ai toujours plus envie de faire des efforts, pour lui.
Plus le bus avance, plus il bouge la tête à droite-gauche. Forcément, il y a moins de maisons, ça devient très campagne, et comme je l’ai vu entrer dans un immeuble juste devant son arrêt, je sais, il vit dans un appartement, alors les champs c’est pas trop son truc.
- T'inquiète, on a l’électricité, puis l’eau courante, aussi.
- Hein ? Ah oui, bien sur. Non mais je connais un peu, ma mamy habite bien plus loin et elle aussi.
Pourquoi j’imagine direct Mathieu avec un hoodie rouge qui va porter du miel à sa mamy dans la forêt, là ? Puis qu’il est tellement mince et fragile que le loup, ben, il lui calerait juste le creux d’une dent.
- M’maaan, je suis là !
- Bonsoir mon bonhomme. Oh ! Bonsoir jeune homme.
- Ben, c’est Mathieu, je t’ai dit, le stage d’écriture …
- Bonsoir madame. Désolé de venir comme ça, ce n’était pas trop prévu.
- Il y a une constante que j’apprécie beaucoup chez les amis de Jérémie, ils sont tous très polis. Sois le bienvenu, Mathieu. Ah oui, papa est retenu au travail, on mangera plus tard mais si j’ai bien compris, vous allez examiner toutes les BD de la maison, ça peut prendre du temps … Avec Jérémie et son père, j’ai deux ados bédéphages à la maison, glisse-t-elle à Mathieu avec un clin d’œil.
- Euh … les apprenties sorcières ?
- Hmmm … Tes sœurs, donc, sont au cinéma avec Mathilde et ses parents, le taux de décibels sera au dixième de la normale ce soir. Et efface-moi ce sourire, frère indigne.
Je fais un signe de tête à Mathieu pour qu’il me suive.
- Elles sont si terribles ?
- Ben, on dira, à côté, Sarah est terriblement sociable, tu vois ? Tu as des frères ou des sœurs ?
- Non … Enfin si, un demi-frère, il a trente-deux ans, on se voit pas trop, mais il est sympa, hein. Juste qu’il n’est jamais ici, il est ingénieur en biologie, un botaniste, il est à Bahrein pour le moment … pour faire pousser des fruits dans le désert, tu vois ?
Nouvelle note à moi-même : diriger mes gorgones de sœurs dans ce genre d’études, ou n’importe quoi qui amène à une carrière internationale. Juste pour mettre des milliers de kilomètres entre elles et moi, quoi. Je regarde par-dessus mon épaule et je ne le vois pas, je fais demi-tour. Il est resté dans le hall.
- Tu viens ?
- J’enlève mes chaussures, j’aurais dû le faire à la porte.
Je me retiens de sourire, c’est vrai qu’il est poli, puis respectueux. Et bizarrement adorable, comme il saute sur un pied puis se sert de l’autre pour virer sa deuxième chaussure, ce qui lui fait perdre l’équilibre, il a juste l’air d’un petit lutin maladroit et c’est … ben oui, attachant.
Puis il finit par me rejoindre et je remarque ses chaussettes dépareillées à la Spencer Reid … Mathieu, Matthew, non mais c’est logique, aussi.
- Je peux ?
Je dois me retenir de lui dire qu’il peut faire tout ce qu’il veut de moi, parce qu’il passe seulement le regard de moi à ma bédéthèque … Après, je ne l’imaginais pas trop demander la permission de me jeter sauvagement sur mon lit, c’est pas vraiment son genre, je me dis.
- Ben oui, culture avant tout.
- C’est pas ce que mon père dirait, il a juste lu les Tuniques Bleues quand il était petit, il ne comprend pas que j’y dépense tout mon argent … Oh ! Tu as Zombillénium, j’adore Aurélien, il est trop gnon … enfin, il est décalé, je veux dire, limite ironique sauf que c’est pas fait exprès, il est juste premier degré.
Trop gnon … Oui, bon, c’est pas faux, en plus je l’ai déjà pensé aussi … jusqu’à l’imaginer en copain, pas trop son côté hybride loup-garou-vampire mais celui du mec un peu naïf mais surtout gentil puis … ben oui, mignon. Après, je n’imaginais pas trop un autre garçon partager mon point de vue sur Aurélien. Alors là, son lapsus qui n’en est peut-être pas un, c’est quoi ? Un aveu discret ? Un test ? Une invite à une confidence de ma part ?
- Oui, tout à fait, tout … ce que tu as dit.
Il m’a regardé comme s’il jugeait la franchise de ma réponse. Puis la présence éventuelle d’un message plus ou moins caché.
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