15-16

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Chapitre 15

- Stooop ! C’est ici.

- Ah, OK … Et bien, descendez, je vais aller tourner plus loin.

Mathieu est sorti avec sa sacoche de pc d’un côté et le sac de BD de l’autre, je l’ai suivi jusqu’à l’entrée de son immeuble, il a sorti ses clés puis m’a regardé et j’ai fondu sur son sourire toujours un peu triste mais où, avec un peu d’imagination et beaucoup d’autosuggestion, je voulais voir un petit truc d’espoir de quelque chose de bien.

Et j’ai eu envie de l’embrasser, mais aussi, une envie, c’est juste brimant si on ne la réalise pas, alors j’ai avancé de dix centimètres, c’était genre, j’ai fait un bout du chemin, quoi … Alors il s’est rapproché aussi, et puis nos lèvres se sont collées. Et le truc des papillons dans le ventre, qui chatouillent à l’intérieur, ben c’était juste ça. Et ça aurait pu durer toujours, sauf que mon père allait revenir, et il était peut-être même déjà là que je n’en savais rien, et alors explications embarrassantes, conséquences qui le seraient encore plus …

Il est entré et m’a fait son petit signe de main timide alors que la porte se refermait. Puis il a tourné dans le couloir, et je me sentais un peu seul, d’un coup. A me demander comment il avait pu prendre tant de place dans ma tête en si peu de temps …

Je me suis retourné et la voiture était là, à dix mètres … Et papa qui regardait vers moi, un peu étonné. Il sait ! Il a surement vu mais bon, je n’allais pas rester des heures à me poser la question, je me suis dirigé vers la route et je l’ai rejoint, avec une petite hésitation devant la portière puis j’ai actionné la poignée.

- Ceinture, bonhomme. D’abord parce que c’est obligatoire puis … je ne voudrais pas te perdre.

- Malgré …

- Malgré rien du tout.

- Hmm.

- Il a l’air d’être un garçon bien.

- Oui.

- Juste oui ?

- Non, vraiment, il est … très bien.

- Ça me rassure sur mon jugement.

- Papa, tu as … Qu’est-ce que tu as vu ?

Parce qu’on se ressemble pas mal au final, et pas que physiquement, il a juste réagi comme je l’aurais fait, il a haussé les épaules, le sourire un peu gêné, le clin d’œil qui ne dit pas grand-chose, à part peut-être une approbation muette.

J’ai porté le regard sur l’immeuble juste au moment où la lumière s’allumait à une des fenêtres, puis la silhouette de Mathieu y est apparue.

Papa a redémarré et on est rentrés. Sur le chemin, mon phone a vibré et a émis le bzzz de réception d’un sms. J’imaginais bien de qui mais je l’ai laissé en suspens.

Juste avant qu’on sorte de la voiture, il a tapé des doigts sur le volant. C’est un de ses tics, je connais bien, il va dire quelque chose mais il cherche les mots. Je peux bien lui accorder le temps de le faire.

- Je ne te juge pas, je ne le ferais jamais sur ce sujet, vraiment, j’espère que tu le sais, cela.

- Oui, je me doute, oui … merci.

- Et j’en connais une autre qui ne le ferait pas non plus mais … Maman sait ?

- Non, je … non.

- …

- Mais je vais le lui dire, c’est juste honnête. Juste … laisse-moi le faire moi-même, s’il te plait.

- Bien sûr, bonhomme. Allez, on rentre.

J’ai dit bonsoir à maman et je suis allé dans ma chambre. J’ai pris mon phone dans ma poche, un message de Mathieu …

[Ça va ? Vs étiez tjs là, j’espère, ton père n’a pas vu. Dis-moi]

Il s’inquiète, c’est gentil. Il ne va pas dormir, là. Puis moi non plus peut-être. Mais je dois lui répondre.

[Il a vu ms c ok, je pense. Te dirai demain]

[Je suis dsl]

[Moi pas, ct le + beau truc du monde pr moi]

[Et pour moi !]

Dans mon lit, j’ai fait le truc, là … le rituel pour m’endormir. Sauf que ce n’était plus un petit mec capté dans une vidéo porno, puis ce n’était plus Hadrien non plus … C’était Mathieu. Et dans ma tête, le scénario avait changé, c’était … je sais pas … plus timide.

Je n’avais plus envie de corps qui se collent violemment, qui se mélangent, qui entrent l’un dans l’autre, tout ça était devenu … presque crade, puis certainement inutile, vu que juste des regards qui se croisaient, puis seulement des mains qui touchaient légèrement, c’était bien.

C’était juste lui, sa délicatesse, sa timidité … Et dans ma tête, j’allais juste dire un truc très bête genre ‘je t’aime’ mais il posait le doigt sur mes lèvres, puis les siennes sur mon front, juste au-dessus du nez, où on caresse les bébés pour les faire dormir. Et c’était bien aussi …

**********

Chapitre 16

- Cassé la clavicule ? Comment il a fait ?

- Happy hour le jeudi au Déluge, il s’est bourré la gueule à la vodka-RedBull, il a voulu grimper sur un lavabo pour pisser de haut comme un petit oiseau …Et puis, bon …

- Et il est tombé, souffle Mathieu.

- Ouaip ! Il s’est trompé d’oiseau, plutôt genre autruche pas trop douée pour voler et il s’est viandé comme un gros caca !

C’est imagé, évidemment, mais c’est Sarah, aussi. Elle n’est pas cruelle, c’est pas ça, mais impitoyable envers la bêtise, oui. Et bon, apparemment, il a été un peu très idiot là, faut dire.

- Alors on fait quoi ? j’ai demandé.

- A part lui apporter un ballon à l’hélium avec un texte genre ‘Hadrien roi des gogols’ et se moquer de lui, je vois pas trop.

- Saraaah …

- Non mais je rigole, aussi, ho ! Ben, il n’y a rien à faire, tu veux lui donner une de tes clavicules ? De toute, on avait fini le texte puis ça évite de se prendre la tête une trentième fois pour quand même finir par benner sa scène préférée, au final.

Vrai qu’il a trop insisté pour suicider les amants maudits, on a fini par dire ok sous réserve de ne surtout pas l’interpréter devant les autres. Déjà, dix-neuf paires d’yeux auraient regardé le plafond – Sarah, Mathieu et moi inclus - puis dix-neuf grimaces ... Il y a juste Madame Tibbet qui aurait trouvé ça bien, mais aussi, au début, elle avait cité ‘Mort d’un Commis Voyageur’, elle a dû la voir vingt fois dans les trois langues, elle kiffe juste trop l’idée. C’est pas très sain.

Alors, Hadrien écrasé dans les toilettes d’un bar, c’est moche, mais il aura quand même eu son saut de l’ange, c’était un mal pour un bien, on dira.

Sarah nous a regardés en souriant. C’est comme si l’accident d’Hadrien la faisait marrer, mais c’est bizarre, elle n’est pas comme ça, elle. Enfin, je ne pense pas.

- Ça ne t’amuse pas, quand même, si ?

- Hein ? Oh, la chute de l’empereur ? Non, je ne suis pas … aussi méchante, vraiment pas. Non, c’est autre chose …

- Quoi ?

- Non, rien … juste une idée, un truc à confirmer.

- Je ne te comprends pas.

- L’histoire de ma vie, ça, mon petit Jérémie. Puis peut-être de la tienne, aussi.

Raaah ! Elle m’énerve à faire sa mystérieuse comme ça. Je propose de leur ramener un soda du distributeur dans l’entrée, histoire de faire un truc, bouger. Mais elle me fait juste le sourire du sphinx, et Mathieu murmure un truc genre, non merci.

Je voudrais être ailleurs, peu importe où, mais avec mon petit blond, parce qu’on a du rapprochement à faire, je me dis. Puis le serrer, aussi parce que … C’est étrange comme impression, j’y ai réfléchi, j’ai dégagé deux trucs. Déjà s’il me donne l’envie de le coller, c’est un peu parce qu’il est tout mignon mince fragile, mais ça, c’est juste le sentiment qu’on a envers une peluche ou un bébé chien avec ses yeux tristes, et c’est moyen, faut dire.

L’autre idée, c’est ce qu’il a dit sur la confiance, puis le peu d’infos que j’ai trouvé sur lui, puis le pas beaucoup plus lourd qu’il a dit lui-même. Au bout du bout, ce qui est un peu clair malgré tout, c’est qu’il a été trahi trop souvent, ça explique sa méfiance. Mais on ne peut pas vivre comme ça ! Je veux dire, ça fausse toutes les relations humaines, et si je veux en vivre une avec lui, en petit copain ou seulement en ami, ça ne doit pas être ainsi.

Parce que oui, j’ai imaginé un truc tout doux entre nous, qui m’a fait pousser plus loin ce que je pouvais espérer dans la vie. Jusque-là, à part phaser sur des mecs inaccessibles genre Hadrien, c’était très flou. Ma faute, un peu, je sais, déjà le physique, je suis pas terrible, le mec qu’on ne remarque pas, et quand on le fait, c’est pour focaliser sur … ben oui, les côtés pas terribles. Dysmorphophobie? Peut-être. Puis aussi, je ne suis pas hyper sociable, ni trop le mec le plus marrant du monde, pas bavard, limite secret. Sauf que pour ça, à côté de Mathieu, je suis un livre ouvert.

Mais si dans les relations humaines, j’avais toujours été en mode passif, à compter sur les efforts des autres, là, j’avais envie d’en faire, et c’est juste tellement pas moi, je ne me reconnaissais pas.

Mais pourquoi lui ? Plusieurs raison. En premier, le message qu’il avait glissé dans mon Eastpak, le truc qu’il n’a jamais fait avant, et je le crois, c’est pas trop lui, ça. Ensuite je l’invite sur un motif trop pourri comme ma collec de BD, du genre qu’il refuserait probablement poliment à un autre. Puis enfin … et c’est peut-être bête, mais significatif, aussi … j’ai remarqué qu’on finit souvent les phrases de l’autre, et j’ai fini par me persuader que ça voulait dire quelque chose.

Comme il a fait pas mal d’efforts pour moi, j’ai vraiment envie d’en faire pour lui ! Juste cette idée qui se dessine très nettement qu’il vaut la peine et que, bon … on ne sait pas de quoi l’avenir est fait, mais le mien serait plus beau avec lui dans ma réalité.

Sauf que là, ma réalité, c’est aussi ce stage de vacances qui avait commencé en mode ennui, et qui est devenu un truc limite surréaliste qui a bousculé ma petite existence et a surtout ouvert un monde de perspectives que je n’aurais jamais imaginé.

Et le stage se termine aujourd’hui.

Avec la représentation de nos chefs d’oeuvre.

Avec public invité, sinon espéré par Madame Tibbet.

Maman …

Je lui avais envoyé un SMS en partant ce matin : ‘faut vraiment pas venir, tu sais’. Sans réponse, évidemment, elle me laisse baigner dans l’incertitude. J’hésite à en envoyer un second pour être sûr, en disant qu’Hadrien n’est pas là, donc que je ne dirai quand même pas une ligne, mais trop d’insistance la persuaderait, justement, je la connais trop bien.

Retour dans la salle avec mon ice tea … pour voir Mathieu, et Sarah qui lui fait une méchante accolade. Enfin non, gentille, sauf que je grimace intérieurement à l’idée des dégâts qu’elle pourrait faire à la cage thoracique d’un mec pas trop épais comme lui. Mais il sourit. Gentiment. Presque heureux. Mais euuuuh …

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