Chapitre Quatrième

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 — Je te hais. Je te hais, Anderson.

 Sans prêter le moins du monde attention à ce qui l'entourait, Andrew jeta rageusement son carnet à la couverture noire sur la table, laissant tout juste le temps à Charles de soulever son assiette pour éviter qu'il n'atterrisse directement dans sa purée. Penché en arrière, il la garda précautionneusement entre les mains jusqu'à ce que Turner se laisse lourdement tomber sur le banc et plaque ses mains contre son front. Face à lui, James léchait lentement sa fourchette, parfaitement indifférent à la dernière déclaration du garçon. Andrew était dans un état effrayant, il ne pouvait le nier : des mèches de cheveux noires, ondulées à quelques endroits, se battaient en duel au sommet de son crâne comme s'il avait oublié de se coiffer ou même de se regarder dans un miroir avant de quitter les dortoirs – chose qui, venant de lui, était définitivement inquiétante.

— Je te hais ! répéta-t-il à nouveau en lui adressant un regard assassin, relevant péniblement la tête. Tout est de ta faute. Si je ne t'avais pas suivi samedi soir, et si une fois de retour dans ma chambre j'avais réussi à fermer l'œil, je n'aurais pas totalement oublié de faire ce stupide essai de littérature ! Maintenant, je suis bon pour le rattrapage !

— Ne crois pas que je me moque de tes problèmes, Turner, mais je pense qu'il y a des soucis plus importants que tes mauvaises notes, coupa James en pointant l'extrémité de sa fourchette en direction du nez du jeune homme. Par exemple...

 D'un simple mouvement du poignet, il redressa son couvert en direction du plafond, puis le dirigea vers la table qu'il apercevait au-dessus de l'épaule de Rob. D'un seul mouvement, les trois autres garçons se retournèrent en fronçant doucement les sourcils, une fraction de seconde avant de voir un garçon brun bondir du banc, saisir la anse de son sac et quitter les lieux d'un pas pressé en se contentant de marmonner de vagues excuses lorsqu'il bouscula maladroitement un groupe de collégiens. Lorsque tous les regards se reposèrent sur Anderson, celui-ci avait déjà baissé les yeux vers son assiette, impassible.

— McKenzie ? Ce lèche-bottes ? reprit Andrew.

— Tu le traites de lèche-bottes uniquement parce qu'il a de meilleures notes que toi, commenta Robert avec un sourire entendu, ignorant sans peine le regard assassin que Turner lui adressa.

— Il a l'air plutôt gentil, marmonna Walter avec un haussement d'épaules. Autant que peut l'être le président des élèves, bien sûr. Il m’a filé un coup de main avec un devoir...

— C'est bien ce que je dis : lèche-bottes, murmura Andrew dans un souffle.

— Je dis seulement qu'il n'a rien de détestable. En plus, il ne nous a toujours pas dénoncé pour samedi.

— Mais tu te méfies de lui, pas vrai, James ? demanda Robert en relevant le nez vers lui.

 Durant leur discussion, Anderson avait appuyé son menton contre son poing fermé, parfaitement immobile à l'exception de ses iris bruns qui passaient de l'un à l'autre des garçons chaque fois que l'un d'entre eux prenait la parole. Lorsque le silence retomba sur le petit groupe, il les leva finalement vers la porte en bois du réfectoire par laquelle Victor venait de prendre la fuite en surprenant les regards posés sur lui. Une semaine, et il n'avait toujours pas donné leurs noms à Crawford – ou même au directeur lui-même. Cette nuit-là, ils avaient tous filés du bureau sans un regard en arrière, et jamais cet incident n’avait été évoqué par qui que ce soit. Si McKenzie se décidait à parler, c'était la fin. Ils pourraient être expulsés, tous, et par sa faute. Il ne pourrait rien faire pour sauver Walter, Hamilton et Turner. Ils feraient leurs valises et quitteraient Whitwood. Oh, sa tante ne manquerait pas de repeindre les murs du salon avec son sang si cela arrivait, et même cette pensée peina à lui arracher plus qu'un faible sourire amusé. McKenzie avait l'avantage, et lorsqu’une personne en position de force ne se servait pas de son pouvoir, cela ne lui plaisait pas le moins du monde. Quel intérêt pouvait-il avoir à les couvrir ?

 Balayant d'un vague geste de la main ce désagréable sentiment d'impuissance de son esprit, James secoua la tête puis prit une profonde inspiration, décidé à chasser Victor de ses pensées : il trouverait bien le moyen de s'assurer que le garçon ne se montre pas trop bavard un jour ou l'autre, et s'il ne les avait dénoncé à personne jusqu'ici, il n'y avait aucune raison qu'il parle de sitôt. Quelque part, Anderson avait toujours une longueur d'avance. Du moins, pour le moment.


***


 James souriait.

 James souriait, et c'était assez rare pour être souligné. Il n'était pas un garçon d'une nature très avenante, et s'il y avait bien ce rictus méprisant et moqueur qui étirait presque continuellement les commissures de ses lèvres, sa tante Helen s'était toujours refusée à considérer cela comme un sourire.

 Mais, à présent, il souriait. Et de toutes ses dents. Bien sûr, certains – ses professeurs, par exemple – auraient pu lui faire remarquer que cet enthousiasme surprenant était déplacé : ses résultats scolaires étaient lamentables. Et encore, c’était un euphémisme. Il s'en moquait. Évidemment, il n'avait pas échappé aux heures d'études supplémentaires, obligatoires pour les élèves en difficulté (James pensait que c'était une manière très polie de les traiter d'abrutis) et mises en place pour empêcher les quelques cas comme ceux d'Anderson de faire chuter le niveau de l'établissement au classement national des écoles. Efforts vains : il n'avait pas gagné le moindre point après les dizaines de coups à l'arrière de la tête ou sur le bout des doigts qu'il avait reçu afin de l'aider à se concentrer sur ses études.

 Turner et Walter lui avait bien proposé de réviser en leur compagnie jusqu'à l'heure du couvre-feu – Hamilton, quant à lui, avait déjà bien assez de mal à rester au-dessus de la moyenne pour se permettre de prendre quelqu'un sous son aile – mais ils avaient à leur tour bien vite abandonné tout espoir d'intéresser Anderson à la trigonométrie ou à Shakespeare. À vrai dire, ils avaient bien compris qu'il n'y avait qu'une seule et unique chose qui parvenait à lui faire éprouver quelque intérêt : leurs excursions nocturnes.

 Malgré les premières réticences des trois autres garçons, il était parvenu sans le moindre mal à les convaincre de quitter à nouveau leur chambre après l'extinction des feux. Ils étaient sortis sept, huit ou peut-être dix fois et jamais ils ne s'étaient fait surprendre par Crawford ou même par Victor McKenzie, qui les ignorait à la perfection chaque fois qu'ils se croisaient dans les couloirs. Par précaution, ils n'allaient jamais deux fois au même endroit : le bureau du vautour, par exemple, n'avait plus jamais été la cible d'Anderson. Car c'était bien lui qui dirigeait avec une main de fer chacune de leurs promenades de nuit, et ni Robert, ni Charles ou encore Andrew n'avait jamais discuté le moindre de ses ordres. Ils supposaient que c'était grâce à lui qu'ils ne s'étaient encore jamais fait prendre et ils tenaient à ce que cela reste le cas.

 Et puis, alors qu'octobre était déjà là, James cessa peu à peu de sourire.

 Ce soir-là, comme tous les précédents, Charles et Andrew s'étaient invités dans la chambre qu'il partageait avec Robert et, comme à chaque fois, ils étaient entrés dans la pièce avec leurs notes de cours sous le bras et en se plaignant de la montagne de devoirs qu'ils avaient à rédiger. Comme toujours, Andrew s'était installé sur le lit de Rob, le dos appuyé contre le mur blanc, les jambes croisées, et mordillait nerveusement le bout de son stylo dès qu'il cessait d'écrire. Comme toujours, ses fins sourcils noirs se fronçaient lorsqu'il reposait les yeux sur son manuel de physique, et le coin gauche de ses lèvres s'arquait curieusement sous sa concentration. Comme toujours, Charles était assis en tailleur à même le sol, un coude en appui contre son genou et, comme toujours, il jouait machinalement avec l'extrémité d'une mèche de cheveux blonde. Comme toujours, il avait gardé dans sa poche le fruit qu'on leur avait servi pendant le dîner et, comme toujours, il passait plus de temps à le déguster qu'à réfléchir à ses devoirs.

 Et, comme chaque nuit, au moment où l'horloge indiquait vingt-deux heures et que la voix de Crawford, annonçant le couvre-feu, retentissait depuis le couloir, Rob jetait son crayon sur son cahier en poussant un long soupir découragé. Et demain, ils répéteraient encore une fois cette chorégraphie.

 James eut un soupir ennuyé. Il était à demi allongé sur son propre lit, un bras derrière la tête et l’une de ses revues sous les yeux. Il les avait feuilletés tant de fois depuis leur petite intrusion dans le bureau de Crawford qu’elles étaient dans un sale état, mais il continuait à admirer les photographies de mannequins en bikini et relisait les interviews de ses idoles comme s’il ne cessait de les redécouvrir. Le dos confortablement enfoncé dans son oreiller, il était resté coi toute la soirée, et ne s'était pas montré fort bavard ces derniers jours non plus. Son pied gauche, posé contre son genou replié, battait l'air sur un rythme régulier.

— Au fait, commença Charles en se penchant prudemment vers les autres garçons pour empêcher les élèves traversant encore le couloir de l’entendre, on sort, ce soir ?

— Fais ce que tu veux, marmonna James. À ton âge, je n’avais plus besoin de chaperon.

 Les trois garçons tournèrent les yeux vers lui, comme surpris d'entendre le son de sa voix, mais Anderson refusa de détacher les yeux de sa lecture. Charles eut un vague mouvement d’épaules pour toute réponse, mais Andrew s’approcha de Robert en arquant un sourcil curieux.

— Qu’est-ce qu’il a ?

— Si je le savais…, répondit Hamilton avec un soupir.

 Avec un mouvement de bras exaspéré, Turner leva les yeux au ciel. Résigné, il donna une petite tape sur le bras de Charles pour lui intimer de le suivre et quitta la chambre, refermant la porte derrière lui en surprenant l'observation lourde et glaciale de Crawford posté au bout du couloir.

 Dès que la poignée en fer noir s'immobilisa, un silence pesant enveloppa brusquement la chambre étroite. Seul le grincement du parquet, tandis que Rob le traversait en quelques pas jusqu'à sa table de nuit, parvint à le briser. Anderson ne le regardait pas. Il entendit uniquement un craquement de bois et un « merde » soufflé lorsque Robert dut asséner un coup de hanche contre le meuble pour que le tiroir bloqué daigne se refermer. James avait toujours les yeux grands ouverts, ses iris bruns fixés sur un article de son journal sans qu’il n’en lise le moindre mot, lorsqu'il reconnut le bruit caractéristique des cartes battues.

— Une partie ? proposa Robert, et le grincement des ressors de son matelas laissa supposer qu'il s'y était assis.

 Il ne répondit pas. À quoi bon ? La paresse avait toujours occupé une place importante dans sa vie, mais lorsque James Anderson s'ennuyait, elle semblait le consumer comme une flamme dévorait une feuille de papier. Même les jeux de cartes (le seul et unique divertissement qui n'était pas encore réglementé à Whitwood) qui, en tant normal, lui permettait de tuer le temps jusqu'à ses rendez-vous nocturnes avec ses amis, n'avaient plus le moindre intérêt à ses yeux. Ces jeux étaient tout aussi routiniers que l'étaient devenues ces sorties. Tout lui paraissait... terriblement fade.

 Même passer sous le nez des chasseurs devenait lassant. Ça devenait trop facile : il connaissait chaque recoin de Whitwood sur le bout des doigts, sans parler des habitudes de Crawford ou même du principal Lambert. Il avait trop honte pour se l’avouer, mais il lui arrivait d’espérer qu’ils se fassent surprendre au détour d’un couloir. Pas qu’ils se retrouvent piégés, non, mais juste assez menacés pour ressentir à nouveau cette pointe d’adrénaline si plaisante qui avait couru dans ses veines lorsque Victor McKenzie avait croisé son regard dans le bureau du surveillant. Ce n’était pas qu’il espérait se faire expulser de l’école. Ça, il avait finalement accepté de le reconnaître : il avait beau détester cet internat du plus profond de son être, il y avait bien quelque chose qui le poussait à ne pas franchir le point de non retour. Et cette chose, cette seule et unique chose, c’était la certitude que plus jamais il ne reverrait ses amis dès l’instant où il ne serait plus élève au Whitwood Institute.

 Mais même cette conviction commençait à s’effacer. Il ne supportait plus de sentir cette routine lui coller à la peau comme une crasse invisible dont il était incapable de se débarrasser. Il la haïssait, et ce même si elle était plus stimulante que celle des autres élèves de l'école condamnés à attendre le samedi pour sortir le nez de leurs bouquins. Il s'en moquait : ce n'était pas assez. Et ce ne serait jamais assez, pas pour lui permettre de tenir une année entière sans mourir d'ennui.

— Ta partie, colle-la toi où je pense, marmonna-t-il en se grattant nonchalamment le torse.

— C'était une simple proposition, murmura Robert en haussant les épaules, tassant machinalement son paquet.

— Merde ! Des jeux de cartes. On aura tout le temps de jouer aux cartes lorsqu'il nous restera trois cheveux blancs sur le crâne. De foutus jeux de cartes !

 Anderson eut un mouvement de colère parfaitement inutile contre l'air, mais s'immobilisa en voyant, du coin de l'œil, Rob bondir de son matelas et lui coller brutalement son jeu de cartes contre l'estomac. Il laissa malgré lui échapper une petite exclamation de surprise et, durant quelques secondes, il se retrouva à regarder bêtement le petit tas rectangulaire posé sur son nombril d'un air aussi incrédule que possible.

— Je suis vraiment désolé de te forcer à participer à des activités de vieux croûtons, soupira Robert en posant ses poings contre ses hanches, debout auprès du lit de James qui, bouche-bée, ne fit que lever les yeux vers le jeune homme. Mais il n'y a vraiment rien de mieux à faire, ici. Si tu crois pouvoir trouver quelque chose de plus amusant, je t'en prie, je suis tout ouïe. Sinon, arrête de faire grincer ton dentier et joue avec moi.

 Sur ce, il se laissa à nouveau tomber au bord de son lit, les bras ballants et ses grands yeux bleus fixés sur James, comme s'il attendait sérieusement sa réponse. De longues secondes s'écoulèrent pendant lesquelles ils ne firent rien de plus que détailler curieusement le paquet de cartes qui reposait sur le ventre d'Anderson. Les ongles de celui-ci, doucement, aussi légèrement que s'ils effleuraient un objet de grande valeur, caressaient la surface lisse de la carte au sommet du paquet. L'as de pique.

Trouver quelque chose de plus amusant. Quelque chose qui ne mourrait pas écrasé par l'ennui qui lui enserrait la gorge chaque jour un peu plus fort que la veille. Quelque chose qui laisserait un souffle de vie s'infiltrer en lui comme une bouffée d'oxygène et qui imprégnerait son être, le sauvant de ce quotidien si insupportable, de cette vie à Whitwood où même les draps blancs de son lit lui semblaient être un linceul.

 Son doigt effleura encore une fois les cartes. J'ai l'impression d'être une putain de proie poursuivie par un chasseur.

 James releva les yeux vers le visage de Rob. Que la petite tête de son camarade de chambre regorgeait d'idées intéressantes à exploiter ! Mais il avait besoin de temps pour mettre tout cela au point. De beaucoup de temps.


***


 — Une ! Deux ! Allez, du nerf ! Une ! Deux ! cria le capitaine du club d'athlétisme, ponctuant chaque mot d'un coup de sifflet.

 Leurs foulées creusait la terre humide de l'allée, y laissant quelques traces de semelles. Ils passèrent sur les bords du lac, s'immobilisèrent quelques secondes pour piétiner sur place en projetant leurs genoux vers le ciel, puis reprirent leur chemin dans le parc de l'internat.

 Un coup de vent frais secoua les fines branches des bouleaux et, dans un bruissement de feuilles, une pluie rougeâtre, ocre, dorée s'abattit sur la surface lisse et calme du lac. Des dizaines de petits cercles s'y dessinèrent et, peu à peu, s'étendirent jusqu'à secouer la rive de vaguelettes imbibant la terre noire qui s'y trouvait. Par réflexe plus que par peur de recevoir quelques gouttes d'eau douce, Andrew releva la pointe de ses pieds, enfonçant plus profondément ses talons dans le sol humide et arrachant quelques brins d'herbe avec les semelles de ses bottines ; le haut de sa colonne vertébrale se colla un peu plus à l'écorce blanche écaillée des arbres et les muscles de ses cuisses se raidirent lorsqu'il posa son carnet à la couverture de cuir noir contre elles. L'une de ses mains passa dans ses cheveux et se referma sur la feuille ambrée qui s'y était accrochée. Levée au niveau de ses yeux, il la fit doucement tournoyer entre son pouce et son index, observant attentivement le limbe doré parcouru de nervures et de petites tâches brunes avant de poser délicatement la petite feuille de bouleau au creux de sa paume.

 Lentement, son poing se referma sur elle. Ses ongles creusèrent sa surface froide et sèche, la percèrent, la déchirèrent, et au moment où ses phalanges blanches apparurent à travers sa peau, les derniers craquements parvinrent à ses tympans. Alors, doucement, il déplia les doigts, découvrant les restes du limbe déchiqueté.

— Turner.

 Le garçon fut secoué d'un tel sursaut que les fragments de la feuille chutèrent sur l'herbe humide. Il fit aussitôt volte-face, bondissant sur ses pieds, laissant son carnet noir choir au sol. Ses grands yeux verts se fixèrent immédiatement sur la silhouette immobile qui le dévisageait avec curiosité depuis l'allée de terre conduisant aux dortoirs, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon en jean. Les revers, tout comme ses bottes noires et le tissu au niveau des genoux, étaient tâchés de terre séchée brune qu'il n'avait vraisemblablement pas réussi à effacer après l'une de leurs escapades nocturnes dans le parc.

— Oh, Anderson, murmura Turner en forçant un sourire, essuyant la paume de sa main sur son pull blanc, y accrochant quelques morceaux de feuille bruns.

 Encore, songea Andrew en voyant les yeux de James observer curieusement le mouvement de sa main. Encore ce regard qui suivait chacun de ses gestes avec intérêt, encore ce regard qui semblait chercher quelque chose au sein de ses propres pupilles sans que lui-même ne comprenne de quoi il pouvait bien s'agir. Peut-être n’était-ce là qu’une curiosité naturelle, et réciproque. Après tout, Andrew en venait parfois à douter qu’ils parlaient la même langue, et ne cessait de ressentir une étrange surprise chaque fois que James lui adressait la parole ou recherchait sa compagnie. Il avait bien conscience qu’en dehors de Whitwood, le seul instant où il aurait eu l’occasion d’échanger le moindre mot avec lui aurait été le moment précis où James lui aurait volé son argent de poche ou sa nouvelle montre.

 Et chaque dimanche, la même image se dessinait dans son esprit lorsqu’il posait les yeux sur les vêtements de James : le visage fermé de son père, et ses yeux lourds de jugement toisant ce pantalon de la taille aux chevilles. Quelques années plus tôt, il était bien parvenu à le convaincre de lui offrir un jean – à condition, bien sûr, qu’il le choisisse à la place de son fils – mais il ne manquait pas une occasion de lui adresser un regard plein de déception chaque fois qu’il le portait. Depuis deux ans, donc, son pantalon presque neuf tapissait le fond de son tiroir, dans sa chambre de Newcastle.

— Viens, reprit soudainement James avec un mouvement de menton en direction de l'une des tourelles qui apparaissait à travers les arbres. J'ai déjà dit à Rob et à Charles de nous retrouver à la bibliothèque. Il faut que je vous parle.

— Nous parler ? De quoi ? demanda Andrew en haussant un sourcil.

 Un rictus étira les lèvres d'Anderson et, durant une fraction de seconde, Andrew vit ses yeux bruns s'illuminer comme ceux d'un enfant le jour de Noël.

— Tu verras, souffla-t-il finalement avant de tourner les talons.


***


 Tout ce qu'ils entendaient était le grattement des stylos sur le papier, le froissement d'un page de notes, et quelques pas aussi légers que possible lorsqu'un élève quittait sa table et se baladait entre les imposantes étagères supportant tant bien que mal le poids des livres. Certaines piles d'ouvrages attendaient à même le sol d'être rangées, mais pas par le bibliothécaire : ce vieil homme à la bedaine flasque durement retenue par les boutons de son gilet peinait déjà bien trop à tenir sur ses jambes maigres comme des bâtons pour effectuer le moindre effort physique, et déléguait sans remords cette tâche aux élèves qui avaient le malheur de venir lui demander le moindre renseignement sur un ouvrage. Il avait cette habitude particulièrement agaçante de leur répondre par un vague mouvement de main ennuyé, puis il se servait une énième tasse fumante de son infâme thé à la camomille.

Ce vieux gobelin en boit tant que sa pisse doit avoir le même goût, avait un jour soufflé James à l'oreille de Robert, dont le bruyant éclat de rire lui avait valu de ranger à son tour une pile de livres. Mais ce jour-là, il n'était pas question de se faire remarquer. La tête basse, Anderson traversa la bibliothèque, Andrew sur les talons, et bloqua inconsciemment sa respiration en passant sous le regard méfiant du vieil homme. Cela ne l'empêcha malheureusement pas de sentir le doux fumet de la camomille l'envelopper jusqu'à ce qu'il s'asseye à la table la plus isolée, autour de laquelle Charles et Rob étaient déjà installés. Turner prit place à sa droite, posa son carnet noir sur la table et croisa les bras, couvrant comme les deux autres son ami d'un regard curieux mais prudent. James sembla se repaître de cette attention durant quelques longues secondes silencieuses avant de se décider à porter sa main à la poche de son pantalon et d'en sortir le jeu de cartes de Rob.

— Qu'est-ce que... C'est tout ? balbutia Robert avec un haussement de sourcils incrédule en le regardant séparer les quatre premières cartes du paquet, qu'il garda dans la main avant de poser le reste à ses côtés. Tu veux faire une partie ? Ça ne pouvait pas attendre ce soir ?

— Ferme-la deux minutes, tu veux ? soupira Anderson en posant ses quatre cartes sur la table, face cachée.

 Du bout d’un doigt, il en fit glisser une devant Charles, mais ne la retourna pas. Walter, pour toute réponse, détailla le dos de la carte avec un froncement de sourcil concentré, comme s'il tentait de lire les intentions de James à travers elle.

— On ne peut pas se contenter de sortir la nuit et d'errer sans but à travers Whitwood, déclara posément Anderson en glissant sa main sur le bois de la table. À quoi bon déroger aux règles lorsque cela ne nous amuse plus ?

— Ça m'amusait, moi..., murmura Rob, recevant pour toute réponse un regard agacé de James avant que celui-ci ne reprenne la parole.

— Je ne veux pas laisser Crawford gagner sans même qu’il parvienne à nous attraper. Nos sorties ont perdu leur intérêt… et l’ennui nous poussera à les abandonner. Avant même de nous en apercevoir, la tête de Turner explosera à force de réviser encore et encore sans jamais se détendre.

 Andrew émit un grognement en guise de protestation en entendant Charles ricaner, mais ils se turent dès que le bibliothécaire releva le nez dans leur direction.

— … Et je ne peux pas… je ne compte pas attendre chaque samedi comme un clébard attendrait qu'on remplisse sa gamelle pour qu’on me laisse le droit d’échapper quelques heures à ce fichu règlement. Alors… j'ai pensé que nous pourrions tenter quelque chose d'autre.

 Sur cette dernière phrase, il adressa un sourire grimaçant à l'attention de Rob. Toujours du bout de son index, il glissa une carte vers lui.

— Quelque chose de plus amusant.

 Les grands yeux bleus de Robert s'écarquillèrent à ces mots, et ses lèvres se pincèrent doucement lorsqu'il vit James placer une troisième carte devant les bras croisés d'Andrew, avant de ramener la dernière près de lui. Apparemment, être à l'origine des idées d'Anderson ne le faisait pas crier de joie.

 D'un mouvement de main, James leur fit comprendre qu'ils pouvaient retourner la carte qu'il leur avait attribué, mais sans la montrer à leur voisin. Soulevant uniquement un coin de la sienne, il jeta un coup d'œil au dessin qui s'y trouvait, puis la reposa bien à plat contre le bois. Charles, face à lui, lança un regard amusé en direction d'Andrew en le voyant vainement tendre le menton dans l'espoir de voir quelle carte possédait son voisin, puis releva les yeux vers James en arquant un sourcil. La commissure de sa lèvre s'arqua sous la curiosité et l'enthousiasme qui commençait à transparaître sur son visage aux joues creuses.

— C'est un jeu, n'est-ce pas ? Tu as inventé un jeu ? demanda-t-il dans un murmure et, lorsqu'il vit James acquiescer lentement, son sourire s'étendit sur ses lèvres.

— Oui. C'est un jeu. La Grande Chasse.

 Un frisson d'excitation parcourut James à l'instant où il prononça ce nom, remontant le long de son échine ; une vague d'adrénaline pulsa dans ses veines et, bien qu'il ait tenté de planter ses dents dans sa lèvre inférieure pour le cacher, il fut incapable de réprimer plus longtemps le sourire brûlant d'impatience qui lui déformait le visage. Sous la table, son pied se mit à battre un rythme rapide.

 Mettre au point les règles de ce qu'il appelait la Grande Chasse s'était avéré être un jeu d'enfants. Il ne lui avait pas fallu plus d'une semaine pour une chose si élémentaire, surtout pas armé des connaissances précises que ses excursions nocturnes lui avaient apporté à propos de l'internat. Le jeu avait été prêt à sonner le départ de sa première manche en quelques jours, et le règlement était clairement inscrit au sein de sa mémoire.

 Mais James avait douté. Non pas de lui, ni même de ce qu'il avait créé, mais de ses amis. Durant ces quelques jours qui séparaient le moment où il avait achevé son travail et celui où il avait décidé d'exposer sa création à ses trois camarades, il n'avait eu de cesse d'observer leurs gestes, de déchiffrer leurs sourires, de décoder chacune de leurs paroles, et avait peu à peu décelé l'unique élément qui lui manquait pour être pleinement convaincu que chacun d'entre eux feraient des joueurs hors pair. Du moins, il en avait rapidement été assuré concernant Robert Hamilton et Charles Walter.

 L'ennui. Voilà ce que James avait avidement recherché chez ses camarades. Et il n'avait pas mis plus de vingt-quatre heures pour le déceler chez Charles. Ce qu’il avait d’abord pris pour de l’introversion ne trompait plus Anderson : si un quelconque événement pouvait illuminer son quotidien à Whitwood, il n'allait certainement pas l'ignorer. Il était enthousiaste à l'idée de participer à chaque nouvelle idée de James, toujours le premier à lui offrir son aide s'il avait besoin d'un complice pour quelque méfait à la seule condition qu'il n'en subisse aucune conséquence. Si son ami l'encourageait à attacher la cravate de son uniforme de travers en guise de rébellion, il allait sans l'ombre d'une hésitation jusqu'à sortir sa chemise hors de son pantalon et la laisser pendre misérablement jusqu'à ce qu'un professeur lui fasse une réflexion à ce sujet – réflexion souvent accompagnée d'un coup sur les doigts. Et James mentirait en affirmant que le dévouement de Walter ne l'avait pas grandement aidé à apprécier la compagnie de ce garçon, jusqu’à découvrir au fil du temps un sourire mutin sous le masque du garçon sérieux et discret. Il lui paraissait évident que Charles serait absolument ravi par sa dernière brillante invention.

 En revanche, James avait mis près de deux jours à arrêter son choix sur Rob en tant que troisième joueur. Oh, il appréciait – voire adorait – ce jeune homme, là n'était pas la question. Anderson ignorait, en revanche, s'il avait l'étoffe d'un chasseur. Il lui paraissait évident que si Robert ne s'était pas trouvé être son colocataire, il ne l'aurait probablement pas intégré au jeu. Durant ces deux jours, il avait vainement guetté la moindre ombre sur son visage, le moindre tremblement de lèvre qui trahirait un sourire factice, le moindre regard froid ou agacé. Mais il n'avait rien trouvé. À l'exception bien sûr de quelques soupirs ennuyés lorsqu'il recevait une nouvelle mauvaise note lors d'un devoir, Robert s'empressait de ravaler sa tristesse pour tourner sa propre bêtise en dérision et, une fois que l'une de ses plaisanteries semblait amuser les personnes qui l'entouraient – qu'il s'agisse de James ou d'élèves qu'il ne fréquentait pas en dehors des heures de cours – il gardait un large sourire sur le visage et rayonnait de bonne humeur. C'était désespérant, aux yeux d'Anderson. Non, ça n'irait pas. Impossible. Du moins, c'est ce qu'il se répétait jusqu'à ce que la nuit tombe, mettant fin à son deuxième jour d'observation aux côtés de Robert.

— Regarde ça.

 Anderson leva les yeux de l'enveloppe qu'il tenait entre ses doigts en entendant Rob se lever de son bureau et traverser les quelques pas qui le séparait du lit de James. Il ne l'avait pas encore ouverte, et s'était jusqu’ici contenté de glisser le bout de son pouce sur les petites lettres tracées sèchement à l'encre noire sur le papier blanc. L'écriture de sa tante était si propre, si régulière que, bien qu'elle soit familière, jamais elle ne lui avait semblé si impersonnelle.

 Arrivé à son niveau, Robert prit place à ses côtés et lui tendit une photographie aux extrémités abîmées, dont le centre était froissé d'une longue ligne comme si le papier avait été plié. Trois visages souriants, un homme d'âge mur aux cheveux noirs plaqués contre son crâne, une femme brune avec un léger embonpoint vêtue d'une robe à fleurs quelque peu vieillotte et un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de treize ou quatorze ans, apparaissaient côte à côte, posant dans un petit jardin. La femme caressait tendrement les cheveux bouclés de son fils, les yeux brillants de larmes mêlant bonheur et tristesse, tandis que l'homme le tenait fermement par les épaules, le menton fièrement relevé. Son sourire était si large que ses pommettes remontaient sous ses petits yeux aux paupières lourdes, qui ne semblaient être rien de plus que deux fentes noires. James reporta finalement son attention sur l'enfant. Son sourire était aussi éclatant que celui des deux adultes qui l'entouraient mais il semblait teinté d'un autre sentiment que le bonheur ou la fierté, un sentiment sur lequel James ne parvenait pas à mettre le doigt.

— Tes parents ? demanda-t-il sans lever le nez de la photographie.

— Ma mère et mon beau-père, son second mari. C'était il y a quatre ans, la veille de mon entrée à Whitwood, répondit Rob en s'installant plus confortablement à côté d'Anderson, ramenant ses genoux contre son torse et entourant ses jambes de ses bras. Ma famille n'a jamais roulé sur l'or, et je ne suis même pas le fils d'Alfred, mais ils se sont endettés pour m'envoyer ici, ajouta-t-il en tapotant du bout de l'index le visage de l'homme sur la photographie. Il n'est pas mon père et il s'en moquait : intégrer ce foutu internat, c'était ma seule chance de ne pas finir balayeur ou je ne sais quoi. Je ne pourrais même pas te dire à quel point ils ont travaillé dur pour me permettre d'étudier dans cet internat. Ils ont donné tout ce qu'ils possédaient.

 Sans même s'en apercevoir, James replia lentement la photographie, cachant les visages emplis de fierté des deux parents de Robert. Pourtant, aucun des deux jeunes hommes n'en détacha les yeux ; tous deux perdus dans leurs pensées, ils passèrent les minutes suivantes dans un silence imperturbable, sans même esquisser le moindre geste. Mais ce silence ne leur parut pas le moins du monde inconfortable, bien au contraire : l'épaule de Robert reposait contre la sienne et, tandis qu'il relâchait lentement ses bras et les reposaient contre son torse, il parvint à sentir ses muscles se détendre peu à peu. Sa respiration était lourde, lente, et s'échappait par ses lèvres entrouvertes sans même savoir que James écoutait attentivement cet unique son presque imperceptible. Ce fut pourtant grâce à cela qu'Anderson sut à quel instant Robert s'apprêta à reprendre la parole : sa respiration se bloqua brusquement, sa langue humidifia ses lèvres, mais il ne fit rien de plus qu'expirer longuement par les narines, comme s'il craignait d'ennuyer James avec ses histoires de famille. Inconsciemment, ce dernier tourna doucement la tête vers lui, juste assez pour parvenir à l'observer du coin de l'œil, comme s'il désirait lui prouver qu'il était toujours à son écoute sans s'embarrasser de mots.

— Je me suis toujours interdit d'exprimer devant eux toute la haine que m'inspire cet endroit. Les professeurs, les leçons, ce foutu règlement et ce connard de Crawford... Je sais que tout cela est un luxe, je sais que j'ai une chance inouïe d'étudier ici mais peut-être n'est-ce tout simplement pas fait pour quelqu'un comme moi. J'ai presque honte d'être élève ici quand je vois leurs sourires. Je passe tout mon temps à potasser ces foutues notes de cours et, au mieux, je n'ai aux examens que trois ou quatre points de plus que toi qui ne vient aux leçons que pour faire acte de présence. Je dois être plus stupide que les autres élèves pour être autant à la traîne.

 James entrouvrit les lèvres sur cette dernière phrase, mais les referma sans un mot.

— Avant de revenir ici, en septembre, je ne suis pas parvenu à cacher tout cela. Je n'ai pas réussi à sourire comme je l'ai toujours fait et, bien sûr, ce détail n'a pas échappé à ma mère, ni même à Alfred. J'ai prétendu que tout irait bien. Que tout allait toujours bien.

 Il eut un vague mouvement de main pour désigner mollement la photographie.

— Ils pensent que je me sens seul, qu'ils me manquent. Je ne peux pas les contredire, tu t'en doutes, reprit-il avec un rire croassant, avant de prendre délicatement la photographie des mains de James et de l'élever à bout de bras devant lui, comme s'il tentait de l'imaginer accrochée au mur blanc et nu qui lui faisait face. Je pense que si l'un de mes amis était en prison, j'aurais moi aussi l'idée de lui envoyer un souvenir de sa vie passée… Un souvenir de son dernier jour de liberté.

 Sans en saisir l'origine, Anderson sentit un frisson remonter le long de son échine lorsque Robert prononça cette dernière phrase. Silencieux, il l'escorta du regard lorsque le jeune homme se remit sur pieds et alla fouiller dans les tiroirs de son bureau. En soulevant quelques cahiers, il en sortit un petit cadre en bois vide et y glissa précautionneusement la photographie avant de le déposer sur sa table de nuit.

— Rob ?

 Lorsque les grands yeux bleus du garçon se tournèrent vers lui, James fixa les siens sur la lettre posée sur ses genoux et planta ses dents dans sa lèvre inférieure, comme pour se punir d'avoir ouvert la bouche sans réfléchir. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait dire dans une telle situation, ou même s'il était en droit d'émettre le moindre commentaire. Ses propres sentiments étaient parfaitement déplacés : l'excitation pulsait dans ses veines, la satisfaction lui chatouillait les lèvres. Tout lui paraissait si clair, à présent, qu'il en venait à se demander comment il avait pu douter. Robert Hamilton serait un joueur. Son joueur.

— Je ne pense pas que tu sois stupide, lâcha-t-il finalement en relevant la tête vers Rob, et il sentit un fin sourire étendre ses lèvres lorsque le jeune homme fut secoué d'un petit rire en guise de réponse.

***

 — Oui. C'est un jeu. La Grande Chasse.

 James pencha sa tête vers la droite, puis vers la gauche, faisant craquer sa nuque en observant les trois visages perplexes qui l'entouraient, semblant se repaître de leur attention et de leur curiosité évidente. Charles ne parvenait pas à réprimer son sourire intéressé, qui ne disparut pas même lorsque Rob lui fit remarquer que cela lui donnait un air inquiétant. Sans même lui adresser le moindre regard, Walter glissa sa carte à l'intérieur de la poche de son pantalon tout en s'assurant de ne pas laisser ses amis voir duquel des quatre as il s'agissait. Robert l'imita une fraction de seconde plus tard, avec un léger hochement de tête en direction d'Anderson avant que celui-ci ne reporte son attention en direction de Turner.

 Andrew avait rejeté son dos contre le dossier de sa chaise, et avait joint ses mains sur la table, sa carte retournée coincée sous ses poignets. Sa lèvre inférieure pendait sur son menton, ses sourcils fins doucement froncés creusaient un pli sur son petit nez pointu et ses yeux passaient d'un garçon à l'autre sans qu'il ne prenne la peine de ciller. Finalement, ils se fixèrent sur James et, sans prononcer un mot, il le dévisagea durant de longues secondes de ce regard étrange qu'ils échangeaient parfois, comme si l'un tentait vainement de deviner les pensées de l'autre à travers ses pupilles noires. Et ce fut par ce simple regard qu'Anderson sut qu'il avait gagné.

 Il n'avait pas décelé une seule fois, chez Turner, ce tremblement d'agacement qui agitait les lèvres de Charles lorsqu’il croisait Crawford dans un couloir, ni ce voile de mélancolie qui teintait les yeux de Robert lorsqu'il laissait échapper un soupir entre deux sourires. Jamais. Alors peut-être Andrew était-il exactement ce que James redoutait qu'il soit : un étudiant exemplaire, bien que quelque peu influençable par son entourage, l'un de ces garçons exaspérants qui s'étaient adaptés à la vie minutieusement ordonnée de Whitwood sans sourciller.

 Mais il s'était trompé. Il le savait, maintenant. Il en était absolument certain. Il l'avait été dès qu'il avait vu le poing d'Andrew se refermer sur cette feuille de bouleau et qu'elle ne s'en était échappée qu'une fois réduite en poussière.

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