En Attendant
Cube et Lem s'occupaient des bêtes. Dans un quartier en ruine, abandonné depuis la vague verte, ils avaient parqué le petit troupeau des chevaux et des mules entre les vestiges d'une maison, ses quatre murs. Depuis qu'ils attendaient, aucune plante, un tant soit peu comestible, n'avait résisté. Même les chardons avaient disparu sous les assauts opiniâtres des herbivores. Seule la ronce qui colonisait un tas de gravats, désintéressait les brouteurs.
Pour patienter, Cube avait d'abord mangé quelques morceaux de viande séchée. Il avait nettoyé son épée. Après avoir affûté son couteau, il en avait profité pour prélever une tranche de pain rassis. Il avait effectué quelques exercices d'assouplissements puis mangé quelques fruits secs. Il avait vérifié le matériel avant de regarder le haut du terril essayant vainement d'apercevoir Esther ou Cyrano. Puis il avait recommencé à manger.
Adossé à un mur, Lem avait d'abord rempli son journal. Quotidiennement, il inscrivait le résumé du jour précédent. Puis il avait tout replacé dans sa besace, exceptée la plume noire qui lui servait pour écrire. Maintenant, il la caressait de l'index tout en regardant le ciel ponctué de nuages blancs.
Un cri. Cube se retourna, juste à temps, pour voir le choucas se poser sur l'avant bras de Lem. L'adolescent retira le papier enroulé autour de la patte et le tendit à Cube sans même le lire.
Trois lignes:
Coincés en bas.
Dans un autre puits qui pue la mort,
Au sud du site Couriot.
- Suis moi, il faut prévenir Esther !
Passant devant les échoppes des artisans, Dominique regardait Cube porter le rouleau de corde sur ses épaules. Il avait fallu toute la persuasion du novice et la peur qu'inspire son ordre pour qu'un des artisans cordier lui donne le câble de lin. L'homme n'avait jamais vu un Chevalier de l'ordre de la Croix se déplacer dans ce quartier. Ce travail, peu valorisant, était effectué par l'équipe de manœuvres en charge du panier de descente. Et l'artisan ne laissait partir un rouleau qu'en échange d'une commande en bonne et due forme, signée par l'officier en charge de la logistique. La suspicion du maitre cordier n'avait fait qu'augmenter à la vue de Cube chargeant le toron de plus de 100 kilos sur ses épaules. Pour donner le change, ils étaient partis en direction de la mine mais Dominique savait que l'artisan se presserait d'aller voir les soldats pour vérifier.
- On a trouvé la corde, dit Dominique.
- J'espère qu'elle est suffisamment longue pour les atteindre, dit Esther. Cyrano, à toi de jouer maintenant.
Ils marchèrent vers le Sud comme indiqué dans le message. Quelques centaines de pas suffirent pour que Cyrano détecte la sente. Il obliqua vers le Sud-Ouest. La jésuite suivait le verdoyant qui, mains en coupe autour de son nez, passait entre les arbustes et les ronciers. Ils progressaient par les chemins empruntés par les chèvres et les moutons. Étrangement, Jean Paul restait derrière le verdoyant. Et même s'il collait, de temps en temps sa truffe sur un cailloux du chemin, il acceptait la supériorité du nez de Cyrano.
Ils débouchèrent sur une étendue en friche, désherbée par quelques moutons. Mangé par les taches de rouille, un panneau centenaire indiquait encore : "Jardins des Mineurs". A quelques pas, une palissade de bois gardait l'entrée du puits d'aérage. Maintenant, tous sentaient la pestilence exhalée par la bouche obscure du puits. Il n'y avait aucun doute, les autres attendaient, bloqués, au fond de ce puits.
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