De Corvée de Bois
Dominique se sentait nu sans sa bible. Il désirait sa douce pression sur son cœur ! "Pas de signes ostentatoires", lui avait-on dit. Il n'arriverait jamais à comprendre ces imbéciles. " Pourquoi refuser l'évidence ?"
Comme tous les matins, il partit pour son travail communautaire. Il devait renforcer une équipe agricole. Il s'était assis sur le rebord du plateau d'une carriole qui transportait les travailleurs. L'autre charrette emportait les outils. Le brassard rouge, en charge de la sécurité montait le seul cheval. Il avait choisi pour arme une grande pique plus grande que lui.
Durant le trajet, personne ne lui adressa la parole. Aucun des citoyens assis autour de lui ne le connaissait mais tous avaient entendu parler du "jeune Chevalier de la Croix". Atteint d'une maladie contagieuse, tous l'évitaient. Ils longèrent plusieurs champs et laissèrent deux adolescents rejoindre un troupeau de moutons. Ils s'arrêtèrent quelques minutes pour ravitailler une des tours de surveillance. Enfin, ils arrivèrent à un champ de maïs proche de l'orée de la forêt.
Ils se scindèrent en deux groupes. Le premier, principalement composé de femmes, se déploya dans le champ de maïs et commença le désherbage à la main. On lui fit signe de suivre le groupe d'hommes qui s'enfonçait dans la forêt. Le deuxième groupe était de corvée de bois. Les bûcherons du jour apportaient avec eux des haches et une grande scie à bande. Dominique avait hérité de la besace avec les gourdes d'eau et d'une petite herminette. Elle lui servirait à élaguer les branches des arbres coupés par les autres.
Personne ne voulait travailler avec lui, un terne. Et bien sûr, même s'il était plus fort que la plupart des verdoyants on ne lui avait pas donné de hache. On se méfiait trop de son engeance. L'équipe avait aussi son Cube. Un verdoyant pas très grand mais à la musculature tout aussi impressionnante. Il tirait les troncs avant de les empiler sur le plateau d'une charrette. De temps en temps, on venait le chercher. Il prenait alors la plus grande hache que Dominique ait jamais vue pour abattre un arbre particulièrement gros.
Le groupe des bûcherons s'était enfoncé de quelques centaines de mètres quand ils entendirent crier. C'était le groupe des maïs ! Tous les citoyens partirent vers les hurlements, hache à la main. Dominique les suivit puis les rattrapa.
Arrivé au champ, il ne vit d'abord rien. Le cheval broutait le maïs. Puis il aperçut une vieille femme qui soignait un homme blessé à la tête. Elle hurla :
- Des mercenaires !
Il se retourna suivant la direction indiquée par la femme. Derrière un nuage de poussière, un groupe de quelques cavaliers s'éloignait au trot. Chacun tirait une mule avec, jetée en travers, une femme entravée.
- Marc, va prévenir les soldats du mirador, beugla le chef de groupe montrant la tour au loin.
- Vous n'allez rien faire ? demanda calmement Dominique.
Le chef ne dénia même pas lui répondre.
- Les autres cherchaient Pierre, ils étaient restés avec elles.
Après un dernier regard vers le groupe de mercenaires qui rapetissait sur le chemin. Il courut jusqu'au cheval laissé seul, l'enfourcha et partit au galop.
- Espèce de salaud, arrêtez-le. C'est toi qui les as prévenus !
Il savait que les haches devaient fuser derrière lui. Il entendit un battement lourd avant de voir l'énorme hache s'écraser, quelques mètres à sa droite. Heureusement que le cousin de Cube n'avait pas eu d'entrainement militaire !
Les mercenaires virent les hommes émerger de la forêt. Ils avaient cru le groupe de femmes isolé. Peu importe, ils n'avaient pas de chevaux. Puis ils avaient ri. Finalement, un des bouseux les poursuivaient. Puis ils s'esclaffèrent. Ce n'était qu'un adolescent armé d'une herminette. Le chef beugla :
- Vous deux, occupez vous de cet imbécile.
Deux cavaliers firent demi-tour et dégainèrent leur épée.
Dominique galopait en chemise de lin avec, pour toute arme, une herminette mal affûtée. Et il ne pouvait pas trop compter sur ce cheval. Il était tout juste bon à galoper. Pour manoeuvrer, il ne répondrait pas aussi bien que son cheval.
Son seul avantage était la surprise. Vu sa dégaine, les deux guerriers ne s'attendaient pas à un vrai combattant. Il ralentit un peu mais resta au galop. Il se précipita sur les deux chevaux qui arrivaient de front. Il tenait son herminette de la main droite semblant indiquer de quel côté il allait porter son coup. Au moment du choc, il se coucha en arrière, comme déséquilibré, évitant l'épée à droite. De sa main gauche, il en profita pour désarçonner l'autre cavalier. Un bruit sourd derrière lui, le soldat ne se relèverait pas !
Le deuxième mercenaire fit demi-tour et chargea de nouveau, sans rien changer. Pour lui ce n'était que malchance si son collègue se retrouvait planté en terre. Le deuxième affrontement fut plus classique si ce n'est que Dominique avait passé l'herminette dans sa main gauche. Il était ambidextre. Il esquiva le coup d'épée d'un moulinet du bras et enfonça la lame de l'outil dans la nuque du soldat.
Il s'arrêta pour récupérer l'arme et le cheval du soldat et repartit au galop, épée en main. Il était plus rapide que les trois derniers mercenaires. Encombrés des mules avec leurs captives, ils ne pouvaient accélérer. Leur chef décida de relacher soit deux mules soit deux femmes.
Dominique continua sa chasse. Adolescent, le compromis n'est jamais satisfaisant. Il ne pouvait pas se satisfaire de ne sauver qu'une partie des femmes. En fait, peu lui importait les femmes, surtout des verdoyantes. Il ne supportait pas que des mercenaires s'ajugent les droits des Chevaliers de la Croix. S'ils voulaient enlever des verdoyants, ils devaient le faire sous les ordres d'un Chevalier, reprèsentants de Dieu.
Les mercenaires comprirent qu'ils ne se débarrasseraient pas de leur poursuivant aussi facilement. Après avoir pesé sur la balance bénéfice-risque ce qu'ils pouvaient leur en couter de se battre contre lui. Deux des leurs avaient été abattus. Ils lachèrent les rennes des dernièrent mules et accélérèrent à plein galop. Dominique insista encore quelques minutes mais son cheval s'épuisait trop rapidement.
Résigné, il fit demi tour et revint au trot vers les mules et leur chargement. Il entendait des cris de femmes. Du sang gouttait de son bras droit. Dans un geste réflexe, il chercha sa bible sur sa poitrine. Vide.
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