Prologue
Je patiente tranquillement dans ma caisse.
Je m’allume une clope. J’espère que la nuit ne va pas être trop longue.
Qu’est-ce qu’elle branle ? Elle a dix bonnes minutes de retard. Mon téléphone sonne.
Je décroche. C’est elle.
- Ouais, c’est moi je suis en route, me dit Lucy.
- T’es seule ? Personne ne t’a suivie ?
- Non, même pas un sifflement, pas de regards déplacés.
- Fait chier, tu t’es sapée comment ?
- Ben, comme une grosse allumeuse sans défense, je ne comprends pas. Je vais me faire arrêter pour attentat à la pudeur si je me déssape un peu plus.
Je vois au loin deux types qui se dirigent vers mon appât. Cool, ils ont l’air bien froissés, ça devrait faire l’affaire.
- Lucy, tiens-toi droite, tu vas avoir de la compagnie.
- Je les vois, je fous mon tel dans mon sac, sois prêt à intervenir.
Je n’entends plus rien. Mais j’imagine très bien la situation. Les deux gars vont s’approcher d’elle, lui lancer des phrases à la con, elle ne va pas répondre, ça va les gonfler, ils vont insister, elle va les envoyer chier, ils vont se vexer, elle ne va pas les calculer.
Les insultes vont fuser…des deux côtés.
Elle a beaucoup de répartie, elle va leur lancer deux punchlines bien cinglantes. Ils vont se sentir humiliés et vont vouloir la corriger.
Je regarde l’heure. Normalement si le timing est respecté, elle devrait …
- Lapin ! hurle Lucy dans son téléphone.
C’est le signal.
Je sors de ma caisse.
J’ai mis mon plus beau costume. Un costume de lapin. C’est pas un costume à la con avec des poils et une grosse tête en peluche genre mascotte.
Non, tu prends Batman, tu vires sa cape, tu le peins en blanc et tu rajoutes deux grandes oreilles de lapin et une batte de baseball couleur carotte.
Et comme j’ai le souci du détail, j’ai même rajouté une petite touffe verte au bout.
La classe.
J’arrive dans la ruelle. Les gars me remarquent, Lucy se débat, s’écarte et se range derrière moi.
« Oh putain, regarde-moi ça » dit un des gars à son pote.
Ils sont morts de rire.
Voir débarquer de nulle part un mec costumé en mangeur de carotte, c’est pas banal.
J’ai l’habitude, je ne vais pas me vexer pour ça quand même.
J’enclenche.
Je prends mon élan et d’un revers, ma carotte en alu s’écrase contre la gueule du mec le plus proche.
La première impression est toujours la bonne, ça annonce la couleur.
Le haut de son crâne éclate sous le choc et se répand sur le mur.
Le mec s’écroule comme une merde. J’y suis allé fort mais bon c’est le boulot, j’ai toujours été consciencieux.
Un silence s’installe.
Le deuxième type est choqué.
Il me regarde. Je le regarde. Il regarde son pote se vider.
Je balance ma batte d’une main à l’autre.
Flap... flap...flap...
Je stoppe et la pointe en sa direction.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? je lui demande.
Le mec, encore sous le choc ne comprend pas trop la question.
Je répète.
- Qu’est-ce qu’il vient de se passer ?
- T’as tué mon pote, murmure-t-il.
- Qui a tué ton pote ?
- Ben... toi...euh vous... s’il vous plait laissez-moi partir.
- Tu vas raconter quoi à tes potes ?
- Rien ! Rien ! Je vous promets j’ai rien vu, je ne dirais rien.
- Oui tu vas leur dire. Et tu vas leur dire exactement ce que tu as vu.
- Ce que j’ai vu ?
- T’as vu quoi ?
- Mon pote se faire éclater la tête par...un lapin... ?
- Avec… ?
- Avec … une... carotte… ?
- Bingo ! Casse-toi maintenant.
Le mec se retourne un peu méfiant et avance, il marche vite, de plus en plus vite et se met à cavaler comme jamais.
La chasse a été bonne.
Lucy dépose une petite carotte sur le corps du gars.
C’est l’instant promo.
Le petit détail qui compte et raconte qu’un lapin est dans la ville et qu’il vaut mieux se tenir tranquille.
***
Lucy ouvre la porte du frigo, se baisse pour attraper deux bières.
Elle est vraiment trop bonne cette Lucy, je comprends que les gars deviennent de gros délinquants sexuels quand ils la croisent.
Cette fille, est une incitation à la débauche et à l’adultère.
Mais on a une relation strictement professionnelle. Elle est carrée là dessus.
J’ai quand même pensé un jour à la virer juste pour pouvoir la niquer.
- Allez attrape, lapin rageur, me dit Lucy en m’envoyant une canette de bière.
- On l’a bien démonté l’autre con.
- Carrément, mais la prochaine fois, laisse-moi leur régler leur compte, ça me manque un peu d’exercice.
- Un temps pour tout, tu ne peux pas les désosser à visage découvert, ce serait trop dangereux.
Lucy ouvre la fenêtre, s’allume une clope et éclate de rire.
- Mais d’où ça t’est venu cette idée de t’habiller en lapin, putain !
Je pose la bière sur la table basse, prends un air sinistre, le regard dans le vide et j’inspire.
- Mes parents sont morts quand j’étais gosse.
- Merde, ils ont été sauvagement assassinés devant tes yeux et depuis ce jour tu as décidé de combattre le crime au détriment de ta vie ?
- Non pas vraiment… Un dimanche on a fait une balade en voiture à la campagne, histoire de prendre l’air.
Un lapin a traversé, mon père a braqué le volant pour l’éviter et on est sorti de la route pour terminer notre course contre un arbre.
- Oh non, tes parents sont morts devant tes yeux et tu as été le seul survivant ?
Lucy écrase sa clope et vient s’asseoir près de moi.
- Ah non, ils n’ont rien eu … Mes parents sont morts des années plus tard à cause d’une grippe mal soignée ou d’un truc dans le style. Mais par contre le break était foutu.
Broyé contre l’arbre. L’image de la carrosserie froissée comme du papier alu m’a suivi durant toutes ces années.
- Ah ouais quand même…
- Me dire qu’un tout petit animal, aussi mignon soit-il, qui arrive au mauvais endroit au mauvais moment puisse faire autant de dégâts, m’a conforté dans l’idée de choisir le lapin comme emblème.
- C’est vrai que vu comme ça, c’est plutôt convaincant.
- Mais c’est surtout pour le ridicule de la situation. Rien que de m’imaginer un gros dur raconter qu’il s’est fait exploser la bouche par un gars habillé en lapin avec une batte en forme de carotte, ça vaut toutes les chauves-souris du monde.
Lucy éclate de rire, ça fait du bien de se détendre après le boulot
Elle finit sa bière. Je la raccompagne devant la porte et lui souhaite une bonne nuit.
J’enlève enfin mon costume, c’est l’enfer tellement ça serre.
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