Chapitre 6
J’ouvre les yeux.
Je suis toujours au même endroit, le gars se tient debout devant moi.
Je lui mettrais bien mon poing dans la gueule, mais je suis assis et ligoté sur une chaise.
J’aurais préféré le canap’ mais bon apparemment on ne sait pas recevoir ici.
Il sourit et dit.
- Je me présente. Franck Wash.
Le mec a la cinquantaine, bien sapé. Mais ce qui me frappe avant tout chez lui c’est sa tête de con. Le mec a vraiment une bonne tête de con mais ça ne choque pas, ça lui va plutôt bien.
- Où est la fille ? Où est Lucy ?
- Lucy ? Ah oui, la petite curieuse. Ne vous inquiétez pas pour elle, elle est en vie. Elle se repose dans la salle de jeux.
Ouf, déjà ça. Elle est saine et sauve. Enfin, déjà je sais qu’elle est dans les parages. Je joue son jeu et prends part à la discussion. Il faut que j’analyse la situation si je veux trouver un plan B.
- Mais vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous nous voulez au juste ?
- Je vais y venir. Comme vous pouvez le remarquer, je ne suis pas un gérant de vidéo club vintage.
Je prends un air surpris genre « ah ouais, putain je suis sur le cul, je ne m’y attendais pas du tout »
- Je dirige une filiale secrète du gouvernement chargé de la sécurité du pays.
Rien que ça. Je préférais gérant de vidéo club vintage.
Je grogne.
- Vous n’êtes plus très bavard.
- Ben, disons que j’ai un peu mal au crâne…
Il continue son blabla.
- Nos agents sont formés pour résoudre diverses affaires délicates, allant de l’infiltration à la destruction totale de nos ennemis. Dans notre milieu on les surnomme « L’équipe ».
La fameuse « équipe »…
- D’ailleurs je crois que vous avez eu affaire à l’un d’eux ?
Je vois que les infos circulent vite.
- Le gros dégueulasse de Jean-Clone ?! C’est l’un de vos agents ?
- Oui… du moins c’était l’un de nos super agents jusqu'à ce que vous le réduisiez à l’état de moussaka, reprit-il un peu agacé.
- Je suis désolé, je n’ai pas souvent l’habitude de me retrouver en face d’une imprimante humaine, j’ai un peu paniqué.
- Je comprends, c’est pour cela que nous opérons dans la plus grande discrétion.
- Mais vous les trouvez où vos super agents ? Parce que lui, il était super flippant.
- On ne les a pas trouvés, Lapin. Nous les avons créés.
Je sens que la discussion va me dépasser.
- Nos laboratoires ont mis au point un procédé capable de développer certaines aptitudes…
- Vous appelez ça des aptitudes ?
- Oui nous avons fait de ces personnes des super-agents aux capacités extraordinaires.
- Et vous les recrutez comment ? Parce que le Jean-Clone, il était carrément tendu.
Franck perd son sourire et semble gêné.
- C’étaient des personnes tout à fait respectables mais l’acquisition de leurs aptitudes a, comment dire… pour être clair et que vous compreniez bien... a un peu foutu le bordel dans leur cervelle.
- Un peu foutu le bordel ?
- Oui, disons que, avec le plus grand regret, nous avons fait d’eux des super-délinquants sexuels.
Carrément. Le gars a créé des super-machines à violer.
- Mais faut les enfermer ! C’est n’importe quoi, je m’énerve.
- Au contraire, il se racle la gorge, nous avons réalisé que nous pouvions les exploiter à titre gratuit à condition de fermer les yeux sur leurs petites affaires durant leur temps libre.
J’hallucine. Il laisse leurs agents assouvir leurs pulsions sexuelles envers la population juste pour couvrir leurs intérêts.
- Et vous dites protéger le pays.
- Calmez-vous ! Ils ne sont pas si dangereux que ça ! Ce sont juste des broutilles, de la branchouille un peu insistante, de l’attouchement et puis si ça dérape nous avons toujours dédommagé les victimes.
L’enculé.
- Nous ne sommes pas des assassins, nous ! Mr Lapin !
- Légitime défense…
- Nous avons conscience de la situation, nous la gérons. Tous nos agents sont sous étroite surveillance, nous connaissons leurs moindres faits et gestes.
Il sort un petit objet. Pas plus gros qu’un briquet.
Appuie sur un bouton et projette une carte holographique de la ville.
-Vous voyez les petits points rouges ?
J’en vois une cinquantaine.
- Ce sont nos agents. Ils sont tous géolocalisés. Personne n’échappe à notre contrôle.
Je reste bouche bée. Quand Jean-Clone parlait de « L’équipe », je pensais qu’ils étaient quatre ou cinq…
Pas une cinquantaine !
Franck Wash reprend son monologue.
- Et puis les plus dangereux ne sortent que lors de leurs missions, le reste du temps ils sont au chaud à la maison.
- À la maison ?
- Oui, il sourit, ils sont ici à la maison.
Il appuie sur un interrupteur, les murs se baissent et laissent place à une dizaine de vitrines.
Derrière les vitrines, des petits salons où poireautent des gens. Un gars mate un film, surement pas Jack Burton, un autre lit un bouquin, d’autres dorment. Ils font leur vie, tranquille.
Il y a même un enfant. Une petite fille.
Une petite blondinette d’environ six ans, avec des couettes et une petite jupe rose.
Je regarde Franck d’un air interrogatif.
- Une de nos meilleurs agents. Lilly.
- Lilly, je répète et la regarde pas super convaincu.
Franck s’approche de mon oreille et chuchote.
- Elle est très… très dangereuse.
Je remarque que trois chambres sont vides. Je lui demande.
- Et eux, ils sont en mission ?
- Non, ils prennent du bon temps dans la salle de jeux…
Merde Lucy…
Bon ça a assez duré, j’essaie tant bien que mal de me détacher, mais c’est vraiment trop serré.
La petite fille me fixe. Je lui souris. Elle me sourit.
- Vous allez nous tuer c’est ça ? Maintenant que vous m’avez balancé tout ça, j’en sais trop.
Franck prend un air triste.
- Je vous le répète Lapin. Nous ne sommes pas des assassins. Nous sommes du bon côté, comme vous. Si je vous raconte tout ça c’est parce que j’ai une offre à vous faire.
Roulement de tambour.
- Vu vos talents de combattant et votre expérience sur le terrain, j’aimerais que vous rejoigniez notre équipe.
Merde, moi qui m’attendais à ce qu’il me propose de reprendre le vidéo club.
Devant mon silence, il reprend.
- Vous nous devez au moins ça. Vous avez quand même éliminé un de nos meilleurs agents. J’en ai parlé à mon supérieur, il doit me répondre d’une minute à l’autre.
- Je ne sais pas. Tout ça est très soudain, je fais mine de gamberger, de peser le pour et le contre.
Son téléphone sonne.
- C’est mon supérieur. Veuillez m’excuser quelques instants.
Franck s’éloigne pour discuter un peu plus loin.
J’entends des bribes de conversation.
- Oui je comprends.
…
- Ecoutez je…
…
Ça me laisse un peu de répit.
La fillette n’a pas arrêté de me mater. Elle s’est collée à la vitrine et me fixe toujours avec insistance.
Elle plaque sa bouche contre la paroi et commence à chantonner d’un air malsain.
« Laaaaaaappppiiinnnnn »
Elle est flippante cette gamine. Je lui souris. Elle continue.
« Laaaaaaappppiiinnnnn »
Me vient une idée.
À en croire Franck, ses agents ne peuvent contrôler leurs pulsions. Je n’ai rien à perdre.
Je lui tire la langue.
Elle ouvre grand ses yeux et me tire aussi la langue.
Ce n’est pas dans mes habitudes de chauffer les petites filles mais c’est quand même une question de vie ou de mort.
Wash est toujours au tel.
Je prends un air vicelard et secoue ma langue. Elle passe la sienne sur ses lèvres et chante de plus en plus fort.
« Laaaaaaappppiiinnnnn »
Je lui envoie des baisers tout en agitant ma langue assez frénétiquement.
Elle s’excite.
Elle se met à taper sur la vitre et ne chante plus mais m’appelle.
« Lapin ! Lapin ! Lapin ! »
Je continue. Mon plan fonctionne.
Elle m’appelle de plus en plus fort, au rythme des coups sur la vitre.
« Lapin ! Lapin ! Lapin ! Lapin ! »
Elle devient toute rouge, transpire. Franck raccroche son téléphone et me dit d’un air désolé.
- Donc, j’ai discuté avec mon supérieur… Finalement vous devez mourir.
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