L'idée fixe

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Depuis fort longtemps, Stanislas avait cette idée fixe. Cette idée qui le rongeait, nuit après nuit. Non pas en lui soutirant le sommeil, non, car il dormait le jour. Cette idée le dévorait plutôt alors qu'il était en train de recopier avec acharnement des livres anciens, dont le moindre volume lui semblait plus précieux que sa propre vie.


Cette idée, c'était d'ensemencer le monde. L'ensemencer de savoirs, dans cette époque trouble où l'épée parlait toujours la première, où papiers et parchemins n'étaient vus que comme des redresseurs de torts dépassés et hautains. Cette époque était imbécile, et elle aimait ça.


Stanislas, quant à lui, aimait la brillance des esprits clairs, l'ingéniosité des inventeurs qui posaient par écrit leurs trouvailles, la verve des poètes qui semblaient faire magie des mots… Stanislas ne se sentait pas de ces races de géants, mais en tant que serviteur dévoué, il entendait leur rendre tout le respect qui leur était dû.


Dans ce monastère presque abandonné où ils n'étaient plus que quelques uns à survivre tant bien que mal, il était le dernier à copier, toujours copier. Non plus sous les ordres d'un abbé, désormais, mais tenaillé par cette idée, cette terrible et belle idée. Ensemencer le monde de savoirs.

Aussi prévoyait-il, dès qu'il aurait copié un nombre de volume qu'il jugerait suffisant, de prendre quelque charrette afin de voyager de par le royaume en donnant un livre ici et là. Bien sûr, de nombreuses personnes ne savaient pas lire. Il chercherait ceux qui en sont capables et qui se proposeraient de partager ces lectures. Pour les autres, ceux qui n'avaient jamais eu la chance d'apprendre à déchiffrer ces ouvrages de sagesse… eh bien, il passerait une soirée avec eux, peut-être deux suivant l'accueil, et il leur lirait sans relâche tout ce qui lui semblerait opportun, tout ce qu'ils réclameraient.


Il passerait des nuits peu reposantes, sans doute. Traverserait des chemins sales, voire dangereux, mais cette idée agirait comme un aiguillon en lui perçant les côtes jusqu'à ce qu'il se remette en route après chaque pause. Peut-être même ne pourrait-il pas trouver de bête pour tirer sa charrette, et devrait-il alors se munir d'un grand sac et errer à pied, tel le plus terrible des mendiants.


Mais comment pourrait-il ne pas mendier, en réalité ? Bien sûr qu'il mendierait l'attention dans cette ère de folie et de barbarie. Il se confronterait chaque jour à des moqueries, ou, plus souvent, et peut-être plus tristement, à une indifférence infinie. Parfois, le simple fait de penser à ces réactions lui donnait l'envie de renoncer, de poser la plume. Mais l'idée revenait. L'idée exigeait.

Peut-être que le sourire d'un enfant, ravi d'avoir entendu les prouesses d'un chevalier du passé, suffirait à balayer toutes les difficultés. Peut-être.



Alors, alors enfin, il pouvait l'espérer, cette idée cesserait de le tenailler. Car au fond, s'il aimait le savoir et les livres, il détestait les voyages et cette idée commençait à lui casser les couilles.

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