Chapitre 3

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Jack atteignit l'appartement essoufflé. Il se tenait à présent devant son immeuble, haut d'une vingtaine d'étages. Et le sien était au onzième. Jack avait rampé jusqu'au lieu où était enfermée la seule personne à qui il tenait vraiment dans ce monde. Les mouvements de la terre avaient un moment compliqué son avancée, mais il avait finalement atteint sa destination, blessé à la jambe et le corps tremblant de la tête aux pieds de la peur, d'une atroce angoisse. Il perdit l'équilibre une nouvelle fois et finit à terre. Il ne tenait plus, n'avait plus aucune énergie. Seul l'amour qu'il avait pour sa sœur lui permettait d'avancer.

C'est incroyable, se serait-il dit s'il avait encore eu la force de penser, ce qu'un humain parvient à faire quand sa vie ou celle de ceux qu'il aime est en danger. L'on dit que l'on n'utilise qu'une infime partie de notre cerveau, mais en réaction à des situations comme celle-ci, il doit forcément y avoir une section qui se débloque et qui prend le contrôle. C'est incroyable, vraiment incroyable. Je me demande quelles sont mes nouvelles capacités !

Or Jack ne pouvait plus penser à cet instant même. C'était comme-ci il était mort, mais que son corps continuait d'agir sans qu'il ne s'en rende compte. Alors toue cette réflexion lui était inatteignable, car son cerveau ne fonctionnait plus. Mais s'il avait pu se le dire, il aurait eu, sans aucun doute, raison. Et il aurait encore sous-estimé les aptitudes qui s'offraient à lui. Seulement l'une d'elle était de fermer l'accès à ses pensées et à sa réflexion pour concentrer toute son énergie dans son corps. Toute cette hypothèse très juste n'était donc pas à sa portée.

Jack s'engagea dans l'ascenseur de son immeuble, désert. Au fur et à mesure que l'appareil montait, il entendait des pas au-dehors, dans l'escalier, qui se pressaient de descendre pour fuir ce qui arrivait, et d'autres de monter pour se réfugier chez eux. Soudain, l'ascenseur se stoppa, neuvième étage, et l'alarme se déclencha. Une voix robotique lui informa qu'il y avait un dysfonctionnement du système informatique, qu'il ne fallait pas qu'il panique, et que l'alerte avait été donnée aux pompiers. Jack hurla de rage. Il ne croyait pas une seule seconde que les pompiers eussent comme préoccupation première de le sortir d'un ascenseur en panne.

Ne pouvant plus se fier à son instinct, les pensées de Jack commençaient à reprendre leur cours, bien qu'assez anormal. Il se jeta avec haine contre la porte coulissante de l'ascenseur mais n'en retira qu'une douleur vive à l'épaule. Il hurla une nouvelle fois, enfonça ses doigts entre les morceaux de la porte et tira comme si son bras y était coincé.

- Sortez-moi de là ! À l'aide ! Aidez-moi ! beugla-t-il en essayant de reprendre son souffle.

Par miracle, quelqu'un l'entendit, et une voix féminine lui répondit de l'autre côté, agitée.

- Jack ? Tu es coincé ?

Le jeune homme reconnut rapidement la personne, qui n'était autre qu'Annie, leur voisine, infirmière à l'hôpital de la ville. Et le vendredi était, par chance, son jour de repos. Jack n'eut pas à s'expliquer davantage que déjà la porte s'était ouverte. Il découvrit alors ébahi Annie, essoufflée, avec à côté d'elle les circuits électriques de l'appareil brisés. Il n'aurait jamais imaginé qu'elle fut capable d'une telle vivacité d'esprit et d'une telle force. Elle avait dû frappé les boutons de l’ascenseur d’un coup de pied. Ces nouvelles technologies n’étaient pas si fiables que ça, si on pouvait les détruire si facilement. Et encore, cet appareil datait déjà du milieu du siècle.

Avec quelques minutes de décalage, il pensa alors tout ce qu'il aurait dû penser plus tôt, sur la réaction étrange que pouvait avoir le cerveau dans les situations de crise comme celle-ci.

Jack demanda à sa vieille amie pourquoi elle fuyait l'immeuble, bien qu'il crut connaître la réponse.

- Tu ne sais pas, Jack ? lui dit-elle d'un ton compatissant et doux qui lui glaça le sang.

- Non, non, je ne s... non, je ne sais pas... Qu... quoi ? bégaya-t-il.

Elle posa une main sur son épaule.

- Nous devons évacuer, c'est un ordre des autorités Jack, il faut que vous partiez. On doit tous partir, on est en danger, mon garçon.

L'adolescent frissonna. Que pouvait-il bien se tramer ici ? Aussi loin qu’il se souvienne, cela ne faisait pas dix minutes que tout cela avait commencé, et déjà, les autorités s’étaient saisi de l’affaire. Une telle réactivité l’étonna, et il se dit que se devait être affreusement grave, qu’il ferait mieux de suivre Annie.

Mais il se souvint soudain de ce pourquoi il était là et remercia sa voisine très chaleureusement avant de finir sa course jusqu'à son appartement par les escaliers. Il put encore entendre faiblement la voix d'Annie, implorante.

- Fais vite, je t'en prie, criait-elle pour se faire entendre, l'immeuble ne tiendra pas !

Jack baissa la tête. C'était bien ce qu'il craignait.

*

- Tante Iven ? articula Eyllée, la bouche pleine de céréales. S'passe quoi ?

La tante, affalée devant la télé, une bouteille à la main, ne parut pas entendre la petite fille. C'était à se demander si elle l'avait entendue rentrer de l'école, ou même si elle avait conscience de son existence. Elle scrutait les informations avec stupeur et une expression assez comique sur le visage. Elle disait :

- Pas p'ssible, ça, pas p'ssible, c't'incroyable, avant de reprendre une gorgée de bière.

Ce qu'elle voyait sortait de l'ordinaire. La journaliste, sur le plateau, paraissait extrêmement inquiète et surprise, à chaque nouveau mot qu'elle lisait sur son prompteur, apprenant les nouvelles informations en même temps que les téléspectateurs. À ses côtés, le présentateur, homme d'assez grande taille aux cheveux gris, prenait toutes ces actualités avec beaucoup de flegme. Cela donnait l’impression qu'il avait tant l'habitude de ce genre de catastrophe que la planète aurait pu exploser sans qu'il ne change d'attitude, à condition bien sûr que son quotidien n'en soit pas affecté.

- D'après certaines sources, cette catastrophe ne serait pas une surprise pour le gouvernement américain ; les dernières informations qui nous ont été communiquées laissent penser à un secret d'état. La découverte de quelques bâtiments incroyablement protégés alimenterait ces hypothèses. Nous retrouvons Karim flood, notre envoyé spécial, en direct, devant la maison blanche où quelques citoyens sont venus manifester. Karim, pouvez-vous nous en dire plus ?

- Eh bien, ma chère Alessandra, je me trouve en ce moment même devant la maison blanche où l'armée a dû intervenir pour disperser la foule qui lançait des bombes lacrymogènes. Il semblerait qu...

La tante éteignit la télé avec un ras-le-bol dû à la trop grande quantité d'alcool qu'elle avait ingurgitée. Elle se tint la tête un moment et se leva non sans peine avant de passer devant la table où était assise sa nièce, sans la voir, ce qui ne fut pas le cas de la petite fille qui se permit d'insister.

- Il se passe quoi, tante Iven ?

La femme avala sa salive en titubant et fixa d'un œil rouge la petite Eyllée.

- R... Rien d'important c'est... Pas important... fit-elle en peinant à considérer ses paroles.

Ce n'était pas la première fois qu'Eyllée voyait sa tante dans un état pareil à cause de l'alcool, mais cette fois elle était assez faible et perdait ses esprits. Ce matin, avant que Jack ne l'accompagne à l'école, elle avait vu sortir de la chambre de sa tutrice un inconnu aux cheveux en pagaille. Il avait claqué la porte et tante Iven était sortie de sa chambre quelques minutes plus tard, désemparée. Elle s'était alors servi un verre de whisky et depuis, elle n'allait plus nul part sans une bouteille pleine à la main.

Soudain, Eyllée entendit un grondement et elle se leva pour voir d'où il venait. Elle passa alors la tête par la fenêtre et découvrit avec stupéfaction que la terre s'était fendue. Du haut de ses neuf ans, elle ne pouvait pas faire le lien entre les informations du journal TV et les événements présents, seulement, chose assez problématique, sa tante bourrée ne pouvait pas le faire non plus. L'on se demandait parfois quel était l'adulte dans cette maison.

Le fait était que ces évènements-là ne devaient pas être sous-estimés, mais qu'il n'y avait alors aucune personne d'une assez grande maturité ici qui puisse, pour le bien de tous, s'en rendre compte. Elles virent alors - du moins Eyllée - l'immeuble d'en face s'écrouler dans un fracas impressionnant. Le fillette hurla de peur et sa tante lui dit de se taire de la main et d'un "chut" incertain, en titubant. Eyllée se précipita vers le portable de l'adulte et, après avoir entré sa date de naissance, composa le numéro de son frère. D'après l'heure, il devait déjà être rentré. Elle ne reçut aucune réponse et s'en inquiéta, sans penser que les lignes téléphoniques étaient peut-être coupées.

- Jack, pleura-t-elle de peur. Jack, j'ai peur, viens m'aider...

La petite fille parlait dans le vide, et elle le savait. Et puis ce qu'ils craignaient tous arriva. L'immeuble ne tint pas le coup, le plafond commença à s'affaisser, le sol trembla. Les meubles et les objets en équilibre se brisaient en un fracas qui réveillait l'horreur de la situation.

Et puis tout s'affaissa. D'un seul coup.

Eyllée eut le temps d'apercevoir sa tante ensevelie sous une pluie de débris, elle hurla, courut vers elle tandis que des flammes jaillissaient autour d'elle. Elle souleva un morceau de mur, se râpa la main, les larmes coulant sur ses joues. Elle vit enfin la main en sang de sa tante émerger des décombre. Puis un râle de douleur. Et plus rien.

La petite fille recula de peur, son visage affichait une expression horrifiée et apeurée. Elle se vit un instant morte elle aussi, elle ne croyait plus qu'elle puisse s'en sortir, que Jack viendrait la sauver. Mais elle avait tort, elle avait sous-estimé la volonté de son frère, et l’amour qu’il avait pour elle.

Au même instant, Jack se trouvait au seuil de la porte. L'immeuble avait commencé à s'écrouler avant qu'il n'ait atteint son étage, il avait alors accéléré sans penser une seule seconde à protéger sa propre vie.

Jack poussa la porte fissurée d'un coup de pied et entra avec empressement. Il appela sa sœur avec une crainte palpable dans sa voix.

- Jack ! entendit-il alors. Jack, je suis là ! Viens me chercher !

Ce cri de soulagement de sa sœur lui redonna du courage. Elle avait besoin de lui. Il accourut alors vers l'endroit d'où il avait entendu le cri. Eyllée était enfermée dans un cercle de flamme, et coincée sous des débris. Il enjamba alors le corps de sa tante sans le savoir, et lui tendit la main, bien qu’étant trop loin pour qu’elle ne puisse la saisir.

Mais il était déjà trop tard. L'immeuble continuait de s'affaisser. Il n'y arriverait pas... Le courage l'abandonnait. Pourtant, pour elle, il devait le faire.

Alors Jack se jeta dans les flammes.

*

Mike fixait le sol d'un air pensif. Il descendit enfin de sa voiture après quelques secondes resté pensif et prit le petit Wilhem dans ses bras sans dire un mot. Anna descendit à sa suite et caressa la tête du petit garçon. Ils avancèrent en silence au milieu du désert Arizonien. La base Mirage se dessinait petit à petit. Mike franchit les barbelés en scannant le tatouage de sa main sur la borne prévue, et ils entrèrent enfin dans la zone protégée. Les cheveux bruns d'Anna effleuraient son épaule au rythme du vent, et ses yeux bleus nuit fixaient l'horizon avec une incroyable résolution. Elle avait quitté sa blouse blanche pour des habits de la couleur de ses yeux qui se fondaient parfaitement avec l'obscurité de la nuit tombante. Les courbes parfaites de son visage fin et sa peau blanche laissaient une impression d'irréel, comme un fantôme qui errerait dans le désert rouge. Quant à Mike, l'on pouvait plutôt lire dans ses yeux noirs de la peur, et la sueur sur son visage agrémentait cet effet. Ses membres étaient raidis et son regard fixait un point à l'horizon sans flancher.

Le trio approchait doucement d'un bâtiment extrêmement bien protégé, qui ne laissait passer que les membres de l'élite résidant dans la bonne zone géographique. Il y avait plus de cent-quatre-vingts bases de ce type aux États-Unis, réparties par groupe de trois ou quatre dans chaque État. En Arizona, il était assez facile d'en construire, sans trop se faire remarquer par la population.

Wilhem avait entouré le professeur John de ses bras frêles et enfoui sa tête dans son coup. Il croyait réussir à ne pas le montrer, mais il avait peur. Jusque-là, son quotidien avait été rythmé par les examens médicaux, les murs de l'hôpital, et il n'avait jamais vu personne d'autre que le personnel médical, ainsi que ses parents et ses deux seuls amis. Alors ce changement brutal l'effrayait au plus haut point. Ses cheveux blonds cachaient son visage posé contre l'épaule de Mike et ses yeux verts émeraude étaient couverts de larmes. Le visage du petit Wilhem, d'habitude si joyeux, car seule sa bonne humeur lui permettait de surmonter sa maladie, était renfermé. Et si Anna l'avait remarqué, elle aurait sûrement perdu un peu de son courage et de sa volonté.

Le petit garçon portait toujours sur son visage l'appareil portatif qui lui permettait de respirer, mais il en avait conscience, l'oxygène allait bientôt lui manquer. Ce qu'il ne savait pas par contre, c'est que cela risquait d'entraîner une mort cérébrale. Or, Anna connaissait ce risque, et elle était prête à le prendre.

Ils arrivèrent enfin devant la porte de la base, surveillée par deux gardes. La jeune femme fit un pas en avant et se présenta aux gardes comme Anna Drake, membre de l'élite médecins, tout comme Mike John, chef du service pédiatrique, qui l'accompagnait. Le professeur John avança alors leur requête, qu'ils acceptent Wilhem Steel, dix ans, atteint d'une maladie rare qui impliquait de ne pouvoir vivre que sous oxygène pur.

- Vous êtes de l'élite interne ?

Les deux médecins secouèrent la tête. Seuls les membres de l'élite interne avaient la possibilité d'intégrer des enfants à la base.

- Évidemment que non, remarqua l'autre garde. Les médecins ne sont pas de l'élite interne, George. Allez, dégagez, fit-il en direction d'Anna. Vous n'avez rien à faire ici.

Anna se mit alors à supplier l'humanité des deux gardes. Le dénommé George paraissait touché, mais l'autre n'avait que faire des pleurs de la protectrice de Wilhem. Comprenant qu'il devait agir, le petit garçon releva la tête et fixa les deux individus qui se refusaient à le laisser entrer. Il espérait peut-être qu'ils ne puissent le refuser - car il commençait à comprendre qu'Anna voulait l'emmener ici à tout prix, même s'il ne savait pas pourquoi. Au même moment, la porte de la base s'ouvrit et Anna vit avec stupéfaction sa sœur Jil en sortir. Sans montrer qu'elle la connaissait, l'architecte s'avança vers les gardes et lui dit qu'ils étaient venus ici à sa demande.

- Vous n'êtes pas de l'élite interne, rétorqua le garde.

- Vous avez raison, répondit Jil avec aplomb, mais j'ai aidé à la construction de la base, et vous n'aimeriez pas que nous vous attribuons une case fragile, qui pourrait s'écrouler, je crois ?

Le garde fronça les sourcils.

- Ce sont des menaces, madame.

- Ah non ! Vous croyez ? répondit Jil en souriant.

Et elle prit la main de Wilhem tandis qu'ils entraient dans la base Mirage. Anna était soulagée. Mais il restait à passer une deuxième étape : être sélectionné pour rester durablement à Mirage. Seulement, cela n'était plus entre leurs mains…

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