Chapitre 5 Fuite vers le nord - Partie 1
Sin fo et Reg'liss continuaient d’avancer au hasard des rues, tentant de cacher leurs armes et marchant le plus vite possible sans courir, afin de ne pas trop attirer l’attention. N’ayant pas d’autre idée, ils retournèrent chez Berg. Ils ne connaissaient pas la ville, et ils avaient été trop stressés quand les soldats les avaient embarqués pour mémoriser leur trajet, mais heureusement la colline à laquelle la maison de leur ami était adossée était visible de loin. Ils se stoppèrent en arrivant dans la rue et s'embusquèrent au coin d'une maison. Ils s'assurèrent qu'aucun soldat ne les avait suivis ou ne les attendait devant la maison, puis ils s'élancèrent à toute vitesse et s'engouffrèrent par la porte laissée ouverte. Après s’être assurés que personne ne les avait vus entrer, ils bloquèrent cette dernière avec une table. Un long moment plus tard, Reg'liss se décida à briser le silence.
– On ne peut pas rester ici, ils sont sûrement à notre recherche.
– Alors quoi ? Nous sortons et nous nous promenons jusqu’à tomber sur des soldats, demanda Sin fo en désignant la fenêtre.
– Bien sur que non ! Mais je pense que pour l’instant ils nous recherchent en ville, présuma le jeune homme en jetant un œil par cette même fenêtre avant de tirer les rideaux, et ils vont sans doute fouiller toutes les maisons. Ça va leur prendre un peu de temps, il faut donc partir immédiatement pour prendre de l’avance.
– Où veux-tu aller Reg'liss, demanda Sin fo avec un sanglot dans la voix. Nous ne savons même pas où nous sommes.
– On s’en tient au plan initial : on suit le chemin de la forêt jusqu’en ville, et de là, on tente de rejoindre Ts’ing Tao.
– D’accord. Cherchons dans ce capharnaüm si quelque chose peut nous servir. Le vieux Berg n’en n’aura plus l’utilité…
En disant cela, de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues.
Ils trouvèrent des sacs, de vieilles vestes de voyage, des couvertures et quelques vivres. Sin fo défit les bretelles de sa robe. Voyant que Reg'liss s'était stoppé dans un mouvement et la regardait fixement, elle se couvrit la poitrine du bras et lui demanda :
– Tourne-toi s'il te plaît !
– Bien sûr, excuse-moi, bredouilla le jeune homme en rougissant.
Il lui tourna le dos, et ne vit pas le petit sourire au coin de ses lèvres. Sin fo laissa glisser la robe sur ses chevilles, et s'habilla avec des vêtements de Berg que Reg'liss avait posés sur la table. Lorsque Reg'liss se retourna, son amie était vêtue d'un pantalon et d'une veste d'homme, et finissait de cacher ses longs cheveux sous une casquette.
– C'est stupéfiant ! Si je ne savais pas que c'était toi, j'aurais du mal à te reconnaître. Mais pourquoi as-tu retiré la robe ?
– Elle n'est pas faite pour voyager. Elle est beaucoup trop longue, je risque de m'accrocher à des branches ou des buissons.
– Dans ce cas, tu aurais pu remettre ta tenue de combat. Pourquoi t'être déguisée ainsi ?
– Les voisins m'ont peut-être vue habillée ainsi, ils pourraient renseigner les soldats. Et ceux-ci cherchent un homme et une femme. Nous passerons peut-être inaperçus si je ressemble à un homme.
Sin fo ramassa la robe et la plia soigneusement dans son sac. C'était un cadeau du vieux Berg, et elle ne voulait pas s'en séparer. Ils vérifièrent en vitesse le contenu de leurs sacs, puis remplirent chacun une gourde d'eau à la cuisine. Reg'liss prit également un couteau qui lui permettrait de chasser sur la route. Sin fo quant à elle avait toujours son poignard.
Après avoir vérifié que la rue était déserte, Sin fo et Reg'liss sortirent en silence. Le vieux Berg leur avait indiqué la route de la vieille forêt deux jours auparavant, et heureusement pour eux elle n’était située qu’à quelques centaines de mètres de sa maison. Ils n'avaient qu'à traverser le quartier, qui n'était composé que de quelques fermettes et maisons aux grands jardins. En longeant le flanc de la colline, ils atteignirent la sortie de la ville, non sans s’être cachés plusieurs fois pour éviter la rencontre d’une patrouille de soldats.
La route qui menait à la forêt était un chemin de terre bordé de pierres grises qui s’étirait à travers une immense plaine. Il partait du village en ligne droite vers l’horizon, à travers les champs de fleurs rouges qui avaient donné son nom au village. Seuls quelques arbres, qui n'avaient pas été abattus afin de délimiter les parcelles, venaient rompre la monotonie du paysage.
Après environ une heure de marche, nos deux héros entendirent un bruit de sabots. Craignant que ce ne soient des soldats, ils quittèrent la route et se jetèrent au sol dès que les plantes furent assez hautes pour les cacher. Leur peur s’estompa lorsqu’ils virent qu’il ne s’agissait que d’une roulotte de marchand ambulant. Ils sortirent des fourrés et firent signe au cocher. Sin fo baissa sa casquette sur ses yeux et se tint derrière Reg'liss. Celui-ci discuta un peu avec le marchand, qui accepta de les conduire un bout de chemin. Reg'liss se hissa le premier à l'arrière de la carriole et aida Sin fo à grimper à son tour. Ils rabattirent les pans de toile et s'installèrent confortablement sur les sacs de semis. Ce fut une chance pour les deux jeunes gens d'avoir rencontré ce marchand, car ils furent bientôt dépassés par un cavalier portant le même uniforme que les assassins de Berg. Cherchant deux personnes à pied, celui-ci ne prêta pas attention à la roulotte.
Alors que la nuit tombait, la carriole s’arrêta à un embranchement. Le marchand passa la tête à l'arrière pour leur expliquer :
– Je continue vers le nord, j’ai encore plusieurs villages à traverser. Si vous voulez vraiment traverser la forêt, c’est vers l’est, à environ deux kilomètres d’ici. Mais je vous conseille de passer la nuit avant de vous aventurer là-dedans. Vous pourriez y faire de drôles de rencontres.
Sin fo et Reg’liss le remercièrent, lui souhaitèrent bonne route, et tandis qu’il partait vers la gauche, ils prirent vers la droite en direction de la forêt. Là, la route n’était plus qu’un sentier qu’il était difficile de distinguer dans les hautes herbes. Lorsqu’ils parvinrent à l’orée de la forêt, la nuit était sombre, malgré Enerof, la lune, qui trônait déjà haut dans le ciel. Les deux jeunes gens décidèrent de camper là pour la nuit. Ils dînèrent de quelques fruits et d’un morceau de pain trouvés chez le vieux Berg, puis ils s’endormirent transis de froid, se refusant à allumer un feu, de peur que leurs poursuivants ne les repèrent.
Sin fo passa une mauvaise nuit. Elle revit en rêve la mort de Berg, puis elle vit une armée entière avancer vers elle, les cottes de mailles cliquetant au rythme du pas des soldats. Ceux-ci avançaient inexorablement et elle ne pouvait pas s’échapper. Soudain son rêve s’évanouit. Elle ne voyait plus que l’obscurité de ses paupières closes, mais le cliquetis se faisait toujours entendre. Elle ouvrit les yeux. Une silhouette au dessus d’elle lui cachait la lune et fouillait dans leurs affaires. Sin fo bondit et plaqua l’intrus au sol, mais celui-ci se dégagea en lui assenant un coup violent dans les côtes, avant de s’enfuir en direction des arbres. Malgré la douleur, Sin fo entreprit de poursuivre l’intrus. Mais celui-ci avait pris trop d’avance, et Sin fo fut bientôt contrainte d’abandonner.
Son retour au campement lui sembla étrangement prendre plus de temps que sa première course. L'homme avait couru dans toutes les directions, et elle mit quelques minutes à retrouver son chemin. Elle n'y avait pas fait attention lorsqu'elle courait, mais les arbres lui paraissaient maintenant sombres et imposants. Elle avançait doucement, se cognant contre les troncs, et se prenant les pieds dans des racines et des buissons bas. Une fois sortie de la forêt, elle trouva Reg'liss profondément endormi. De mauvaise humeur, elle le réveilla d’un coup de pied dans le bas du dos. Reg'liss se mit sur son séant en grognant.
– Qu’est-ce qui te prend, s'indigna-t-il.
– Tu es incroyable ! Une troupe entière de soldats pourrait venir, tu ne te réveillerais pas avant qu’ils t’aient mis en cellule. Je viens de me battre juste à côté de toi, expliqua-t-elle en pointant le sol du doigt.
– Quoi ? Contre qui ?
– Je l’ignore, répondit Sin fo en écartant les bras d'un geste agacé. Un homme qui fouillait nos affaires. Il s’est enfui dans la forêt.
– Tu ne l’as pas suivi, demanda Reg'liss en tournant la tête vers les bois.
– Bien sur que si, qu’imagines-tu ! Mais il fait nuit et la forêt est sombre. Je l’ai perdu de vue. Et maintenant j’estime en avoir assez fait pour ce soir, alors tu vas rester éveillé et veiller à ce qu’il ne revienne pas.
Elle s’allongea quelques mètres plus loin, tournant le dos à Reg'liss, et ne dit plus un mot.
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