Chapitre 7 L'autre homme - Partie 1
L'homme se réveilla en sursaut. Il tremblait de tout son corps et était couvert de sueur. Il avait encore fait ce cauchemar. Depuis plusieurs semaines, le même rêve revenait encore et encore le hanter. Il se demanda quelques instants s'il devait y voir un signe. Le début d'une prémonition ? Il finit par se persuader que cela n'avait rien de grave et que dramatiser les choses n'arrangerait rien.
Il écarta les couvertures d'un geste rageur et sortit de son lit. Il chaussa les espadrilles qui l'attendaient au pied du lit et s'enroula dans un peignoir. Un rapide coup d'œil par la fenêtre lui apprit qu'il était encore tôt. La montre sur sa table de chevet lui confirma qu'il avait presque deux heures devant lui avant d'aller au travail.
L'homme jura en grognant. Il ne supportait plus d'être réveillé à l'aube par ce cauchemar affreux. Il ne s'en rappelait pas tous les détails, mais il avait toujours ce sentiment diffus de malaise qui ne le quittait pas de la journée.
Il se dirigea en traînant les pieds vers sa salle de bain. L'image que lui renvoya le miroir le fit grimacer. Il avait des cernes violettes sous les yeux, les cheveux en bataille et sa barbe lui donnait un aspect très négligé. Il fallait qu'il se rende un peu plus présentable avant d'aller travailler. Mais il ferait cela plus tard. Pour le moment, il avait avant tout besoin d'un café. Il se passa un rapide coup d'eau sur le visage et se dirigea vers la cuisine. Il regarda les soleils se lever par la fenêtre tandis que l'eau chauffait. Il but ensuite une tasse de café brûlant d'une traite et s'en servit immédiatement une autre qu'il savoura lentement en regardant sa rue qui commençait à s'animer.
Les lanterniers s'affairaient sur les réverbères et les éboueurs et les balayeurs travaillaient de concert pour rendre les rues le plus propres possible avant le réveil des habitants. C'était une petite ville tranquille, habitée par des gens paisibles, et l'homme était fier de participer à cette quiétude, à son niveau. Pourtant, il n'en avait pas toujours été ainsi. L'homme chassa ces souvenirs de sa tête et finit son déjeuner. Il prépara ensuite sa tenue de travail tandis que de l'eau chauffait dans la salle de bain. Il passa une trentaine de minutes dans la baignoire afin de délasser son corps crispé par le manque de sommeil et l'anxiété. Il se rasa ensuite méticuleusement, se coupa un peu les cheveux et retourna dans sa chambre pour s'apprêter.
Il ferma la porte de chez lui à double tour et se dirigea vers son travail. Dans la rue, les gens le reconnaissaient et le saluaient. Les choses avaient beaucoup changé depuis sa jeunesse. Lui qui errait de ville en ville, qui était au mieux ignoré et au pire chassé, était maintenant intégré et respecté. Tout cela, bien sûr, il le devait à son travail, et il savait qu'il ne pourrait jamais assez remercier l'homme qui lui avait permis de l'obtenir.
En chemin, il croisa une bande de gamins qui s'amusaient à se battre avec des épées en bois et des arcs imaginaires. En le voyant, ils se liguèrent tous ensemble pour l'attaquer. L'homme tira sa propre épée du fourreau et combattit quelques minutes avant de se laisser porter un coup aux jambes et de s'effondrer, vaincu. Les enfants poussèrent des cris de triomphe et s'éloignèrent en riant. L'homme se releva en s'époussetant sous les regards amusés des passants. Il jouait toujours le jeu avec les enfants, afin d'éviter qu'ils n'aillent vérifier si les vraies armes étaient plus efficaces.
Après quelques minutes de marche, l'homme arriva sur son lieu de travail. C'était une grande bâtisse en pierre, aux fenêtres peu nombreuses et à l'aspect peu engageant. L'homme soupira en la voyant. Par une belle journée ensoleillée comme celle-ci, il aurait préféré une mission en extérieur, mais il allait bel et bien devoir s'enfermer dans le bâtiment toute la journée pour régler de la paperasse. L'homme détestait ce côté administratif de son travail, mais il ne pouvait pas y échapper, et quoi qu'on lui confie, il accomplissait sa tâche avec ardeur. Il pénétra donc dans l'enceinte du bâtiment et se dirigea vers le fond.
Dans le hall, il salua la jeune femme qui s'occupait de la réception et discuta quelques minutes avec elle. Elle avait déjà un homme dans sa vie, mais l'homme savait qu'il pourrait la faire craquer s'il le voulait. Elle finit par lui ouvrir la porte menant aux étages supérieurs et lui souhaita une bonne journée. Tandis qu'il s'avançait dans le couloir et que la porte se refermait sur lui, il entendit des éclats de voix dans le hall, mais il ne se retourna même pas. Il était assez courant que des personnes se plaignent dans ce bâtiment, mais cela ne durait jamais très longtemps.
L'homme monta un long escalier en colimaçon jusqu'au troisième étage, traversa un nouveau couloir de portes fermées, et arriva enfin à destination. Il se servit de la clé qu'il avait récupérée à l'accueil pour déverrouiller la serrure et poussa la lourde porte de bois.
La pièce était petite, pas plus de trois mètres de côté, très peu meublée, seuls une armoire, une chaise et un bureau comblaient le vide, et très sombre. Le mur du fond était percé d'une fenêtre, mais elle était si étroite qu'elle ne laissait passer qu'un mince rai de lumière. L'homme alluma les torches accrochées au mur pour s'éclairer, et le regretta aussitôt quand la fumée commença à s'accumuler dans la pièce fermée et qu'il sentit ses yeux le piquer et sa gorge le gratter. Seule la meurtrière lui évitait de suffoquer totalement.
L'homme savait qu'il ne sortirait pas de cette pièce tant qu'il n'aurait pas terminé son travail, c'est pourquoi il décida de s'y mettre sans plus tarder. Il ouvrit l'armoire et en sortit un livre à la couverture reliée de cuir, un flacon d'encre noire, une plume et quelques feuilles de papier jaunies et posa le tout sur la table au centre de la pièce. Il sortit ensuite une énorme pile de documents qu'il posa à gauche de sa table de travail. Tous ces documents étaient des comptes rendus écrits à la va-vite qu'il devait déchiffrer et recopier au propre dans le livre vierge devant lui. Il s'assit lourdement sur sa chaise, déplaça un peu sa table sur le côté pour que le rai de soleil tombe sur son livre, trempa sa plume dans l'encre, et se mit au travail.
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