Chapitre 9 Un accroc dans le plan - Partie 2
Lorsque Sin fo se réveilla le lendemain, les soleils étaient déjà hauts dans le ciel. Elle se leva, s'étira, pesta intérieurement contre les garçons pour avoir laissé mourir le feu, se réchauffa les mains au dessus des braises rougeoyantes, puis chercha ses amis du regard. Reg'liss était affalé contre une souche, la bouche ouverte et une main posée sur son ventre découvert. Sin fo ne put réprimer un sourire. Comment avait-elle pu tomber amoureuse d'un garçon aussi débraillé ? Elle aperçut Hank qui s'affairait autour des lopvents quelques mètres plus loin. Elle s'approcha silencieusement de lui et quand elle lui dit bonjour, il sursauta comme sous l'effet d'une décharge électrique.
– Tu m'as fait peur, dit-il en s’essuyant le nez d’un mouvement de poignet. J'ai cru que c'était...
– Le dieu Yembet en personne ?
– Quelque chose dans ce goût-là en effet.
– Je ne te savais pas superstitieux, le taquina Sin fo.
– Si la mort ne m'effraie pas, de quoi veux-tu que j'ai peur ?
Cette réponse et le ton angoissé sur lequel il avait parlé prirent Sin fo totalement au dépourvu et elle ne sut quoi objecter. Elle le regarda travailler, les lèvres pincées et se frottant timidement l’intérieur du bras. Après quelques secondes de silence, elle reprit :
– Veux-tu un peu d'aide avec les lopvents ?
– Non ! Enfin, je veux dire, merci mais c'est bon, j'ai presque fini. Je les ai nourris et il ne m'en reste plus qu'un à seller.
– Très bien, répondit la jeune femme un peu déçue. Dans ce cas, je vais aller voir ce qu'il nous reste pour le petit-déjeuner.
– D'accord. Réveille Reg'liss, j'arrive tout de suite.
Dès que Sin fo eut le dos tourné, Hank sortit de sa poche un fruit semblable à une grosse prune et le tendit au lopvent le plus proche, qui enroula sa langue autour avant de l'engloutir goulûment. L'animal eut un haut-le-cœur, mais Hank lui maintint la gueule fermée pour le forcer à avaler. Une fois que ce fut fait, la bête émit un sifflement aigu et commença à gratter frénétiquement le sol de ses pattes arrières. Lorsqu'il alla s'asseoir auprès du feu, Hank avait un étrange rictus au coin des lèvres mais ni Sin fo ni Reg'liss ne le remarquèrent.
Moins d'une demi-heure plus tard, le campement était levé. Hank continuait de jouer son rôle et les obligea à effacer autant que possible les traces de leur passage, ce qui agaça particulièrement Reg'liss lorsqu'il s'agit d'estomper les ornières laissées par les lopvents qui avaient creusé toute la nuit.
Quand Reg'liss s'installa sur son lopvent pour partir, l’animal déploya les ailes sous ses jambes et fit une ruade qui désarçonna le jeune homme et le fit voler sur deux mètres avant de retomber lourdement au sol. Il se releva en proférant des injures et en se massant le coccyx. Hank affichait de nouveau son rictus et Sin fo riait tellement qu'elle se tenait les côtes.
– Vraiment très amusant, se vexa Reg'liss. Ça fait plaisir de se savoir épaulé dans les moments difficiles !
– Arrête de râler, toi aussi tu aurais ri à ma place ! Allez, pour m'excuser, je vais te laisser mon lopvent et prendre le tien. Tu n'es déjà pas à l'aise sur cette bête quand elle est docile, affirma-t-elle en glissant de sa selle, je ne voudrais pas que tu tombes à cause d'un coup de sang de ta monture.
Hank se raidit mais il s'abstint de dire quoi que ce soit. S'il parlait, son plan était à l'eau. Pourtant il ne pouvait pas laisser Sin fo... La jeune femme enfourcha le lopvent, qui rua à nouveau, mais elle parvint à le brider. Les deux garçons s'installèrent à leur tour, puis ils s'envolèrent tous les trois vers l'azur.
Ils évoluaient tranquillement à une quinzaine de mètres au dessus de la mer de nuages quand tout à coup le lopvent de Sin fo poussa un cri perçant avant de battre éperdument des ailes, prenant ainsi de la hauteur par à-coups, manquant de renverser sa cavalière à chaque saut.
Reg'liss tenta de s'approcher de Sin fo pour l'aider à calmer sa monture, mais celle-ci siffla méchamment et monta une nouvelle fois pour être hors d'atteinte. Hank cria :
– Essaie de le faire aller en avant. Il faut l'amener au sol pour le maîtriser.
Le lopvent effectua une embardée qui fit basculer Sin fo de sa selle. Elle glissa en arrière et se retrouva pendue dans le vide sous le poitrail de l'animal, uniquement retenue par les chevilles coincées dans les étriers. Dans un effort de contorsion incroyable, elle parvint à se dégager un pied et à s'accrocher au cou de son lopvent. Les mouvements amples des ailes de l’animal ne lui permettaient pas de remonter sur son dos. Cet équilibre précaire lui permit de rester quelques minutes agrippée sans risquer la chute. Soudain la mère des lopvents poussa un glapissement. Reg'liss tendit le cou et cria de joie.
– Une île ! On arrive ! Tiens bon Sin fo, on arrive !
– Oh déjà, tenta de plaisanter la jeune femme. Moi qui commençais à me sentir parfaitement à l’aise.
Hank et Reg'liss volaient chacun d'un côté de Sin fo, et ils n'étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres de la terre, quand tout à coup la sangle de la selle craqua et Sin fo ne fut plus pendue que par les mains au cou de son lopvent. Celui-ci baissa la tête sous le poids et perdit plusieurs mètres d'altitude. Une seconde après, Hank avait enjambé son lopvent et sauté dans le vide pour lui venir en aide. Il atterrit lourdement sur le dos du lopvent et sous la violence du choc, les doigts de Sin fo glissèrent sur la peau lisse de l'animal. Hank se pencha en avant mais trop tard. Il ne put saisir la main que Sin fo lui tendit avant de glisser.
Tout se passa en quelques secondes qui s'allongèrent comme des heures. Reg'liss croisa le regard de Sin fo. Des larmes coulaient sur ses joues et elle murmura de ses lèvres tremblantes :
– Adieu Reg'liss.
Il n'eut que le temps de hurler son nom avant qu'elle ne disparaisse sous les nuages.
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