Chapitre 13 Une paix contrariée - Partie 1
– Hank, je vais avoir besoin de ton aide.
Sin fo se tenait debout au bord d'une rivière, une canne à pêche rudimentaire à la main. Au bout de la ligne, un poisson se débattait frénétiquement pour se dégager l'hameçon de la gueule. Hank, qui était allongé un peu plus loin dans l'herbe, se redressa en prenant appui sur ses coudes et la regarda d'un air amusé.
– Il faudra quand même qu'un jour tu apprennes à le faire toute seule.
– Je n'y peux rien, cela me dégoûte, grimaça-t-elle en tenant la canne à bout de bras pour être bien sûre que l’animal ne la touche pas en s’agitant.
Il se leva, marcha jusqu'à elle, et décrocha sa prise avant de la rejeter dans la rivière.
– Pourquoi est-ce que tu pêches si tu n'aimes pas ça ?
– J'essaie de comprendre ce qui te plaît autant.
– Tu es mignonne.
Il fit un pas vers elle mais elle l'arrêta en pointant son index vers lui.
– Tu ne t'approches pas de moi tant que tu ne t'es pas lavé les mains, je te préviens.
Il leva les mains en signe de reddition et se contenta d'approcher son visage. Sin fo passa ses bras autour de son cou et l'embrassa. Après de longues secondes, elle se recula un peu et lui dit :
– C'est bien beau tout cela, mais tu viens de laisser filer le dîner.
– Ce n'est pas grave, je m'en charge. Rentre à la maison, je te rejoins.
– Je ne peux pas rester là avec toi, s’étonna-t-elle.
– Si je te montre l'astuce, tu n'auras plus besoin de moi, et qu'est-ce qu'il me restera pour me moquer de toi ?
Sin fo s'éloigna de lui en le poussant par les épaules.
– Très bien, protège ton grand secret. Je pars devant, ne tarde pas trop.
Hank attendit qu'elle se soit éloignée, puis il coupa une branche qu'il tailla au bout, et prit deux ou trois vers dans la boîte laissée par Sin fo. Il avança dans la rivière jusqu'à avoir de l'eau à hauteur de mollets, et lâcha un premier ver. Un poisson aux reflets verts jaillit presque immédiatement, mais il était trop petit et Hank le manqua. Il fit tomber un deuxième ver dans l'eau et projeta son harpon au même moment. Il parvint cette fois à attraper un poisson de la taille de son bras.
Il sortit de l'eau et remonta sur la berge. L'animal était encore agité de spasmes et Hank le frappa contre un tronc pour l'achever. Il ramassa ses affaires et partit retrouver Sin fo. Il remonta le long de la berge, qui descendait en pente douce jusqu'à la rivière. Arrivé en haut, il prit à gauche et marcha dans l'herbe en direction de sa maison. Il passa à travers champs, et en profita pour cueillir quelques fleurs pour Sin fo.
Il leva les yeux et regarda les montagnes, désormais familières, qui entouraient la vallée. Il repensa à la première fois qu'il les avait vues, cinq ans auparavant. Hank secoua doucement la tête en souriant en repensant au fait que Sin fo et lui avaient tenté de fuir cet endroit. Pendant pratiquement un an, ils avaient exploré le continent à la recherche d'un passage qui leur permettrait de rejoindre Vadkraam. Ils n'avaient rien trouvé, et ils avaient fini par revenir sur la plage sur laquelle ils avaient échoué quelques mois plus tôt.
Ils savaient qu'à quelques centaines de mètres, au fond de la mer, il existait un accès vers leur monde d'origine. Sin fo avait été prête à tenter cette dernière chance, mais Hank l'en avait empêchée. L'opération était trop hasardeuse. Ils ne savaient pas exactement où plonger, et ils ne pouvaient pas être certains que le passage fonctionnait dans les deux sens.
Les deux jeunes gens s'étaient donc installés sur la plage, jusqu'à ce qu'un revani vienne les voir sur ordre de Iaevr. Celui-ci les avait invités à vivre à Zivatanerae parmi les revanis. Hank avait bien sûr refusé catégoriquement, jusqu’à ce que le roi lui présente ses excuses en personne pour l’avoir traité si injustement. Iaevr avait reconnu que le jeune homme n’avait jamais représenté la moindre menace pour son peuple, et qu’il n’était sûrement pas le tyran décrit dans la légende. Sin fo avait accepté également, à la condition de ne plus être traitée comme une déesse.
Ils avaient d'abord vécu au palais, dans l'ancienne chambre de Sin fo, mais Hank tenait trop à son indépendance et avait demandé à s'installer dans un endroit calme et légèrement retiré. Le seigneur Iaevr lui avait alloué une parcelle de terrain occupée par une petite forêt, et dont les revanis ne se servaient pas pour leurs cultures ou leurs troupeaux. Hank avait d'abord passé plusieurs mois à abattre des arbres pour dégager une clairière, puis il avait entrepris la construction de la maison proprement dite. Sin fo lui donna un petit coup de pouce pour les fondations - cela ne lui prit que quelques minutes - puis il avait monté lui-même les murs avec le bois qu'il avait coupé, en s'inspirant de l'architecture revanie. L'entreprise lui avait pris encore de long mois, mais il tenait à la satisfaction d'habiter une maison qu'il aurait construite de ses mains. Moins d'un an et demi après leur retour à Zivatanerae, Sin fo et Hank vivaient ensemble dans leur maison.
Hank gravit une petite colline et traversa un bosquet, puis il déboucha sur une clairière. Il fut accueilli par une délicieuse odeur flottant dans l'air. Il vit des volutes de fumée s'échapper de la cheminée, et Sin fo apparaître dans l'encadrement de la porte.
– Qu'est-ce que c'est que cette fumée ? Tu as préparé le dîner sans moi ? Et qu'est-ce que je vais faire de ça, moi ?
Il tira le poisson hors de sa besace en le tenant par la queue.
– J'ai préparé une soupe, il ne manque plus qu'à y mettre un poisson et elle sera succulente. Apparemment j'ai plus confiance en toi que toi en moi.
– Je te demande pardon, dit Hank en remettant sa prise dans son sac.
– Hum ça dépend, répondit Sin fo en faisant la moue.
– De quoi ?
– De comment tu vas me présenter tes excuses.
Il avança jusqu'à la porte et l'embrassa comme il l'avait fait un peu plus tôt.
– C'est bon tu peux rentrer, tombeur.
Elle resta, pensive, sur le pas de la porte quelques instants, avant de le suivre en lui intimant :
– Et lave-toi les mains !
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