Chapitre 18 Brusque rappel à la réalité - Partie 3
Ils avançaient direction plein nord. Le paysage était toujours aussi désolé, mais le temps s'était amélioré depuis la veille. Le vent qui avait soufflé une partie de la nuit avait poussé les nuages plus au sud. Les soleils brillaient sur un ciel parfaitement bleu, et après moins d'une heure de marche, ils commencèrent à regretter le vent frais de la veille.
Néanmoins, l'ambiance dans le groupe était moins morose et tous les quatre discutaient allègrement. La journée se déroula sans incidents, tout comme les deux suivantes. Le seul élément notable fut que le paysage devenait de plus en plus aride, la végétation disparaissant peu à peu, et les rochers laissant place à de longues étendues sablonneuses.
Au matin du cinquième jour, ils étaient aux portes d'un véritable désert. Ils virent un peu plus loin sur leur droite un tas de pierre. Ils s'en approchèrent et découvrirent un vieux puits à moitié défoncé. Juste devant était planté un panneau en bois séché par le soleil sur lequel était inscrit « Buvez autant que vous le pourrez, c'est peut-être la dernière fois »
– C'est vraiment charmant.
– Ça me semble néanmoins être un bon conseil, intervint Jacob. Les dieux seuls savent le temps que nous allons mettre à traverser ce désert.
– Je sais que nous en avons déjà parlé, dit Sin fo, mais ne pourrions-nous pas le contourner ?
– Je vous répète que ça reste le chemin le plus sûr. Le contourner par l'ouest nous rapprocherait beaucoup trop de la capitale, et le faire par l'est nous conduirait presque en territoire bentou. Sans compter que ça nous rallongerait de plusieurs centaines de kilomètres.
À la simple évocation des hommes sauvages, tous se remémorèrent en frémissant les légendes des guerres anciennes, ainsi que les histoires de voyageurs égarés dans les montagnes dont on ne retrouva parfois qu’un bras ou une jambe. La discussion étant close, Hank actionna la poulie et remonta plusieurs seaux d'eau qu'ils burent sur place. Tabatha râla contre le goût de l'eau, qu'elle trouvait croupie et tiède, mais Jacob la força à boire un bon litre avant de la laisser tranquille.
Une fois tous rassasiés, ils remplirent leurs gourdes à ras bord. Sin fo trempa ses mains dans le seau et se les passa sur la nuque pour se rafraîchir. Hank attrapa sa gourde et la retourna au dessus d'elle, la trempant ainsi des pieds à la tête. Tabatha éclata de rire devant la mine défaite de Sin fo. La jeune femme lui lança un regard noir, empoigna le seau et l'aspergea copieusement. De l'eau rentra dans la bouche de la princesse, et elle l'avala de travers. Elle passa de longues secondes à tousser et crachoter, durant lesquelles tout le monde retint son souffle, attendant les cris et l'accès de colère habituels. Au lieu de ça, la petite princesse rabattit ses cheveux en arrière en riant de plus belle.
La jeune fille avait toujours son caractère exécrable, mais au fil des jours, elle avait appris à apprécier la présence de Sin fo et Hank. Elle adorait Jacob, mais cela lui faisait du bien de parler à d'autres personnes. Elle aimait particulièrement discuter avec Sin fo. Elle n'avait pas eu beaucoup l'occasion de parler avec des femmes ces deux dernières années, et sa compagnie la rendait très heureuse. D'autant que Sin fo lui rappelait sa mère par bien des aspects…
Ils remplirent de nouveau leurs gourdes et se remirent en route. Après moins d'une heure de marche, toute trace de végétation avait disparu. Il n'y avait autour d'eux que du sable à perte de vue, les dunes se succédant aux dunes, toutes semblables. Sin fo et Hank avaient l'impression d'être revenus dans l'entre-deux mondes, sous Vadkraam et le pays des revanis, et ils gardaient inconsciemment les yeux rivés sur le sol, sursautant chaque fois que leurs pieds s'enfonçaient un peu trop profondément dans le sable. Après un moment, ayant remarqué leur attitude, Jacob les interrogea sur les raisons de leur stress.
– Nous nous méfions des sables mouvants, lui répondit Sin fo.
Jacob eut l'air amusé.
– Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il y a des sables mouvants dans le coin ?
– Qu'est-ce qui vous permet de penser qu'il n'y en a pas ?
L'argument ne convainquit pas Jacob, mais Tabatha n'était pas rassurée à l'idée de passer à travers le sol et finir ensevelie vivante. Ils décidèrent donc d'avancer en file indienne, en marchant espacés d'un bon mètre les uns des autres. Jacob avançait en tête, suivi de Hank qui s'était muni d'une corde à lui lancer en cas de problème, puis de Tabatha, et enfin Sin fo qui fermait la marche.
Cette précaution s'avéra inutile, car lorsqu'ils s'arrêtèrent aux soleils couchants, ils n'avaient rencontré aucune difficulté. Ils passèrent la nuit serrés dans leurs couvertures et blottis les uns contre les autres pour se protéger de la morsure du froid.
Les soleils à peine levés le lendemain, la température grimpa de plusieurs dizaines de degrés. La journée était plus chaude encore que la précédente. Après quelques minutes de marche, ils étaient déjà tous en nage. Ils avaient repris leur formation de la veille pour avancer. Les soleils tapaient fort. Le petit groupe était exténué. Des perles de sueur coulaient sur leurs fronts, ils étaient pris de vertiges. Ils avaient la bouche tellement sèche que leurs langues leur semblaient être en carton, mais ils se rationnaient en eau, car ils ne savaient pas quand ils sortiraient du désert.
Sin fo surtout supportait très mal la chaleur. Ayant grandi dans le nord, elle n'avait pas l'habitude de telles températures. Elle avait de la fièvre, et elle voyait des points blancs danser devant ses yeux, aussi ne s'étonna-t-elle pas de voir des taches de couleur se dessiner à l'horizon. Elle ne dit d'abord rien, et se contenta de se frotter les yeux et de s'éponger le front. Malgré cela, les taches ne disparurent pas. Sin fo fit quelques pas en avant et tapota l'épaule de Tabatha.
– Regarde là-bas, sur le sommet de la dune. Tu vois quelque chose ?
La fillette mit sa main en visière et plissa les yeux. Elle répondit après quelques instants.
– Oui je crois que ça bouge. Hé, cria-t-elle à l'adresse des deux hommes, on dirait qu'il y a des gens là-haut !
Elle pointa du doigt pour leur indiquer la direction.
– Qui cela peut-il être, s’interrogea Sin fo.
– Je crois que ce sont des matafiyin, des voyageurs du désert, intervint Jacob. C'est une chance pour nous, ils connaissent le désert comme personne, ils pourront nous dire où nous en sommes de la traversée, et peut-être nous fournir un peu d'eau. Allons à leur rencontre.
Ils marchèrent quelques minutes, puis quand ils estimèrent être assez près, Jacob mit ses mains en porte-voix et appela les voyageurs, avant de faire de grands gestes avec ses bras pour attirer leur attention.
– Ah, ils nous ont vu, ils viennent par ici. Faites attention à ce que vous leur dites, parlez-leur avec respect. Nous sommes sur leurs terres, ne l'oubliez pas.
– Leurs terres, s'étonna Tabatha. Tout le royaume n'appartient-il pas à mes parents ?
– Si, bien sûr, mais dans les faits, seules ces tribus ont su s'adapter à ce climat et ont réussi à vivre ici.
Les matafiyin n'étaient plus qu'à quelques centaines de mètres.
– Ils marchent vite. Ils ont l'air d'avoir hâte de nous rencontrer. C'est étrange, d'ordinaire ce sont plutôt des gens méfiants. Je me souviens quand le roi les avait invités...
Hank l'arrêta en lui prenant le bras.
– Qu'est-ce que vous dites ?
– Simplement que d'habitude...
– Ce n'est pas normal. J'ai un mauvais pressentiment. Dégainez votre épée.
En disant cela, il attrapa la lance qu'il avait dans le dos. Le voyant faire, Sin fo lui demanda :
– Que se passe-t-il ?
– Mais rien, lui répondit Jacob. Votre compagnon est juste nerveux. Hank, baissez cette lance, vous allez leur faire croire que nous les menaçons !
– Ils ne sont pas assez méfiants, ce n'est pas normal. Sin fo, sors ton arme et tiens-toi prête.
– Non, ne faites pas ça. Arrêtez tous les deux !
Mais Sin fo ne l'écouta pas. Elle savait que quand Hank était aussi tendu, il valait mieux lui faire confiance. Les matafiyin étaient tout près maintenant. Nos héros pouvaient voir les détails de leurs tenues. Ils étaient neuf, vêtus d'habits longs en toile de couleur sombre, noirs, verts, bleus marines et bordeaux. Ils avaient des capuchons qui les protégeaient des rayons des soleils et cachaient leurs visages. Ils avançaient de plus en plus vite. Jacob s'avança les mains levées.
– Je vais tenter de leur faire comprendre que nous ne leur voulons pas de mal.
Soudain les matafiyin se mirent à courir.
– Mais qu'est-ce que...
La capuche de celui qui courait en tête glissa, révélant son visage émacié, sa bouche aux lèvres écumantes de rage et ses yeux laiteux.
– Ce sont des djaevels !
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