Chapitre 21 Un voyage éprouvant - Partie 1

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 Le lendemain, à l'aube, l'heure était aux adieux sur le pas de la porte de Falmina. Jacob avait jugé préférable de partir tôt, afin de couvrir un maximum de route dans la journée, et aussi pour habituer immédiatement leurs nouveaux compagnons de route à leur rythme de marche. Il ne voulait pas s'encombrer de flemmards et de geignards qui ne feraient que les ralentir.

 Tabatha était contente de quitter enfin cette maison, d'autant que Maxou les accompagnait. Avec eux partaient également le père de Maxou, un couple de jeunes gens, un autre de personnes plus âgées que Falmina, une famille avec trois jeunes enfants, sept hommes et femmes seuls vieux de vingt à quarante ans, et Indesit, la fille de Falmina. Hank avait été très surpris d'apprendre qu'une femme aussi timide et aussi attachée à sa mère décide de la quitter et de partir avec de parfaits inconnus. Sin fo ne voyait pas d'un très bon œil ce soudain désir d'autonomie, car elle avait remarqué que Indesit rougissait dès que Hank lui adressait la parole et parlait à voix basse avec son amie en le regardant en coin.

 Falmina serrait sa fille dans ses bras, et toutes les deux pleuraient à chaudes larmes. Au bout de quelques minutes, Falmina se détacha de sa fille et lui passa la main sur le visage pour essuyer ses larmes, tout en lui murmurant :

– Il fallait bien que ça arrive un jour ou l'autre. Il est temps de prendre ta vie en main. Ne t'inquiète pas pour moi et sois prudente.

 Elle sécha ses propres larmes et s'adressa à tout le monde :

– Prenez tous soin de vous. Si vous décidez de revenir en arrière, ma maison vous sera toujours ouverte. J'espère vous revoir un jour.

 Elle serra tous ses amis un par un, hésita un instant, puis fit de même avec nos quatre héros. Hank fut quelque peu surpris, les deux filles lui rendirent volontiers son étreinte, et Tabatha remarqua que le visage de Jacob avait presque viré au cramoisi quand Falmina s’était approchée de lui.

 Enfin, après toutes ces effusions, le groupe prit la route. Falmina leur avait laissé sa charrette, afin qu'ils puissent transporter sans mal tous leurs vivres. Il n'y avait en revanche ni cheval ni mangolier disponibles auxquels atteler la charrette. Il avait donc été décidé que tous les membres du groupe devraient se relayer pour la tirer. De plus, chaque voyageur avait sur le dos un sac contenant toutes ses affaires personnelles, ainsi que de la nourriture pour la journée. Deux des enfants avaient été installés dans la charrette, au milieu des sacs, car trop jeunes pour marcher toute la journée, et de toute façon, encore endormis en cette heure matinale.

 Comme presque personne chez Falmina ne possédait d’arme, Jacob s’était chargé la veille avec deux volontaires d’aller fouiller les postes de garde aux entrées de la ville. Ils avaient ainsi pu récupérer une quinzaine d’épées semblables à celles dont se servaient les soldats du royaume, ainsi que deux lances, une hache et cinq arcs en bon état. Tout le monde avait ainsi été équipé d'une arme, même les enfants, pour leur propre sécurité. Trois adultes entouraient la charrette, afin de pouvoir repousser les éventuelles attaques de djaevels attirés par l'odeur de viande.

 Poussé par un nouvel espoir, le petit groupe avançait bon train. En moins d'une heure, ils étaient sortis de la ville, et ce malgré les détours qu'ils avaient faits pour ne pas quitter les quartiers sûrs. Parvenus à l'extrémité nord de la ville, ils firent une halte. Sin fo et Hank s'éloignèrent du groupe et s'assirent côte à côte sur un tas de débris, qui était probablement tout ce qui restait du portail de la ville. Ils regardèrent l'horizon baigné par la lumière des soleils levants sans dire un mot pendant un moment, puis Sin fo demanda à Hank :

– Combien de jours de marche avons-nous devant nous selon toi ?

– Je n'en ai aucune idée. Je n'étais jamais venu dans le nord du royaume auparavant. Je n'avais jamais beaucoup voyagé avant de te connaître, souligna-t-il en déposant un baiser dans ses cheveux. C'est plutôt toi qui connais la région.

– Je sais, mais je ne reconnais rien. Je n'avais quitté Incuna qu'en de rares occasions, je ne connaissais les îles alentour que de nom. Je ne sais même pas où nous sommes actuellement.

 À ce moment, ils furent rejoints par un des hommes qui tiraient la charrette.

– Ça ne vous dérange pas que je me joigne à vous n’est-ce pas ?

– Non bien sûr, répondit Hank en se redressant et en se décalant de quelques centimètres.

– Merci. Au fait, je m'appelle Ryban May, rappela-t-il en leur tendant la main. C'est beau n'est-ce pas, ajouta-t-il en englobant le paysage d'un geste du bras. Je n'ai pas vu autant de végétation depuis près de deux ans. Quand tout ça a commencé, j'ai vite compris qu'il valait mieux rester groupés, et je n'ai pas tardé à quitter ma maison pour rejoindre celle de Falmina. Et pendant dix-huit mois, je n'en suis sorti que pour aller dans le jardin. Ça doit vous sembler stupide n'est-ce pas ? Mais je me dis que ça m'a permis de rester en vie, nuança-t-il en haussant les épaules. Tous n'ont pas eu cette chance.

– Avez-vous perdu quelqu'un Ryban, demanda pudiquement Sin fo.

– Oui ma femme, mais c’était il y a quatre ans, lors d’une épidémie qui a frappé le village. Parfois je m'en réjouis, car au moins n'a-t-elle pas connu toutes ces horreurs, n’est-ce pas.

– Je suis désolée.

– Ne le soyez pas, j'ai eu le temps de faire mon deuil. Alors, quand pensez-vous que nous atteindrons votre village ?

– Je ne sais pas exactement, avoua Sin fo. Je me rends compte que je ne sais même pas comment s'appelle cette ville.

– Cosrock.

– Ça te dit quelque chose ma chérie ?

– Cosrock... Oui je crois me souvenir d'un marchand qui venait d'ici. Mais je ne l'ai pas vu très souvent, ce qui signifie que nous ne sommes pas tout près.

– Je connais assez bien la région, je pourrais vous dessiner une carte.

– Oui merci, cela m'aiderait beaucoup.

– Je vais voir si on a de quoi écrire dans la charrette.

– Ce n'est pas urgent. Allez plutôt prévenir les autres que nous repartons s'il vous plaît, demanda-t-elle en se laissant glisser de son bloc et en s’époussetant les mains sur les cuisses.

 Moins de trois minutes plus tard, la petite troupe au grand complet était prête à repartir. Les enfants s'étaient réinstallés dans la charrette, qui était tirée par Ryban et un homme blond massif plus grand que lui d'une bonne tête et qui paraissait avoir environ trente cinq ans. Apparemment, personne n'avait l'intention de contester les décisions de Sin fo et Hank. Ces derniers en furent surpris, car ils ne s'étaient pas attendus à une telle docilité. Au contraire, ils s'étaient préparés à devoir sans cesse se justifier. Mais après tout, ils n'étaient partis que depuis une heure, rien ne promettait que cette bonne volonté allait durer. Les deux jeunes gens remirent leurs sacs sur leur dos et rejoignirent le convoi.

 Ils suivirent une ancienne route qui partait de Cosrock et filait en ligne droite jusqu'à un bosquet à quelques centaines de mètres de la ville. Arrivés à l'orée des bois, Hank mit tout le monde en garde :

– Ayez tous vos sens à l’affût. Être à couvert dans une forêt est un avantage lorsqu'on veut se cacher, mais cet avantage ne sert à rien contre des djaevels. La plupart ne sont pas très rapide, mais ils peuvent se cacher n'importe où derrière ces arbres. Ne comptez pas que sur vos yeux, car ils vous auront sentis avant que vous les voyiez. Soyez attentifs au moindre bruit, et comptez sur votre instinct. Si vous avez l'impression qu'on est suivis, ou que des yeux nous épient, n'hésitez pas, prévenez-moi immédiatement. Il vaut mieux s'inquiéter pour rien qu'être encerclés de djaevels affamés.

– Et quand ils seront près de nous, vous sentirez une affreuse odeur de décomposition, vous ne pourrez donc pas vous tromper, renchérit Tabatha.

– Merci pour cette précision primordiale Taby, soupira Hank. Bien, allons-y, et que personne ne s'éloigne.

 Ils avaient décidé, par la force des choses, de traverser la forêt en suivant la route. La charrette était trop encombrante pour passer entre les arbres, et ses hautes roues n'auraient sûrement pas été assez résistantes pour traverser les ornières et les fossés. Ils avancèrent dans le silence le plus complet, jusqu'à ce qu'un des enfants se mette à pleurer. C'était un petit garçon roux, au visage ovale et aux yeux noirs ronds comme des billes. Sa mère tenta de le calmer, mais sans grands résultats. Après quelques minutes, voyant Hank soupirer, lever les yeux au ciel, et jeter des regards agacés en arrière, Sin fo décida de s'en mêler. Elle s'approcha de la mère, une femme menue aux longs cheveux blonds.

– Bonjour, nous n'avons pas été présentées, je suis Sin fo.

– Et moi Selina.

– Et ce petit bonhomme avec un gros chagrin, comment s'appelle-t-il ?

– Nathan. Je suis vraiment désolée, d'habitude il est très calme.

– Ce n'est pas grave. Que lui arrive-t-il ?

– Il en a assez d'être assis, il voudrait marcher avec nous.

 Sin fo tourna la tête vers le petit Nathan, qui s'était tu pour écouter la conversation, et avait repris ses pleurs en voyant qu'on s'intéressait de nouveau à lui. Un tel culot fit rire Sin fo, et le petit s'arrêta de pleurer pour rire avec elle.

– Pourquoi ne pas le laisser descendre ?

– Il a à peine trois ans, il ne marche pas encore très bien.

– Nous pouvons ralentir le rythme, proposa Sin fo.

– Je croyais que nous devions nous dépêcher ?

– C'est vrai, mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Cela ne sert à rien de courir lorsque tout va bien, et d'être ensuite épuisés en cas de danger. La journée ne fait que commencer, nous pouvons prendre un peu notre temps.

 Sin fo regarda le petit en souriant, et celui-ci lui tendit les bras.

– Je peux ?

– Bien sûr, lui répondit la mère.

 Sin fo prit Nathan dans ses bras pour le sortir de la charrette, puis elle le posa à terre près de sa mère, mais le petit garçon ne voulut pas lui lâcher la main.

– Je crois qu'il veut rester avec vous, s'amusa Selina.

– Si vous êtes d'accord, je peux m'en occuper. Cela vous permettra de rester avec vos autres enfants.

– Merci beaucoup.

 Sin fo demanda à tout le monde de ralentir l'allure, et rejoignit Hank en tête de convoi. Le jeune homme regarda d'un drôle d'œil le petit Nathan avant de demander à sa femme :

– Tu t'es faite un ami ?

– Ne fais pas l'ours, le gronda-t-elle gentiment. Il est mignon, tu ne trouves pas ?

– Pour moi c'est juste un petit animal surexcité comme un niglant, qui pousse des cris plus stridents que ceux d'un lopvent, et qui bave autant qu'un mangolier.

– Tu joues les durs, mais je sais que tu as un cœur tendre. Rappelle-toi Titae.

– Titae était plus vieux, objecta Hank. Non, je t'assure, je n'aime pas les…

 Hank s'interrompit car Nathan venait de lui donner sa main droite. Il baissa les yeux et vit le petit lui adresser un grand sourire. Sin fo s'attendrit de l'expression qui passa sur le visage de son mari.

– Cela ne te plairait pas d'en avoir un à nous ?

– Toi, tu en voudrais ?

– Bien sûr, je veux fonder une famille avec toi.

– On devrait peut-être attendre un peu, je ne crois pas qu'il serait très facile d'élever des enfants dans un tel contexte.

– Il n'est jamais simple d'élever des enfants. Nous en reparlerons plus tard.

 Hank n'était pas très à l'aise. Il n'avait jamais réalisé que sa femme avait une telle envie d'enfant. Lui-même n'avait jamais pensé à cette éventualité. Il se demanda s'il pourrait faire un bon père. Ses propres parents avaient disparu de sa vie alors qu'il était très jeune, et il n'avait pas eu de réel modèle familial. De plus, il avait accompli beaucoup de mauvaises choses dans sa vie, le plus grave étant bien sûr ce qu'il avait fait à Reg'liss. Comment se poser en modèle et inculquer de bonnes valeurs lorsqu'on est un meurtrier ?

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