Chapitre 30 Le rêve d'une vie - Partie 1
Sin fo revint à elle peu à peu. Elle était plongée dans le noir, et son corps refusait de bouger, mais ses pensées se remettaient lentement en place. Elle ne se souvenait plus comment elle avait perdu connaissance. Sans doute s'était-elle pris un mauvais coup sur la tête. Sin fo se concentra pour rassembler ses souvenirs. Que faisait-elle avant de s'évanouir ? Elle savait qu'elle n'était pas seule. Il y avait une jeune fille avec elle. Qu'était-elle devenue ? Les souvenirs remontaient en même temps que son corps retrouvait ses sensations. Le sol était dur sous son dos, et en remuant les doigts, elle sentit du sable chaud et granuleux. Sin fo trouva cela étrange, car elle pensait que c'était l'hiver. Peut être se trompait-elle. Tout était si embrouillé...
Elle revoyait la jeune fille. Sa bouille ronde et ses longs cheveux blonds lui étaient familiers, elle était sure de la connaître. Pourquoi n'arrivait-elle pas à remettre un prénom sur ce visage ? Elles étaient en train de discuter, et d'autres personnes étaient arrivées. Des amis de la jeune fille ? Ces personnes faisaient beaucoup de bruit. Sin fo entendait encore leurs voix dans sa tête. Ils poussaient des cris, c'était véritablement effrayant. Pourquoi ces gens étaient-ils si bruyants ? Avaient-ils eu peur de quelque chose ?
Non. Sin fo se souvenait qu'ils couraient, mais ce n'était pas pour fuir quelque chose. Au contraire, c'était elle qui avait tenté de fuir. Elle en était sure maintenant, ces gens l'avaient attaquée. Sin fo réalisa soudain que les voix n'étaient pas dans sa tête. Ses agresseurs étaient tout autour d'elle. Elle ouvrit les yeux et fut aveuglée par la lumière des soleils. Prise de panique, elle tenta de se relever, mais elle sentit une main posée sur son épaule. Ses yeux s'habituèrent à la lumière, et elle distingua la silhouette d'un jeune homme, qui se pencha au dessus d'elle et lui dit d'une voix douce :
- Ne fais pas de mouvements brusques, tu es peut être blessée. Ne t'en fais pas, je m'occupe de toi.
Sin fo sentit son esprit qui glissait à nouveau. Elle ne vit pas clairement le visage de l'homme, mais elle emporta l'image de son sourire lorsqu'elle sombra dans l'inconscience.
Sin fo fut réveillée par une terreur sourde. Elle avait fait un cauchemar, mais en avait oublié les détails lorsqu'elle avait ouvert les yeux. Elle sentait une boule qui continuait à lui serrer l'estomac. Elle regarda autour d'elle, et ce qu'elle vit la rassura. Elle était allongée dans un lit, bien au chaud sous une couverture. Les meubles lui étaient familiers, et en tournant la tête, elle reconnut la cour derrière la fenêtre. Elle était chez elle. Sur la table de chevet à côté du lit étaient posés une carafe pleine d'eau et un bouquet de fleur dans un vase. Sin fo sourit en pensant que quelqu'un lui avait rendu visite, mais elle s'inquiéta de savoir depuis combien de temps elle était ici. Elle repoussa la couverture et s'aperçut qu'elle était en sous-vêtements. Elle se leva, fouilla l'armoire, et enfila une robe de chambre avant de quitter la pièce. Elle traversa les couloirs à pas lents. Son corps était ankylosé, comme si elle n'avait pas bougé pendant des jours. Elle alla d'abord dans le petit salon, et n'y trouvant personne, se dirigea vers les cuisines. Là, elle tomba sur une femme s'affairant aux fourneaux.
- Bonjour, dit Sin fo avec une petite voix.
Elle avait dû dormir longtemps, car le fait de prononcer ce seul mot lui irrita la gorge. Elle se racla la gorge, et la femme s'aperçut enfin de sa présence. Elle se tourna et son visage s'étira dans un sourire. Elle était plus jeune que Sin fo, elle ne devait pas avoir plus de vingt cinq ans.
- Mademoiselle Ni ! Je suis heureuse de vous voir debout !
Sin fo ne se souvenait pas de son visage. Peut être n'était-elle pas à son service depuis longtemps. Ou peut être que Sin fo n'avait pas encore retrouvé tous ses esprits.
- Ce n'est pas très prudent d'avoir quitté votre chambre toute seule, continua la jeune femme.
Sin fo n'apprécia pas tellement ce ton de reproche dans la voix de la jeune femme. Elle la trouvait un peu fière pour son âge, mais elle ne dit rien, car après tout, elle ne faisait que s'inquiéter de sa santé.
- Je vais aller prévenir monsieur que vous êtes réveillée, dit la jeune femme en s'essuyant les mains dans un torchon. Vous devriez retourner dans votre chambre.
- Non, je vais plutôt rester ici et grignoter quelque chose, je suis affamée.
La jeune femme acquiesça en souriant et quitta la pièce. Sin fo fouilla dans les placards et se composa une assiette avec des fruits, des biscuits et du pain, qu'elle engloutit en quelques minutes. Sin fo était impatiente de revoir Hank. Elle se doutait que c'était lui qui l'avait sauvée des djaevels, et elle avait hâte qu'il lui raconte comment. Elle s'inquiétait également pour Tabatha. Elle espérait que la petite princesse allait aussi bien qu'elle. Sans aucun doute Hank l'avait-il tirée elle aussi des griffes des djaevels. Peut être y avait-il Maxou avec lui. Si c'était le cas, Sin fo plaignait les djaevels qui se seraient trouvés entre Tabatha et lui. Il n'en avait peut être pas l'air avec ses joues rondes et son épaisse tignasse, mais Sin fo savait que quand la situation l'exigeait, son bras pouvait frapper avec la force d'un mangolier, et ses yeux rêveurs pouvaient devenir aussi inflexibles que le plus dur des aciers. Sin fo sourit en s'imaginant Maxou volant au secours de Tabatha, puis la petite princesse le remercier dans une scène digne des histoires à l'eau de rose que lui racontait sa grand-mère quand elle était petite.
Cette chère vieille Melodora. Elle avait toujours été si gentille avec elle. Pourtant elle avait son caractère. Presque tout le monde dans le village évitait de la contrarier. Même son propre fils, qui était pourtant le chef du village, n'osait lui faire le moindre reproche. Mais quand elle était avec sa petite fille, elle se transformait en véritable grand-mère poule. Elle lui racontait des histoires, lui brossait les cheveux pendant des heures, elle soignait ses blessures quand elle apprenait à combattre avec son père, et surtout, elle faisait les meilleures pâtisseries du monde.
Sin fo se souvint que, toute petite, elle aimait tellement ces pâtisseries qu'elle les mettait toutes entières dans sa bouche à peine sorties du four. Bien sûr, elle se brûlait les joues et était incapable de mâcher, mais cela ne l'empêchait pas de recommencer à chaque fois. Sin fo gardait un excellent souvenir de cette période. Elle n'avait pas de réels problèmes à l'époque, pas de village à gérer, pas de personnes à protéger, pas de monstres à affronter. Sin fo sentit une bouffée de nostalgie la gagner.
Pour ne pas se laisser aller, Sin fo commença à fouiller partout pour s'occuper les mains. Elle ouvrit tous les placards, retourna tous les tiroirs, souleva le couvercle des marmites sur le feu pour savoir ce qui cuisait à l'intérieur. En ouvrant la porte du four, elle découvrit une plaque pleine de brioches dorées. Elle sortit la plaque du four, la posa sur la table et se rassit en face. Elle les observa quelques instants sans bouger, s'enivrant de leur délicieux fumet, avant de se décider. Elle tendit l'oreille pour vérifier que personne ne pouvait la surprendre, puis elle attrapa une brioche qu'elle fourra toute entière dans sa bouche. Elle sentit le rouge lui monter aux joues, tant à cause de la brioche brûlante que de la honte qu'elle ressentait à se conduire ainsi. Si quelqu'un la voyait... Elle se mit à rire, et les petits cris étouffés qu'elle produisit la rendirent encore plus hilare. Elle ne parvenait pas à mâcher cette énorme boule de pâte, et les larmes commencèrent à lui monter aux yeux. Soudain, elle entendit des bruits de pas dans le couloir. La porte de la cuisine s'ouvrit, et Sin fo faillit s'étouffer en découvrant la personne qui se trouvait dans l'encadrement.
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