Chapitre 31 Retrouvailles - Partie 3
Archibald quitta la pièce sans ajouter un mot. Sin fo essuya les larmes de son visage puis secoua doucement le bras de Hank. Celui-ci redressa la tête en clignant des yeux. Son visage s'étira en un large sourire, il passa sa main dans les cheveux de sa femme et l'embrassa tendrement.
- J'ai cru t'avoir perdue pour toujours.
- Je suis désolée de t'avoir inquiété. Je sais ce que tu as pu ressentir. Quel jour sommes-nous, demanda Sin fo en regardant par la fenêtre.
- Le premier du mois de Ekayë. Ou peut être le deux, tout dépend de l'heure qu'il est.
- Nous sommes bien chez nous, s’inquiéta Sin fo.
- Bien sûr, tu ne reconnais pas notre chambre ?
- Je voulais dire, nous sommes bien à notre époque ?
- Nous sommes à la fin de l'année 2432.
Sin fo poussa un soupir de soulagement.
- Pourquoi me demandes-tu ça ? Il s'est passé quelque chose ?
- J'ai cru être retournée à l'époque de mon enfance.
- Tu crois que c'est possible ?
- Non, je pense que j'ai seulement imaginé tout cela.
- Comment peux-tu en être sure ? Après tout, tu as déjà fait ce genre de choses dans le passé.
- C'est vrai, mais ce n'est pas moi qui avais lancé le sort. Et puis, c'était différent de la première fois. Tout d'abord, mon corps avait retrouvé son aspect adolescent. C'était comme si je n'avais jamais quitté le Ts'ing Tao de mon enfance. J'ai revu mon père, ainsi que Reg'liss, et ils agissaient comme s'ils m'avaient vue la veille.
- Ça devait être merveilleux de revivre ta jeunesse, dit Hank en caressant le visage de sa femme du dos de la main.
- C'était un véritable cauchemar !
- Je ne comprends pas. Tu étais chez toi, avec ta famille et tes amis. Ce n'est pas ce que tu as toujours souhaité retrouver ?
- Pendant un temps, oui. J'étais très heureuse de revoir mon père c'est vrai, mais il s'est adressé à moi comme à une enfant. J'aurais voulu lui parler de moi, de ma vie, j'aurais voulu qu'il me dise qu'il était fier de ce que j'avais accompli. J'aurais voulu discuter avec Reg'liss, savoir ce qu'il était devenu, mais il ne se souvenait pas de ce que nous avions vécu ensemble. C'était comme si tout un pan de ma vie avait été effacé. Il a essayé de me convaincre que ces années que j'ai passées avec toi, je les avais imaginées. Je perdais une nouvelle fois ma famille et mes amis.
- Que veux-tu dire ?
- Hank, c'est toi ma famille. Lorsque j'ai cru que j'allais devoir vivre sans toi, cela a été un crève-cœur.
Hank se redressa dans son fauteuil et prit sa femme dans ses bras. Il s'essuya les yeux avec le dos de sa main. Sin fo sourit et lui dit :
- Je t'entends tu sais, ce n'est pas la peine de te cacher.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, mentit Hank.
- Je sais que tu n'es pas le bradypus mal léché que tu veux paraître. Ma vie est ici, avec toi, et avec nos amis.
- En parlant de nos amis...
- Archibald m'a déjà questionnée, coupa Sin fo. Tabatha est avec eux.
- Eux, tu veux dire...
- Oui, les djaevels.
- Tu en es bien sure ? Tu n'avais pas les idées très claires quand je t'ai retrouvée. Tu as très bien pu confondre, ou t'imaginer que...
- Tu crois que j'ai rêvé ? Je sais ce que j'ai vu. Tabatha était avec moi quand les djaevels sont arrivés sur l'île. J'avais senti un esprit, et je pensais que c'était Jacob qui revenait. J'ai proposé à Taby de l'attendre. Seigneurs, si je n'avais pas eu cette idée, nous aurions été en ville quand...
- Ne penses pas à ça, ce n'était pas ta faute. Que s'est-il passé ensuite ?
- Des djaevels sont sortis des arbres en courant. Des centaines de djaevels. Je n'en avais jamais vu autant. J'ai tenté de les arrêter, mais ils étaient trop nombreux. Tabatha n'avait pas d'arme, elle n'a donc pas pu m'aider. Je ne pouvais pas les combattre tous, alors j'ai tenté de nous protéger en dressant un mur devant nous, mais avant que nous ayons pu nous échapper, il a volé en éclats. Un homme est sorti du nuage de poussière, et il m'a frappée. Il était incroyablement fort, ce n'était pas normal.
- Je sais, je l'ai croisé moi aussi.
- C'est vrai ? Tu as pu t'en débarrasser ?
- À vrai dire, c'est lui qui a bien failli me tuer. Mais je te raconterais ça après, ajouta Hank rapidement, voyant que Sin fo allait le questionner. Continue ton histoire.
- Où en étais-je ? Ah oui. Il m'a frappée et je me suis effondrée sous le choc. J'ai voulu l'atteindre avec une colonne de pierre, mais il l'a déviée d'un simple mouvement de bras. Mon pouvoir ne l'inquiétait pas le moins du monde. Tabatha est venue m'aider à me relever, et il s'est complètement désintéressé de moi. Il a ramené Tabatha vers lui, a pris son menton dans sa main et a tourné son visage pour la regarder de profil. Taby s'est débattue, mais il la tenait fermement. Il a ordonné aux djaevels de l'emmener, sans l’abîmer selon ses propres mots, et aussi incroyable que cela paraisse, ils ont obéi. Je ne sais pas comment, mais cet homme se faisait obéir des djaevels.
- Ils l'ont emmenée sous tes yeux ? Et qu'as-tu fait ?
- J'ai essayé de les en empêcher bien sûr. Je me suis lancée à leur poursuite, mais une dizaine de djaevels se sont jetés sur moi. Je n'ai pas pu les contenir. Ils m'ont acculée, et je n'ai pas eu d'autre choix que de plonger dans le lac. Malheureusement la glace n'était pas suffisamment épaisse et elle a cédé. J'ai essayé de rejoindre Ts'ing Tao à la nage, car les djaevels étaient déjà sur le pont, mais l'eau glaciale m'a engourdie, et j'ai perdu connaissance. La suite tu la connais.
Hank raconta à son tour ce qu'il avait vu, comment les djaevels avaient envahi leur village, comment il avait organisé le combat pour les repousser, et comment le chef des djaevels l'avait épargné.
- Je ne sais pas qui est cet homme, dit Hank, mais il m'inquiète. Sa force n'est pas naturelle. Je n'ai pas la prétention d'être l'homme le plus fort du royaume, mais il n'a pas du tout réagi aux coups que je lui ai portés. Et si même ta magie est inefficace, je ne sais pas comment nous pourrions le battre.
- Peut-être n'aurons-nous jamais l'occasion de le faire.
- J'espère que si, et le plus vite possible.
- Souhaites-tu qu'il revienne ? C'est parce qu'il a tenté de te tuer ?
- Ce n'est pas qu'une simple question de vengeance. Bien sûr, j'aimerais lui faire payer les coups et l'humiliation qu'il m'a infligés, mais je ne vais pas gâcher ma vie pour ça. Mais il m'a attaqué chez moi, il s'en est pris aux gens que j'aime, et par dessus tout, il a enlevé mon amie. Je ne laisserais pas Tabatha entre les pattes de ce type.
- Comment comptes-tu t'y prendre ?
- On va partir à sa poursuite, tout simplement.
- Nous ne savons même pas par où il est parti.
- Avec tous les djaevels qu'il a avec lui, il ne doit pas passer inaperçu, et il doit laisser derrière lui une piste facile à suivre.
- Tu as raison. Et en y réfléchissant, je crois savoir où ils se rendent.
- Vraiment ?
- Je ne pense pas qu'ils soient venus ici par hasard, raisonna Sin fo. Ils ont tenté de tuer tout le monde, toi et moi y compris, mais ils n'ont pas touché à Tabatha. As-tu déjà vu des djaevels épargner quelqu'un ? Ils étaient venus pour Tabatha, et ils la ramènent probablement à leur maître.
- Qui ?
- Tu sais, l'homme qui les contrôle, et qui a volé le trône aux parents de Tabatha. Je pense que nous retrouverons notre petite princesse à Soripolis.
Hank se laissa tomber au fond de son fauteuil et se passa les mains sur le visage, avant de reprendre en soupirant :
- J'ai bien peur que tu aies raison.
Sin fo fut surprise de sa réaction.
- Pourquoi le prends-tu ainsi ? Nous avons un coup d'avance sur eux, c'est une bonne chose.
- Nous savons où ils vont, mais ça ne nous avantage pas pour autant. Jacob m'a dit un jour qu'il était retourné à Soripolis. Selon lui, la capitale est dévastée et on n'y croise plus que des djaevels. En plus, je ne crois pas que ce qui attend Taby là-bas soit particulièrement réjouissant. La ville est grande, avec des dizaines d'endroits par où rentrer, sans compter qu'ils utilisent peut-être des entrées connues d'eux seuls. On n'a aucun moyen de savoir où les attendre. Non, je crois que notre meilleure chance de sauver Taby est de rattraper ces monstres et de leur reprendre notre petite princesse avant qu'ils n'atteignent la capitale.
- Crois-tu que nous y parviendrons ? Ils ont au moins une journée d'avance, d'après ce que j'ai compris.
- C'est pour ça que nous devons partir le plus tôt possible. Demain matin, au lever des soleils, au plus tard. Dormons quelques heures, nous aurons besoin d'être en forme.
Sin fo souleva la couverture, et Hank la rejoignit dans le lit. Juste avant de laisser le sommeil le gagner, Hank murmura à sa femme :
- Je suis content d'avoir survécu à cette journée. J'ai cru qu'elle ne finirait jamais.
- Les prochaines risquent d'être longues également, lui répondit Sin fo, mais Hank s'était déjà endormi.
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