Chapitre 40 Princesse sans royaume - Partie 1

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- C'est de la folie, ça ne marchera jamais, se plaignit Tabatha.

- Nous en avons déjà discuté cent fois, répliqua Sin fo. C'est le meilleur moyen, si ce n'est le seul.

- Je n'arrive pas à croire que je me suis laissée convaincre. Et toi arrête de rire, dit-elle à l'adresse de Hank.

- Je n'ai rien dit, se défendit ce dernier.

- Non, mais j'ai vu ton sourire.

- Allez ce n'est qu'un mauvais moment à passer.

- Dis-toi que nous faisons cela pour Maxou, ajouta Sin fo.

 Tabatha regarda ses deux amis dans les yeux, soupira pour évacuer son stress et acquiesça d'un signe de tête résolu. Hank embrassa furtivement sa femme avant de lui dire :

- Je passe en premier. Donnez-moi quelques minutes, et rejoignez-moi.

 Il posa ses deux mains sur les portes de bois, poussa de toutes ses forces, et pénétra dans la pièce bruyante et surchauffée. Comme ils s'y étaient attendus, l'auberge était pleine à craquer. Quelques têtes se retournèrent à son entrée, mais la plupart des personnes présentes ne lui accordèrent pas un regard. Hank n'était pas revenu ici depuis qu'ils avaient ramené Tabatha, et il avait passé la semaine suivante à éviter au maximum le contact avec les habitants de Ts'ing Tao. La dernière fois qu'il s'était exprimé en public, il avait eu des paroles plutôt rudes. Il ne les regrettait pas, mais il redoutait la réaction de ses voisins et amis.

 Il traversa la salle en baissant la tête afin d'éviter de croiser des regards. En situation d'urgence, Hank pouvait prendre des décisions difficiles et se faire obéir instinctivement, mais en temps normal, il avait beaucoup de mal à parler devant un grand nombre de personnes. Il s'approcha du bar et tapa du plat de la main sur le comptoir.

 D'un regard circulaire, il jaugea les gens présents dans la salle. Ils semblaient plus nombreux que d'ordinaire, et il y avait également plus de femmes. La vie semblait avoir repris son cours, mais en réalité les habitants étaient encore inquiets et préféraient se réunir que de rester seuls chez eux. Sans se le dire, sans parler des événements tragiques de la semaine précédente, les habitants se retrouvaient à l'auberge car c'était la seule battisse de la ville suffisamment grande pour les accueillir tous - à l'exception de la maison de Sin fo et Hank, mais ils n'y avaient pas mis les pieds de la semaine, et que ce soit par respect ou par crainte, personne n'était venu les déranger depuis des jours. L'auberge présentait également l'avantage de disposer d'une quantité d'alcool suffisante pour apaiser les esprits et passer le temps.

 Hank constata que le mobilier détruit de l'auberge avait été remplacé depuis la dernière fois. Les meubles étaient disparates et semblaient pour la plupart de fabrication artisanale, mais cela démontrait que les habitants étaient capables de s'entraider en cas de coup dur. Hank sourit dans son coin. Il ressentait de la fierté pour sa femme, et un petit peu pour lui aussi. À partir de petits groupes de gens d'origines - et de races - différentes, ils avaient réussi à créer une communauté solidaire. Cela rappelait à Hank le temps où il vivait avec les saltimbanques, avec les vols en moins bien sûr. Tout ce qu'il espérait, c'était que les habitants les fassent bénéficier de cette belle solidarité.

 Roussel sortit de la réserve et s'avança derrière le bar la tête baissée en s'essuyant les mains dans un torchon.

- Qu'est-ce que ce sera, demanda-t-il en attrapant un verre vide et sans lever la tête.

- Quelque chose qui tient au corps et laisse les idées claires.

 Roussel faillit lâcher son verre en entendant la voix de Hank. Il ne se recula pas, mais Hank vit qu'il était sur la défensive. Il se saisit d'une bouteille et remplit le verre d'un liquide translucide jusqu'à la moitié. Il le posa sur le comptoir, mais lorsque Hank tendit la main, l'aubergiste ramena le verre vers lui et dit d'une voix cassante :

- Je ne veux pas d'ennuis.

 Hank éclata de rire mais s'arrêta très vite en s'apercevant que l'aubergiste de plaisantait pas.

- Mais qu'est-ce qui te prend ? C'est moi, c'est Hank ! Je viens ici depuis des années.

- Je sais, mais je sais aussi qu'à cause de toi j'ai une chambre condamnée et la moitié de mon stock parti en fumée. Et ta femme a frappé une de mes clientes l'autre jour et a failli s'en prendre à moi aussi. C'est pour ça que je te le demande : je ne veux pas d'ennuis.

 Plus que de la colère, Hank ressentit de la tristesse en voyant que cet homme qu'il considérait comme un ami ne le voyait désormais que comme un fauteur de troubles, ou pire, comme une menace. Il sortit une pièce de cuivre de la poche de sa veste et la jeta sur le comptoir. Roussel consentit de mauvaise grâce à pousser le verre devant lui. Hank s'en saisit et, tout en le portant à ses lèvres, dit d'une voix éteinte :

- Je ne serais pas long. Je n'ai jamais imposé ma compagnie à ceux qui ne la désiraient pas.

- Hank, ne le prend...

- J'aimerais boire mon verre tranquillement, le coupa Hank.

 Roussel jeta son torchon sur son épaule dans un geste d'agacement et s'éloigna en soupirant. Accoudé au bar, les épaules voûtées, Hank sirota son verre par petites gorgées. Le liquide lui brûla la gorge et lui chauffa les oreilles. Hank aimait cette sensation, cette délicieuse chaleur qui s'insinuait dans chaque partie de son corps et qui délassait ses membres transis par le froid mordant de l'hiver.

 Il prit le temps de savourer ce verre, car il ne savait pas combien de temps se passerait avant qu'il puisse y goûter à nouveau. De plus, il avait besoin de temps pour trouver les mots qui convaincraient ses concitoyens. Au vu de la réaction de Roussel, Hank se dit qu'il allait peut être avoir plus de mal que prévu. Heureusement, ils avaient un plan de secours. Le jeune homme leva le coude et vida son verre d'un trait tout en adressant une prière silencieuse aux dieux pour se porter chance.

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