Chapitre 40 Princesse sans royaume - Partie 3
Toutes les têtes se retournèrent vers la jeune fille, et Hank ne put réprimer un sourire. Tabatha se tenait dans l'embrasure, et dans un geste très théâtral, elle avait ouvert les deux portes en grand. Elle s'avança au centre de la pièce, en marchant lentement, alors que tous la regardaient en silence. Elle portait une longue robe verte et or qui glissait avec un bruit d'étoffe sur le sol. Elle était échancrée au niveau de la poitrine et laissait les épaules découvertes, mais Tabatha portait une étole pour se protéger du froid.
Ses longs cheveux blonds étaient remontés en une coiffure élaborée, soutenue par un petit collier de perles, souvenir de l'époque où elle vivait au palais. La petite princesse avait cousu cette robe avec l'aide de Sin fo, en se servant pour modèle des vêtements qu'elle avait sur elle lorsqu'elle avait quitté Soripolis, ainsi que des souvenirs qu'elle avait des robes que portait sa mère lors des soirées à la cour. Cette tenue pouvait paraître inappropriée dans la petite auberge de Ts'ing Tao, mais Tabatha était si belle que personne ne lui fit la moindre remarque.
Sin fo rentra discrètement à la suite de son amie et fit le tour de la pièce pour venir se placer à côté de Hank. Elle le prit dans ses bras et lui dit à l'oreille :
- Pour le moment, tout se déroule comme nous l'avions prévu.
- Maintenant, c'est à Taby d'assurer.
Arrivée au milieu de la pièce, Tabatha se retourna et pointa du doigt le jeune hembra qu'elle avait interrompu.
- Vous, quel est votre nom ?
- Axi'om, répondit le jeune hembra sur la défensive.
- Axi'om, vous avez eu des paroles un peu dures envers mon ami. Vous parliez d'un royaume, et de vies qu'il mettait en danger. D'où venez-vous ? Des terres au nord, comme tous les hembras ?
- C'est exact.
- Et je suppose que vous n'êtes jamais descendu plus au sud que cette ville.
- En effet, reconnut Axi'om.
- Ce royaume dont vous parliez n'est donc pas le votre. Je ne vous en voudrais pas alors de ne pas connaître mes parents. Mes parents s'appelaient Eowyn et Albus. Mon nom est Tabatha, et je suis la princesse héritière. Ce royaume me revient de droit, et je compte le récupérer !
Des cris de stupeur s'élevèrent dans la salle, ainsi que des débuts de disputes. Apparemment, certaines personnes n'étaient pas disposées à considérer Tabatha comme ce qu'elle prétendait être. Hank vit à l'expression de Roussel qu'il faisait partie de ceux-là. Un groupe de quatre jeunes, qui devaient avoir le même âge que Tabatha, parlaient à voix basse en riant et lançaient des regards en coin à la princesse, et Hank n'était pas sûr d'apprécier ce qu'ils avaient en tête.
Sin fo quand à elle remarqua surtout le visage abasourdi de Ryban. Sa compagne lui parlait, mais il ne semblait même pas l'entendre. Pourtant, ce fut lui qui le premier réagit à ce que Tabatha avait dit et lui demanda des explications. Il se leva lentement, manqua de renverser sa chaise, et parlant d'une voix forte pour couvrir le brouhaha, il interpella Tabatha. La jeune fille tourna la tête vers lui et lui dit en souriant :
- Bonsoir Ryban, je ne t'avais pas vu. Tu vas bien ?
- Ça va, ça va. En fait je ne sais pas comment je me sens. Je suis très surpris. Beaucoup de choses ont été dites ce soir. Tabatha tu me jures que tu dis la vérité ?
Le sourire que la princesse lui avait adressé disparut de son visage et ses yeux s'assombrirent.
- Que faut-il pour te convaincre ? Tu veux des preuves ? Veux-tu que je te raconte quelques bons souvenirs avec mes parents ? Veux-tu que je te donne le nom de mon professeur de danse, de mes camarades ou des domestiques ? Ou bien veux-tu que je te raconte comment c'était ce jour-là, quand un monstre a détruit ma ville, m'a chassée de chez moi et m'a privée de mes parents à tout jamais ?
La petite princesse sentit les larmes lui monter aux yeux, mais elle serra les dents et plissa les yeux pour les retenir. Elle ne voulait pas pleurer devant tous ces gens. Elle n'était pas là pour cela, et surtout ils devaient voir qu'elle était forte. Ryban sentit néanmoins qu'il lui avait fait de la peine.
- Ta parole me suffira, lui assura-t-il. Mais dis-moi, je sais que nous n'avons jamais été très proches, mais nous nous connaissons depuis quelques années. Comment as-tu pu nous cacher cela ? Pourquoi ne pas nous l'avoir dit ?
- Comme tu l'as dit, nous ne sommes pas très proches. Tu comprendras que ce n'est pas le genre de secret qu'on partage avec n'importe qui. Jacob surtout voulait que personne ne le sache.
- Je me suis toujours demandé... Jacob est de ta famille ? Ça voudrait dire qu'il est...
- Non, Jacob n'est pas de ma famille, le coupa Tabatha. Il était le meilleur ami de mon père et il s'est occupé de moi quand nous avons fui le château.
- Vous saviez tout ça, questionna Ryban en se retournant vers Sin fo et Hank.
- Oui. Tabatha nous as dit tout ça quand on l'a rencontrée.
- Dès le premier jour ? Je croyais que c'était un secret bien gardé.
- Disons que nous ne lui avons pas vraiment laissé le choix, répondit Sin fo avec un sourire.
- C'est vrai qu'au début le courant n'est pas vraiment passé entre nous, renchérit Tabatha. Mais Sin fo et Hank se sont révélés être des amis précieux, et ils n'ont jamais trahi mon secret. Aujourd'hui, je peux dire que ce sont eux ma famille.
La jeune fille s'empara d'un verre sur la table la plus proche et le leva en direction de ses amis comme pour leur porter un toast. Elle but le contenu du verre d'un trait sous l'œil réprobateur de Sin fo et le reposa avant de reprendre :
- Ils sont très importants pour moi, car depuis que je les connais, ils se sont toujours occupés de moi, et m'ont toujours protégée. J'étais une petite fille, et ils ont plus ou moins remplacé les parents que j'ai perdus. Mais je ne suis plus une enfant désormais, je dois prendre mes responsabilités. Mes responsabilités envers mon ami, qui est retenu prisonnier par ma faute, et envers mes parents qui ont sacrifié leurs vies pour moi. Ce serait trahir leur mémoire de vivre cachée et de laisser d'autres souffrir à ma place. Ce royaume, c'était le leur et je ne peux pas le laisser aux mains de leur meurtrier. Et pour finir, je dois aussi assumer mes responsabilités envers vous. Mon sang me donne des droits sur ce royaume, mais nous y vivons tous. Un royaume n'est rien sans son souverain, mais un souverain n'est rien sans ses sujets. De tous temps, les habitants de Vadkraam ont été fidèles à mes ancêtres. En contrepartie, les miens ont toujours assuré la sécurité du royaume. Cette tâche m'incombe désormais. Il est de mon devoir de permettre à tous mes sujets de vivre en paix. Mais je ne pourrais pas y arriver seule, c'est évident. Je vais donc me rendre à la capitale le plus vite possible, pour récupérer ce qui m'appartient, et en chemin, je rassemblerais toutes les bonnes volontés. Je commence ici, ce soir, dans la communauté qui m'a accueillie toutes ces années. Je ne vous demande pas une réponse immédiate, mais nous n'avons pas de temps à perdre. Nous partons demain, au lever des soleils. Que ceux qui sont prêts à me suivre jusqu'à la capitale me retrouvent devant chez Sin fo et Hank. Les autres, sachez que je ne vous en voudrais pas. Nous serons heureux de retrouver des visages amicaux et un foyer chaleureux en rentrant. Je vous laisse réfléchir, et prendre vos dispositions. Bonne soirée à tous.
Sin fo et Hank quittèrent le bar précipitamment et escortèrent Tabatha jusqu'à la sortie. Une fois dehors, les portes à peine refermées derrière eux, ils entendirent les habitants exploser dans une indescriptible cacophonie. Ils se regardèrent en souriant et secouèrent lentement la tête.
- Et bien, ta déclaration a eu l'effet d'une bombe, dit Hank à l'adresse de Tabatha.
- Je ne sais pas si ça suffira, répondit celle-ci. Ils n'ont pas arrêté de me contrer. Cet idiot de Roussel surtout va se faire un plaisir de me discréditer.
Voyant que la jeune fille frissonnait, Sin fo remonta son étole sur ses épaules et la rassura :
- Tu as été parfaite. Quoi qu'il se passe désormais, tu as fait tout ce que tu pouvais.
- On n'a plus qu'à s'en remettre aux dieux maintenant, reprit Hank en fourrant les mains dans ses poches et en enfonçant sa tête dans ses épaules. Si on rentrait ? On doit se lever tôt demain.
Tandis qu'ils se mettaient en route, Hank regarda Tabatha en coin et lui demanda :
- Tu n'as pas trop froid dans cette tenue ?
- Je suis frigorifiée tu veux dire !
Le jeune homme éclata de rire et fit un petit bond sur le côté pour éviter de se prendre un coup de la part de son amie.
- Ça t'apprendra à vouloir faire la grande avec une belle robe, dit-il en se payant sa tête.
- Hank arrête de te moquer d'elle ! Ne l'écoute pas ma chérie, tu es magnifique avec cela.
- Il n'empêche que je ne serais pas mécontente de l'enlever. J'ai toutes les peines du monde à marcher sans me prendre les pieds dans le tissu.
- Tu devrais quand même la garder, et l'emmener avec toi demain.
- Pourquoi ?
- Dans certaines parties du pays, et avec certaines personnes, il vaut mieux rester discrets, et il est parfois mal vu pour des femmes de porter des vêtements d'homme. J'en sais quelque chose.
- Et puis quand on aura retrouvé Maxou, ça pourrait lui faire un petit choc de te voir avec ça sur le dos, renchérit Hank avec un petit rire.
Ils échangèrent un nouveau sourire en pensant à cette idée, puis Tabatha demanda avec une pointe d'inquiétude dans la voix :
- Vous croyez qu'il tiendra jusqu'à ce que nous arrivions ?
- C'est un garçon courageux, répondit Hank, et il doit se douter qu'on va venir le chercher.
- Même si personne ne nous accompagne demain, nous le sauverons tous les trois, assura Sin fo.
Tabatha hocha pensivement la tête et écrasa une larme avec son poignet. Elle voulait croire à ces paroles rassurantes, mais elle savait que ses amis eux-mêmes n'y croyaient pas totalement. Ils ne dirent plus rien jusqu'à ce qu'ils arrivent chez Sin fo et Hank, et là ils prirent un dîner rapide et se couchèrent rapidement.
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