Chapitre 46 Engagements - Partie 3

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 Tabatha reprit sa marche d'un pas résolu. Elle ne supportait plus cette ambiance fantomatique et ce silence. Il lui fallait de l'action pour se vider l'esprit. Elle avait vraiment envie désormais de découvrir une horde de djaevels dans cette bâtisse afin de pouvoir exorciser sa peine. Si elle avait été seule avec Sin fo, elle aurait couru en criant pour attirer les djaevels et en finir au plus vite. Mais elle avait élaboré tout un plan et avait tant recommandé la prudence à tous ses compagnons qu'elle ne pouvait pas foncer tête baissée sans perdre toute crédibilité.

 Elle continua donc sa progression ruelle par ruelle, mais en forçant néanmoins l'allure. Après quelques minutes, ils arrivèrent enfin en vue de l'immense bâtisse. Sa taille n'était en rien comparable à celle des autres maisons autour. Elle s'élevait sur quatre étages et ses murs de pierre grise étaient percés de dizaines de fenêtres. La bonne nouvelle était qu'ils ne seraient pas gênés par l'obscurité s'ils devaient combattre. La mauvaise était qu'ils allaient mettre des heures à fouiller toutes les pièces d'un bâtiment aussi grand.

  Dans la dernière rue menant à la place centrale, Tabatha et ses compagnons avancèrent en rasant les murs. Alors que Tabatha s'apprêtait à passer sa tête au coin de la rue, elle entendit un sifflement. Elle n'y prêta d'abord pas attention, mais quand il se répéta, elle tourna la tête dans tous les sens pour voir d'où il venait. Ce fut Sin fo qui lui souffla :

- Là-haut.

  En effet, sur le toit juste au dessus d'elle, Axi'om se tenait penché au dessus du vide. Il demanda d'un signe de la main s'il devait descendre avec les autres hembras, et Tabatha lui fit comprendre en quelques gestes qu'elle préférait qu'ils restent en hauteur. Le coin de la rue était un peu éloigné de l'hôtel de ville, mais les hembras étaient agiles et rapides et ils pourraient les rejoindre en quelques secondes en cas de problème.

 Tabatha scruta ensuite la place pendant de longues minutes pour s'assurer qu'il n'y avait pas de danger. Lorsqu'elle fut sûre qu'il n'y avait personne, elle ordonna à ses compagnons de la suivre et s'élança sur la place. Le moment était venu de passer à l'action. Quoi qu'il y ait derrière ces murs, ils allaient bientôt le découvrir. Tout en courant, Ryban lui demanda :

- Veux-tu que je fasse le tour pour trouver une autre entrée ?

- Non, nous ne sommes pas assez nombreux. Nous rentrons tous ensemble, et par la grande porte.

  La jeune fille se plaça contre la porte. Ryban et Wayne regardèrent à travers les fenêtres de chaque côté de la porte, mais ne virent rien bouger. Tabatha appuya doucement sur la poignée, qui s'enclencha sans la moindre résistance. La jeune fille appréciait de ne pas avoir à enfoncer la porte, mais elle ne put s'empêcher d'y voir un mauvais signe. Des survivants auraient sûrement verrouillé leur porte. La princesse poussa le battant du plat de la main et se glissa dans le bâtiment.

  Elle n'était pas très à l'aise de rentrer la première, car la fine lame de sa dague ne permettait pas de tenir les djaevels suffisamment éloignés, mais elle ne pouvait pas demander à ses compagnons de passer devant et de s'exposer aux risque à sa place. À son grand soulagement, Sin fo vint se placer à ses côtés.

- Ne t'inquiète pas je te couvre. Cela me donnera une chance supplémentaire de gagner notre pari, dit-elle en esquissant un sourire.

 Mais Tabatha était trop tendue pour plaisanter. Elle regarda par dessus son épaule pour vérifier que les six hommes étaient bien rentrés et étudia les lieux rapidement. L'entrée était spacieuse, dallée de pierres noires et blanches, et richement meublée. À droite et à gauche, des portes s'ouvraient sur les pièces voisines, et en face un couloir s'intercalait entre deux escaliers qui se rejoignaient au palier supérieur. La hauteur de la pièce, le silence qui y régnait, et les soleils qui dessinaient de larges tâches de lumières sous les fenêtres donnaient à l'ensemble l'aspect d'une chapelle. Tabatha s'attendait presque à entendre des moines psalmodier. Mais seul le bruit de leurs pas en écho venait troubler le silence.

- Cet endroit me rappelle quelque chose, dit Tabatha.

- Moi aussi, répondit Sin fo. Je suis déjà rentrée dans un bâtiment comme celui-ci, mais il était plus austère, et beaucoup plus vétuste après mon passage.

- Que veux-tu dire ?

- Disons que je n'ai pas attendu qu'on m'ouvre la porte pour en sortir, éluda Sin fo avec un sourire.

- Évite de nous faire tomber ce bâtiment-ci sur le coin du nez s'il te plaît.

 Après avoir réfléchi un instant, Tabatha décida de commencer par les pièces du fond. Elle pointa son index et son majeur dans cette direction et s'y dirigea lentement. Les six hommes, qui s'étaient éparpillés pour regarder le mobilier ou écouter aux portes, se regroupèrent en file indienne derrière la jeune fille. En passant au pied des escaliers, celle-ci murmura :

- J'ai l'impression d'avoir déjà vécu ça...

 Elle entendit un grincement qui lui fit lever la tête. À sa grande surprise, elle vit une silhouette suspendue à la rambarde du palier au dessus d'elle.

- Attention en haut, prévint-elle ses compagnons.

 À peine avait-elle fini sa phrase que deux hommes bondirent de chaque escalier pour les empêcher de reculer, et que la silhouette se laissa tomber sur elle, un long couteau à la main. Tabatha n'eut que le temps de faire un pas en arrière et de lever sa dague au dessus de sa tête pour éviter d'être transpercée. Elle parvint à bloquer la lame de son assaillant, mais le poids de celui-ci combiné à la vitesse de sa chute rendit le choc très rude et Tabatha ressentit une violente douleur des doigts jusqu'à l'épaule. Elle laissa son bras droit pendre le long de son corps, incapable de lever son arme dans l'immédiat.

 Mais déjà son agresseur se redressait avec souplesse. Tabatha ne pouvait pas attendre que Sin fo ou l'un des six hommes lui prête main forte. Elle prit donc l'initiative. De sa main gauche, elle saisit son adversaire par le col et le tira vers elle. Fort heureusement, celui-ci était petit et léger, et elle parvint à le relever d'une seule main. Une étoffe noire lui dissimulait la partie inférieure du visage, mais Tabatha put lire l'étonnement dans ses yeux. Sans perdre un instant, elle assena un violent coup de boule à son ennemi, puis lui mit un coup de pied dans le tibia pour le déséquilibrer. En moins de deux secondes son adversaire était à nouveau au sol, inconscient cette fois.

 Tabatha se retourna pour aider ses camarades, mais ils avaient su se débrouiller aussi bien qu'elle. Les quatre hommes qui avaient tenté de les surprendre avaient tous été défaits rapidement, et deux d'entre eux gisaient au sol, tandis que les deux autres avaient été désarmés et mis à genoux et les mains sur la tête, sous la surveillance de Ryban et Wayne. Tous portaient la même capuche et le même masque noir que l'adversaire de Tabatha.

 La princesse s'approcha de l'un d'eux et l'interrogea :

- Qui êtes-vous ? Pourquoi nous avez-vous attaqués ?

 L'homme ne répondit rien et lança un regard froid à Tabatha. Celle-ci ne se démonta pas et s'adressa au deuxième homme.

- Toi dis-moi. Quel est ton nom ?

 Devant son silence obstiné, Tabatha tenta d'autres questions.

- D'où venez-vous ? Combien êtes-vous ? Vous êtes seuls ? Il y a des femmes, des enfants ? Vous nous suiviez ?

- Ça ne sert à rien il ne répondra pas, intervint Wayne. Regardez leurs tenues et leurs masques. Ils doivent faire partie d'une confrérie. Peut être des fanatiques religieux. Ce genre d'illuminés ne parlent jamais.

- Il dit vrai ? Vous appartenez à un ordre ? Quelqu'un vous a dit de nous attaquer ? Les dieux vous l'ont demandé peut être ?

  Le premier homme que Tabatha avait interrogé se mit soudain à rire.

- Il se moque de nous, s'emporta Ryban. Maintenant ça suffit.

- Ryban non, l'avertit Tabatha d'une voix forte.

 En le voyant s'avancer vers son prisonnier, elle avait pensé qu'il voulait le frapper, mais Ryban se contenta de lui arracher son masque. Au même instant, l'homme cria :

- Ils nous ont capturés !

 Les portes à l'autre bout de la pièce s'ouvrirent avec fracas et une vingtaine de combattants encapuchonnés en surgirent en criant. Ryban lâcha un juron et cogna l'homme qu'il avait démasqué pour l'assommer. L'autre captif bondit sur Wayne et tenta de lui voler son arme. Pour éviter que les autres ne fassent de même, Sin fo immobilisa tous ceux qui étaient inconscients en faisant sortir du sol des entraves de pierre qui s'enroulèrent autour de leurs jambes. Elle se releva ensuite en vitesse et tira son cimeterre pour défendre sa vie et celle de Tabatha, qui n'arrivait toujours pas à tenir sa dague convenablement.

  Les cris des assaillants et le bruit de leur course se répercutaient en écho sur les hauts murs du hall d'entrée et produisaient un vacarme terrifiant. Sin fo leva son arme pour se défendre, car les premiers assaillants étaient presque sur eux. Soudain une voix forte retentit au dessus de leurs têtes.

- Arrêtez tous !

  Ces deux simples mots suffirent à figer les assaillants qui s'arrêtèrent à quelques centimètres d'eux et baissèrent légèrement leurs armes. L'un des jeunes hommes s'avança mais Tabatha le retint.

- Attendez, ne les provoquez pas.

  Le petit groupe de Ts'ing Tao et leurs adversaires se toisèrent pendant un instant dans un silence méfiant, silence qui fut brisé par des bruits de pas dans l'escalier. Un homme de haute stature, portant capuche et masque comme les autres, descendit les marches quatre à quatre, et vint se placer entre les deux groupes. Il posa sa main sur l'arme de son compagnon le plus proche de Tabatha et dit à la cantonade :

- Rangez tous vos armes. Vous n'avez rien à craindre. Je réponds d'eux.

  Cet homme devait être le chef, car il n'en fallut pas plus à ses compagnons pour rengainer leurs armes et tourner les talons. Tabatha s'avança d'un pas et s'adressa à lui :

- Merci pour votre aide. Je suis sûre que nous pouvons trouver un accord pacifique.

- Tabatha c'est bien toi, demanda l'homme en riant. J'ai du mal à croire ce que j'entends.

- Nous nous connaissons, demanda la princesse un peu perplexe.

- Je te connais même depuis très longtemps.

 L'homme ôta son masque et sa capuche, révélant ainsi un sourire radieux et un crâne chauve que Tabatha aurait reconnu entre mille.

- Jacob !

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