Chapitre 47 Passé décomposé - Partie 5
Halbarad se souvint qu'il était toujours attendu. Il fit demi-tour et traversa la cour à toute vitesse. Une fois dans le hall d'entrée, il emprunta une porte dérobée sur la droite. De là, il longea un étroit couloir qui n'était percé d'aucune porte ni aucune fenêtre, et n'était éclairé que de quelques torches au mur. Au bout de ce couloir se trouvait l'unique accès à la tour du seigneur Garaney, un escalier protégé par une grille et un garde en faction.
Cela pouvait sembler peu, mais le couloir était trop étroit pour laisser passer plus d'une personne à la fois, et seul le garde possédait la clé de la lourde grille d'acier qui le séparait du couloir. Ainsi, même si une troupe entière s'engouffrait dans le couloir et réussissait à tuer le garde, il leur faudrait des heures pour ouvrir ou détruire la grille, laissant ainsi largement le temps à la défense de s'organiser et de prendre les assaillants à revers.
C'était une méthode simple, mais diablement efficace. Depuis près de cinq siècles que le château avait été érigé, aucune armée ne l'avait jamais assiégé. Au bout du couloir, Halbarad se présenta à son collègue, qui l'étudia d'un air suspicieux, fit rouler la clé dans sa main en reniflant et lui ouvrit finalement la grille de mauvaise grâce.
- Le chef m'a prévenu de votre arrivée, dit-il. Il vous attend là-haut avec le seigneur Garaney.
- Lord Garaney est ici ?
- Où voulez-vous qu'il soit ?
- Je veux dire, il veut me voir moi ?
- Incroyable en effet, répondit ironiquement le garde.
Halbarad préféra ne pas répondre et s'engagea dans l'escalier en colimaçon. Il compta les marches mais perdit le fil après deux cent, car il commençait à avoir la nausée, nausée qui était accentuée par l'angoisse de ne pas savoir pourquoi ses supérieurs voulaient le recevoir. Il grimpait inlassablement, sans savoir quand il arriverait, car l'escalier ne donnait sur aucune porte et n'était agrémenté d'aucune décoration. Rien que des marches et des murs de pierre parfaitement identiques.
Il entendit des bruits de pas et des bribes de conversations derrière les murs au fur et à mesure de son ascension, mais sans savoir de qui il s'agissait, ni à quel étage il se trouvait. L'escalier avait été construit de sorte à traverser le château de part en part, mais sans que personne ne sache qu'il était là, caché derrière un mur. Halbarad soupçonna le seigneur Garaney de s'en servir pour espionner les occupants du château, et peut être savoir ce qu'ils disaient de lui.
Il craignit pendant une seconde que Lord Garaney n'ait entendu ce que Bruggar lui avait dit et qu'il le convoque pour cela, puis il réalisa qu'il ne s'était pas écoulé suffisamment de temps entre les confidences du satyre et l'apparition du chef de la garde.
Halbarad imagina toutes sortes de scénarios qui pouvaient pousser son seigneur à le convoquer, et aucun n'était à son avantage. C'est pourquoi il avait une boule au ventre en arrivant devant la porte de Lord Garaney et qu'il hésita un long moment avant d'oser frapper. Lorsqu'il le fit enfin, il entendit des chuchotements et des bruits étranges, comme si quelqu'un bougeait un meuble à l'intérieur.
- Qui est là, demanda une voix grave à travers la porte.
- Halbarad monsieur. Le garde, précisa-t-il sans savoir pourquoi. Vous m'avez demandé de monter.
La porte s'ouvrit sur le chef de la garde, qui l'accueillit une main posée sur la garde de son épée.
- Vous êtes seul, demanda-t-il en passant la tête dans le couloir.
- Oui monsieur.
- Parfait. Ne restez pas planté là, entrez, dit-il en attrapant Halbarad par l'épaule et en le tirant à l'intérieur.
Bien qu'un peu intimidé, Halbarad ne put s'empêcher de jeter un œil curieux autour de la pièce. Celle-ci était circulaire et spacieuse, bien plus qu'il ne l'aurait pensé. Sur les murs étaient accrochés les armoiries de la ville et de la famille Garaney, ainsi que les portraits des précédents maîtres de Castelroi. Sur le mur du fond, là où la lumière des soleils ne parvenait pas, Halbarad devina des étagères remplies de vieux ouvrages. Au centre de la pièce, une grande table occupait presque tout l'espace. Un drap avait été jeté dessus pour cacher ce qui semblait être un amoncellement d'objets. Halbarad en fit le tour et examina un vieil ouvrage qui était ouvert sur un piédestal, juste sous la fenêtre. Une voix s'éleva du fond de la pièce et fit sursauter Halbarad.
- Ne le touchez pas !
Il leva la tête pour voir une silhouette imposante sortir de l'ombre. Le visage dur, les longs cheveux gris retombant sur ses larges épaules, le seigneur Garaney se planta devant lui avec sa stature imposante.
- Ce livre est plus vieux que ce château, et bien plus précieux que tout ce que vous possédez, alors ne le touchez pas.
Halbarad fit un pas en arrière et s'excusa :
- J'étais simplement curieux, je ne voulais pas... pardonnez-moi monseigneur, ajouta-t-il en s'inclinant, se rappelant soudain les protocoles.
Teon Garaney se détendit, mit une main sur l'épaule de Halbarad et lui dit sur un ton moins cassant :
- Vous ne pouviez pas savoir. Relevez-vous. Vous aimez les livres ?
- Pas spécialement monseigneur. Je n'en possède pas moi-même.
- Vous avez tort, répondit le seigneur Garaney en se reculant et en le pointant du doigt. C'est dans les livres qu'est contenu le savoir, continua-t-il en désignant ses étagères d'un geste du bras. Et le savoir, le savoir est le vrai pouvoir.
Halbarad écoutait son seigneur sans répondre, debout les mains dans le dos, en attendant de savoir ce qu'il lui voulait. Teon Garaney s'approcha de lui en soupirant, et pour la première fois, Halbarad eut l'impression d'avoir un vieil homme devant lui. Sa démarche était traînante, ses gestes lents, et ses yeux cernés incroyablement las.
- Savez-vous lire au moins, demanda-t-il à Halbarad les sourcils froncés.
- Bien sûr, s'offusqua le garde en essayant de ne pas hausser le ton. C'est obligatoire pour faire partie de votre armée.
- Je ne voulais pas vous offenser, assura Teon Garaney en souriant. Je ne sais pas comment fonctionne la caserne, je n'y ai pas fait mes classes moi-même.
- J'imagine que l'enseignement que vous avez eu était bien différent.
- Sûrement oui. J'ai appris à me battre, tout comme vous, mais mon père m'a également appris bien d'autres choses. Puissent les dieux veiller sur son âme. Il m'a enseigné la diplomatie et les jeux de pouvoirs. Se méfier des ambitieux, et satisfaire au mieux les puissants. Aussi arrogants soient-ils. Mais imaginez un instant que l'on puisse changer tout cela. Imaginez que vous ayez le pouvoir ( Halbarad remarqua qu'il tourna le regard vers son vieux livre ) de prendre ce que vous pensez mériter. N'avez-vous jamais rêvé de mieux ? N'avez-vous jamais voulu voir plus grand ?
- Il est vrai que je possède bien peu de choses monseigneur, mais elles suffisent à mon bonheur.
- Et pourtant imaginez, insista Teon Garaney en emmenant Halbarad vers la fenêtre et en lui désignant la ville en contrebas. Imaginez que tout ceci soit à vous.
Halbarad commençait à être vraiment mal à l'aise et avait hâte de quitter cette pièce.
- Je crois que la question ne se pose pas puisque tout ceci vous appartient monseigneur.
Lord Garaney le regarda en silence une seconde, et Halbarad craignit de l'avoir froissé, puis il fut pris d'un fou rire et secoua Halbarad par l'épaule.
- Ça alors, je ne m'attendais pas à une telle réponse ! Vous aviez raison, dit-il en se tournant vers le chef de la garde, c'est ce que j'appelle une loyauté à toute épreuve. Comment se fait-il que vous ne soyez que simple soldat ? Peu importe, nous allons remédier à cela.
Teon Garaney serra l'épaule de Halbarad et l'emmena vers la table tout en continuant à parler.
- Il n'est pas question de vous céder Castelroi bien sûr. Il s'agit de la terre de ma famille, et j'en serais toujours le maître. Mais j'ai des projets, pour lesquels j'ai besoin d'hommes de confiance, et je crois que vous êtes l'un de ceux-là. Si tout se déroule selon mes plans, j'aurais bientôt beaucoup de terres à ma disposition, et il est normal que mes généraux en reçoivent en juste récompense.
- Vos généraux monseigneur ? Je ne suis pas sûr de comprendre.
Teon Garaney tira un coup sec sur le drap, qui glissa au sol en révélant sur la table une carte précise et en relief de Vadkraam et des royaumes voisins. Des pions de différentes couleurs représentant des troupes étaient placés un peu partout sur la carte, notamment autour des grandes villes, représentées par leurs châteaux. Halbarad regarda tout cela d'un air ébahi. Son regard se posa sur la capitale, lorsque Teon Garaney lui dit :
- Je vous parle d'armées, je vous parle de pouvoir. Je vous parle de roi, de succession.
Tandis qu'il parlait, le chef de la garde ouvrit un coffre et en sortit un casque de combat noir qu'il posa sur la table devant son seigneur. Celui-ci posa la main à plat sur son heaume et demanda à Halbarad :
- Voulez-vous m'aider à conquérir ce royaume ?
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